Sait-on que beaucoup de jeunes Noirs, en A. E. F.,
pratiquent avec ardeur le scoutisme, avec les mêmes principes, les mêmes
insignes et presque le même uniforme qu'en France ? Mais ce scoutisme, il
a fallu évidemment l'adapter dans sa forme. En effet, le « mouvement »
scout est, avant tout, une réaction contre une civilisation urbaine et
mécanisée. Et la population urbaine est peu nombreuse dans ce pays ! Aussi
y a-t-il un scoutisme de forêt au Gabon, au Moyen-Congo et dans l’Oubangui ;
un scoutisme de savane au Tchad, pour ne pas parler d'un scoutisme de désert ...
Les épreuves des examens scouts, tels qu'elles sont établies
pour les petits Français, ne peuvent pas être telles quelles transposées là-bas.
L'accent doit être mis sur la construction de cases (activité
traditionnelle du pays), alors que certaines troupes ont pour local une pièce
dans une école ...
Il faut demander la réalisation de travaux de pionniers susceptibles
d'être utiles aux habitants : construction de ponts, aménagements de
stades, entretien de chemins et sentiers, etc. ... Il faut encourager la chasse
(par pièges, arcs), le nautisme par pirogue, la pêche, la cueillette
des fruits ...
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les jeunes
Africains pourraient profiter des enseignements du scoutisme européen pour
mieux connaître et aimer la nature. Ils n'ont pas l'habitude des collections
d'herbes, d'insectes, de moulages d'empreintes animales ... Nos techniques
d'expression dramatique (théâtre d'ombres, marionnettes) pourraient aussi venir
enrichir les leurs.
Nos manuels peuvent attirer leur attention sur les méthodes
du secourisme pour intervenir utilement après les accidents, et sur les règles
de l'hygiène pour prévenir les maladies.
Nous pouvons favoriser l’utilisation des techniques mécaniques
modernes : installations électriques diverses, vélomoteurs, motocyclettes,
etc. ...
Nous pouvons enfin contribuer à « civiliser » les
jeunes indigènes en affinant leur présentation, leur façon de recevoir des
hôtes ...
Toute cette mise au point du scoutisme africain doit
évidemment être, le plus possible, l’œuvre de chefs éclaireurs d'origine
africaine. C'est un des titres de fierté de Baden-Powell et de ses
continuateurs d'avoir visé et de viser à une égalité entre les membres de leur
mouvement mondial, sans distinction de race et de couleur, dans un souci
affirmé de la dignité de tout être humain. Mais souvent les adultes noirs
deviennent, selon M. Pierre Kergomard, des « déracinés sur leur propre sol ».
En effet, ceux qui ont pu passer le certificat d'études ont obtenu une place de
secrétaire dans les affaires ou un poste dans l'administration. Par une sorte
de mépris de demi-intellectuels, il leur arrive de se séparer de leurs
congénères, sans pour autant acquérir l'estime des Européens. Le scoutisme peut
et doit les rattacher à leurs traditions en leur faisant revivre la vie de
leurs frères agriculteurs, chasseurs, pêcheurs ... Il doit aussi s'appuyer
sur les instituteurs noirs, qui comprennent évidemment avec moins de difficultés
le rôle d'éducateurs bénévoles, attentifs à la personnalité des enfants qui leur
sont confiés ...
Cette action se perfectionne sans cesse, nous dit M. Jean
Estève, commissaire national des Éclaireurs de France, qui a effectué une
tournée en A. E. F., où il a été magnifiquement reçu.
L'administration française favorise un scoutisme qui, dans le pays, revêt une
importance déjà considérable, tant par les effectifs que par la qualité.
Au prochain Jamboree (qui se tiendra en Autriche, pendant
l'été de 1951), on aura la joie de voir de nombreux jeunes Africains d'A. E. F.,
fiers de leurs insignes scouts, ne reniant pas leurs traditions pittoresques et
heureux de leur appartenance à une fraternité internationale.
F. JOUBREL.
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