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Causerie vétérinaire

Le besoin des volailles en cailloux

La production des œufs nécessite un apport considérable de matières minérales représentées par l'acide phosphorique et la chaux. Un œuf moyen contient approximativement 2gr,80 de chaux et 0gr,40 d'acide phosphorique. Or les rations habituelles des volailles sont suffisamment riches en cet acide, mais pauvres en chaux. Il y a donc là une lacune à combler.

On pourrait admettre, à la rigueur, que, dans les cours des fermes, les poules trouvent les sels calcaires nécessaires dans les débris provenant des constructions diverses, mais, lorsque les volailles sont isolées dans des parquets étroits, il est évident qu'elles souffrent souvent de la pénurie de calcaire. Dans 10 p. 100 des cas, la cause de la mort des volailles a pu être attribuée à l'absence de cailloux dans le gésier. Les oiseaux qui se nourrissent de grains doivent avoir des cailloux dans leur gésier pour assurer la division de la nourriture absorbée. Dans les poulaillers nouvellement installés, avec de gros effectifs, la teneur en cailloux des parcours et des emplacements réservés aux jeunes est vite épuisée, et le renouvellement du contenu du gésier est rendu impossible.

Des recherches comparatives faites chez différentes espèces et à divers âges ont montré que l'ingestion de cailloux commence dès l'éclosion jusqu'à la fin de la croissance, les cailloux ingérés étant de plus en plus abondants et de plus en plus volumineux. Chez les poules, les cailloux ont un diamètre qui varie de 2 à 6 millimètres, leur surface est rugueuse et irrégulière. Les plus petits se trouvent chez les tout jeunes poussins. Le poids moyen des cailloux varie de 0gr,3 à 0gr,28 chez les tout jeunes poussins et de 7 à 25 grammes chez les adultes.

Chez les canards d'un an et au delà, on trouve des cailloux qui pèsent de 11 à 14 grammes ; chez les oies, leur poids varie de 19 à 28 grammes, et chez les pigeons de 1gr,2 à 3gr,8. Lorsque les cailloux sont trop petits ou trop peu nombreux, il survient des troubles de la digestion et de la nutrition, plus ou moins graves et souvent mortels. Si la déficience complète en cailloux a été constatée dès l'éclosion, les troubles apparaissent, lors d'élevage artificiel, dès les premiers jours : la nourriture, ramollie dans le jabot, passe dans le gésier et en partie seulement dans l'intestin, où les grains non divisés provoquent une obstruction de la lumière du conduit.

Dans les grands élevages de poussins, les troubles simulent une épizootie ; ils consistent en la perte de l'appétit, un amaigrissement marqué, de l'atrophie et une diminution de la consistance du gésier. À l'autopsie, le jabot est vide, le gésier rempli de grains ramollis ; l'intestin renferme des grains entiers, non digérés. Il est possible de sauver les sujets qui ne sont pas trop amaigris et qui n'ont pas complètement perdu l'appétit en introduisant dans l'alimentation un mélange de cailloux et d'un aliment recherché, et en ne donnant, pendant quelques jours, qu'une nourriture molle, autant que possible cuite, facile à digérer.

Un second groupe comprend les cas où les cailloux manquent partiellement. Les troubles s'observent alors aussi bien chez les sujets de quelques semaines que chez les adultes. On constate une diminution de l'appétit, de la tristesse, le hérissement des plumes, la démarche incertaine et de la diarrhée ; le jabot est vide ou ramolli, l'amaigrissement extrême et le gésier atrophié.

Dans un troisième groupe, on observe des cas plus graves et une mortalité en masse si les sujets privés de cailloux ont ingéré du foin de luzerne fibreux ou une alimentation riche en grains ; ces aliments, non divisés, demeurent dans le gésier et l'obstruent. Les malades ont la démarche des cigognes ; la crête est tombante et cyanosée, le jabot est gros et dur. Parfois les cailloux sont remplacés par d'autres corps étrangers, notamment du sable, souvent répandu sur le sol dans l'élevage, mais qui ne peut jouer, dans la digestion stomacale, le rôle des cailloux et s'accumule dans l'estomac parce que son cheminement dans l'intestin s'opère avec difficulté. Dans ces conditions, la division de la nourriture n'est assurée que pendant peu de temps, elle est plus ou moins incomplète et aboutit à l'engorgement, à l'obstruction complète du gésier. Parfois l'intestin participe à cette obstruction. Tout traitement est alors voué à l'échec complet.

On remédiera à l'insuffisance de calcaire dans l'alimentation des volailles en enrobant les grains de lait de chaux, ou bien encore en mélangeant aux pâtés du phosphate bicalcique, ou, plus simplement, de la craie pulvérisée. Dans tous les cas, il est bon que les poules en ponte puissent disposer en tout temps d'un dépôt de chaux, mortier et débris de maçonnerie, aménagé dans un endroit couvert et à l'abri de l'humidité. Elles y trouveront ainsi sans peine la chaux indispensable à la constitution de la coquille des œufs et s'éviteront des courses inutiles et souvent infructueuses. Enfin l'éleveur ne constatera plus dans son poulailler la présence d'œufs sans coquille, dits œufs hardés, qui ressemblent aux œufs de serpents, établissant ainsi le passage entre la classe des oiseaux et celle des reptiles.

Si actuellement les mammifères, les oiseaux et les reptiles sont parfaitement distincts et constituent des groupes assez bien délimités, il n'en a pas été toujours ainsi. En effet, dans les schistes lithographiques de Solenhofen, en Bavière, on a découvert une sorte d'oiseau ayant une longue queue analogue à celle des reptiles et des dents pointues enfoncées dans les mâchoires : c'est l'Archéoptéryx. Il n'avait certainement pas besoin de cailloux pour la trituration des grains. De sorte que ce vieux dicton : Quand les poules auront des dents, qui signifie une chose impossible, perd de sa valeur. Si les oiseaux n'ont plus de dents aujourd'hui, ils en ont été pourvus autrefois, il y a bien longtemps, à l'époque secondaire. D'ailleurs, n'existe-t-il pas encore de nos jours des animaux classés parmi les mammifères et qui pondent des œufs comme les reptiles et les oiseaux ? Ce sont les ornithorynques et les échidnés, qui vivent dans le grand continent australien. D'après Caldwell, l'échidné pondrait un seul œuf et l'ornithorynque deux. Ces œufs sont pourvus, comme ceux des oiseaux et des reptiles, d'une masse vitelline (jaune) considérable, entourée d'une coque blanche et flexible semblable à celle des œufs hardés des poules.

Sans aucun doute les êtres se modifient, varient, mais lentement, et cette évolution, bien que lente, ne procède pas par bonds, autrement dit : Natura non facit saltus, la nature ne fait pas de sauts ; c’est à nous de découvrir les êtres intermédiaires.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 620