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Maisonnette Alsacienne

Comme la maison normande et la maison basque, la maison alsacienne a fait l'objet de nombreuses imitations et adaptations, mais bien peu ont été heureuses. La cause du mal est toujours la même : les maisons sont faites, neuf fois sur dix, par des gens qui ne savent pas les faire. Notre regretté confrère Godbarge écrivait avant guerre : « N'importe qui peut faire n'importe quoi, n'importe où et n'importe comment. » L'institution des inspections départementales de l'urbanisme, le permis de construire obligatoire n'ont pas amélioré la situation. À qui voyage à travers la France, le nombre des maisons hideuses apparaît plus grand qu'autrefois. Que ne peut-on, en gagnant de l'argent, acquérir en même temps le talent et le goût !

En Alsace, le nombre des maisons anciennes restées en bon état, malgré les guerres, les incendies, les intempéries, est relativement important. Cela tient peut-être, d'une part, au fait que l'Alsacien est très soigneux (la maison est bien entretenue, les réparations sont faites en temps utile), peut-être, d'autre part, à la sécheresse du climat, plus favorable à la conservation des bois.

Il ne serait pas raisonnable aujourd'hui, sous prétexte de régionalisme, de faire des maisons en pans de bois comme autrefois. Elles seraient plus coûteuses et moins durables qu'une bonne construction moderne. Mais il est possible, sur une carcasse en solide maçonnerie, complétée par de robustes planchers en béton armé, de prévoir un petit hors-d'œuvre agréable, pittoresque en même temps qu'utile, dans l'esprit des jolies maisons du passé.

Ainsi, avant guerre, j'avais édifié près de Sélestat une maison familiale à la distribution moderne, avec de belles pièces bien éclairées, communiquant par de larges baies. En avant de la robuste masse en maçonnerie venait saillir, sur toute la façade, une grande loggia en bois, en encorbellement. Comme les gens du pays me faisaient compliment, je leur répondis, en riant : « je n'ai point, en la circonstance, fait preuve de génie. Il m'a suffi de refaire avec application, avec amour, ce que faisaient vos grands-pères, et que certains d'entre vous paraissent avoir oublié ».

Dans la maisonnette que je vous présente aujourd'hui, le hors-d'œuvre régional est un petit oriel triangulaire qui avance en pointe dans l'axe du pignon. Les exemples de ce genre sont d'ailleurs plus rares que les loggias dont je viens de parler.

Distribution.

— Nous accédons au vestibule, situé sur le côté droit de la maison, par un perron latéral de quelques marches. Du vestibule, nous entrons dans la grande salle, dans le studio, dans la cuisine, et nous pouvons, à gauche, prendre la descente de cave.

La salle (24 m2 environ) s'éclaire en façade principale par deux grandes fenêtres légèrement cintrées, et, en façade latérale, par une fenêtre plus petite. Sur le côté droit se trouve l'escalier apparent qui monte au premier étage et qui contribue, par son dessin pittoresque, à la décoration de la pièce. Au fond, une grande baie avec portes pliantes donne large communication avec le studio. Devant l'escalier, s'adosse un bahut formant desserte.

En face, sur la grande paroi, s'étale le grand buffet alsacien.

Entre les deux fenêtres se place la vieille horloge. Au milieu, la table peut recevoir de nombreux convives.

Le studio (14 m2 environ) s'éclaire par une grande fenêtre en façade postérieure. Sur les deux grandes parois libres prennent place : grande bibliothèque, piano, casier à musique, radio. Quand la grande porte de communication entre la salle et le studio est largement ouverte, il est possible d'organiser une petite fête de famille, de recevoir de nombreux amis, de faire jouer les enfants, etc.

La cuisine (7 m2 environ) est organisée pour donner toutes commodités dans peu de place et avec peu de fatigue. Sur un côté, nous trouvons : buffet, cuisinière à charbon et à bois ; sur l'autre côté : cuisinière électrique, table ; en face, sous la fenêtre : évier, avec double égouttoir.

L'escalier nous conduit au premier étage à deux grandes chambres et à la salle de bains w.-c. Nous trouvons aussi sur le palier l'échelle de meunier qui conduit à la pointe du pignon.

La chambre 1 (18 m2 environ) s'éclaire en façade principale par les deux fenêtres de l'oriel qui avance sur le pignon. Ces deux fenêtres permettent un vaste champ de vue, ainsi que l'ensoleillement à diverses heures de la journée. Sur une paroi se trouvent les deux lits jumeaux avec leurs tables de chevet. En face, sur toute la longueur, se trouvent trois grands placards avec portes à coulisse qui couvrait la partie basse du rampant de toiture. Sur le côté opposé à l'oriel se trouve encore un grand placard qui s'encastre partiellement sous l'échelle de meunier donnant accès au comble. Et, dans l'angle près des lits, il y a encore un petit réduit pouvant servir de toilette : un lavabo et un bidet y trouvent place. Dans cette pièce, il n'est pas nécessaire d'avoir une armoire. Les portes du placard peuvent d'ailleurs être traitées en menuiserie décorative, certaines peuvent recevoir des glaces.

La chambre 2 (11 m2 environ) compte un grand lit avec tables de chevet, une rangée de placards latéraux semblables à ceux de la chambre 1 et un placard sous l'échelle de meunier, la largeur de celle-ci étant partagée en deux par une cloison médiane sous le rampant.

La salle de bains (7 m2 environ) comporte baignoire, lavabo, bidet, w-c. Le plancher est légèrement en contrebas pour permettre la circulation sous le rampant du toit.

L'échelle de meunier nous conduit tout en haut dans la pointe du pignon, où nous trouvons sur le palier la porte d'un grenier devant et celle d'une petite chambre derrière.

Par l'escalier de descente de cave qui part du vestibule, nous descendons au sous-sol, qui comprend : chaufferie, buanderie, caves.

Construction.

— Les murs du sous-sol sont en maçonnerie de pierres dures du pays en mortier de chaux hydraulique avec plancher haut en béton armé. La partie apparente au-dessus du sol est en pierres brutes légèrement équarries. La maçonnerie en élévation est en briques brutes pleines de 25 (en Alsace, les briques normales mesurent 25 de long et non 22) avec crépi hydrofugé.

Le plancher du premier étage est en sapin des Vosges, sauf celui de la salle de bains qui est en béton armé. La haute charpente est aussi en sapin des Vosges. L'exécution des planchers et de la charpente est rendue simple et facile par la présence du mur de refend médian parallèle à la façade, qui monte jusqu'au faîtage et porte solivages et pannes. Ainsi il n'y a point de fermes ; le mur de refend forme coupe-feu.

Dans le plancher du premier étage, la poutre médiane est en chêne. Elle déborde en façade principale pour porter l'avancée de l'oriel, et elle est soulagée par une grande console en chêne qui repose sur un corbeau en pierre entre les volets décoratifs des fenêtres du rez-de-chaussée.

La charpente apparente de l'oriel est aussi en chêne. Le meneau d'angle s'appuie sur l'about de la poutre médiane. Le remplissage sous appuis des fenêtres forme motif rayonnant dans le style local. Les linteaux poutres sur fenêtres sont couronnés par une petite corniche volante moulurée, qui rappelle aussi le style régional.

Le petit toit au-dessus de l'oriel est couvert en tuiles écailles petit moule, tandis que les deux grands versants sont couverts en tuiles écailles grand moule, plus économique et, pourtant, d'un bel effet. Il est à noter que la tuile plate, en bonne terre bien préparée et bien cuite, est le meilleur matériau de couverture, à cause de sa triple épaisseur et à cause de sa forme convexe, qui lui donne une supériorité sur l'ardoise. Son principal inconvénient est d'être bien plus chère que la tuile mécanique, matériau moderne, médiocre, laid de forme, et, le plus souvent, outrageusement rouge. Elle est aussi plus lourde et exige une charpente plus forte. Elle demande aussi une grande pente : il ne faut guère descendre au-dessous de 100 p. 100. Néanmoins, avec la tuile d'Alsace grand moule, de tons vieux rose pâle et beige paille mélangés, je suis arrivé à une solution intermédiaire au point de vue prix, et j'ai pu coiffer joliment un certain nombre de maisons à grand toit. Toutes les fenêtres sont à petits carreaux et fermées par des volets en bois massif avec motifs décoratifs polychromes.

Les parquets sont en chêne au rez-de-chaussée, en sapin à l'étage et au comble haut. Les carrelages sont en grès cérame. La chaudière du chauffage central est au sous-sol avec réchauffeur pour la distribution d'eau chaude sur l'évier et les appareils sanitaires.

Aspect extérieur.

— Bien que petite et de façade étroite, cette maisonnette — qui est une petite maison avec de grandes pièces — se présente sous un aspect élégant et même un peu crâne, avec son haut pignon et son oriel élancé. Les fenêtres et leurs volets, le petit toit de l'oriel, forment des motifs qui vont en rétrécissant vers le haut, suivant le mouvement en pointe de la façade. L'oriel et ses volets se trouvent à peu près au milieu du triangle du pignon. Ainsi la mise en page est bien assurée, et pourtant la façade n'est point rigide et compassée, grâce à l'avancement de l'oriel qui vient comme une aigrette à l'avant d'une toque.

L'harmonie et le mouvement des lignes doivent être complétés par l'harmonie et le chatoiement des couleurs. Il y a de nombreuses solutions, mais elles doivent être traitées avec le goût indispensable. J'écris cet article en voyage. Ce matin, sur la ligne Bordeaux-Marseille, j'ai aperçu dans la campagne plusieurs maisons récemment badigeonnées en vert ... Cela peut être très joli, dans un frais paysage, une symphonie en vert ... Mais il fallait voir le vert outrageant et les autres couleurs discordantes qui venaient à côté ...

Sur le pignon arrière de la maisonnette alsacienne, vient sortir près du faîtage la souche de cheminée groupant les tuyaux de fumée ... Au-dessus règne une grande dalle plate. Peut-être viendra-t-elle y faire son nid, la cigogne ? ... Il paraît qu'elle porte bonheur ...

Gérard TISSOIRE,

Architecte.

Le Chasseur Français N°642 Août 1950 Page 494