Dans le n° 636 du mois de février 1950, j'ai traité : « Les
mines en Afrique occidentale », en insistant sur l'or alluvionnaire
extrait par les indigènes à Siguiri. C'est encore sur cette question que je
reviens aujourd'hui. Rappelons que le vrai pays de l'or, en Guinée, est formé
par les cercles de Siguiri, Kaukan et Kouroussa.
La plaine, légèrement ondulée, à travers laquelle coulent le
Niger, le Tinkisso, le Milo, le Fié, le Sankorani, aux eaux chargées de sable
arraché aux granites et aux pegmatites du bief supérieur, est formée de
nombreux schistes quartzites et micaschistes traversés de nombreux filons de
quartz aurifère percés par des éruptions basiques formant des massifs isolés
sur la plaine latéritique. Ils ont été le véhicule de l'or.
Ce « pays de l'or » était connu depuis les temps
les plus reculés et on admet que les mines existent depuis la plus haute
antiquité. La tradition rapporte que les caravanes égyptiennes et marocaines
venaient troquer des produits manufacturés contre la poudre d'or tirée par la
population locale des terres aurifères voisines du Sénégal et du Niger. Ces
mines, en particulier celles de Siguiri, ont fait la richesse des empires
mandingues. Plus récemment, elles furent l'une des plus importantes ressources
de Samory. Dans sa lutte contre nos colonnes, il se tint toujours à proximité
de la Sierra-Léone et du Libéria, afin de se ravitailler en armes et en
munitions qu'il payait en or et en esclaves baptisés ensuite « travailleurs
libres ».
Ces placers sont entièrement aux mains des autochtones, dont
les droits coutumiers reconnus sont jusqu'ici maintenus par notre
administration ; l'exploitation de l'or à Siguiri se poursuit sans
difficultés sociales ou politiques. Elle s'opère toutefois dans des conditions
assez rudimentaires, si bien que le potentiel de production aurifère de la
Haute-Guinée n'est pas utilisé à plein.
Les géologues et ingénieurs ont recherché les filons à haut
rendement et étudié la façon d'employer des méthodes d'extraction mécanique.
Très peu se sont attachés à améliorer les méthodes extractives utilisées par
les autochtones ; pourtant, c'est la base du problème : le cercle de
Siguiri compte seulement de 12.000 à 15.000 mineurs y résidant constamment,
mais il y faut y ajouter 100.000 étrangers venant des régions voisines et même
lointaines, de Ségou (Soudan), Odienne (Côte-d'Ivoire), etc. Ceux-là retournent
dans leur pays d'origine dès que la saison des travaux de culture commence ;
employés comme manœuvres, ils ne viendraient pas, acceptant fort mal d'être traités
en salariés. En effet, l'or trouvé par chaque mineur lui revient intégralement ;
il le vend au fur et à mesure de ses besoins. Pour être mineur, il suffit de
payer une patente. Les techniciens n'ont pratiquement rien fait jusqu'ici pour
perfectionner les méthodes ancestrales.
En juin 1949, M. Paul Tétau, conseiller de l'Union
française, élu par la Guinée, rentrant dans la Métropole, évoqua devant
l'Assemblée de l'Union française cette importante question. Il déposa sur son
bureau une proposition tendant à inviter le Gouvernement à prendre d'urgence
toutes mesures nécessaires en vue d'élaborer un programme de développement de
la production aurifère de la Haute-Guinée, programme basé sur l'amélioration
des méthodes employées par les autochtones. De plus, il demandait aux Pouvoirs
publics responsables d'envisager la construction de routes facilitant l'accès
des mines aux habitants dont les villages sont souvent fort éloignés des
placers. Voici d'ailleurs ses principales propositions :
— Maintien des droits coutumiers à Siguiri ;
— Obtention d'outils perfectionnés ou pratiques à la
place des pics, de pompes simples et commodes pour le vidage des puits inondés,
de machines simples et pratiques pour le lavage de l'or ;
— Amélioration du commerce de l'or, en promulguant,
dans les Territoires d'outre-mer, la loi du 2 février 1948 sur la liberté
du commerce de l'or ;
— Nécessité d'installer un appareil pour le titrage de
l'or à Siguiri ;
— Donner satisfaction aux vœux du Conseil général de la
Guinée demandant : la suppression du privilège de la Caisse centrale de la
France d'outre-mer et celle de l'option de la Chambre syndicale des mines ;
— Liberté de la détention, de la circulation et du
commerce de l'or à l'intérieur de l'A. O. F. et celle de
l'exportation de l'or, conformément à la réglementation douanière et de
l'Office des changes.
La proposition de M. Tétau, légèrement modifiée, a été votée
à l'unanimité par l'Assemblée de l'Union française.
M. Maurice Montrat, autre élu de la Guinée, rapporteur
de la proposition, n'écrivait-il pas : « ... Le plus ancien et le
plus important, par le nombre, d'orpailleurs, est incontestablement celui de
Siguiri. C'est particulièrement ce bassin qui nous intéresse. »
En Guinée, les droits coutumiers de la population ont été
reconnus et maintenus par notre administration, en vertu des traités passés
avec les chefs indigènes au moment de la conquête. Ces traités ont été codifiés
par les réglementations minières successives, notamment par l'article 22 bis
du décret du 23 décembre 1934, et leurs dispositions s'appliquent dans
toutes les régions d'orpaillage traditionnel, à l'exclusion des gisements
alluvionnaires des grandes rivières (comme le Tinkisso) qui, pour l'autochtone,
sont inexploitables. Les orpailleurs gardent donc leur droit de découvrir et
d'exploiter librement les gisements, selon leurs coutumes, leurs traditions,
que la France s'est engagée à respecter.
Cependant, les premières années de l'occupation, l'or attira
les prospecteurs : des sociétés s'intéressèrent à l'exploitation aurifère ;
des essais furent entrepris avec des machines modernes. C'est ainsi que nous
avons connu, dans le cercle de Siguiri, des sociétés à Fotoya, à Herclinian, à
Didi et même sur la rivière Tinkisso. Il ne reste plus de ces sociétés que des
ferrailles rouillées et inutilisables.
En 1937, M. Valdant, aujourd'hui sous-directeur des
Affaires économiques à l'époque administrateur à Siguiri, écrivait : « Cet
échec se comprend. Tout d'abord, la couche aurifère se trouve à une dizaine de
mètres de profondeur ; sa teneur est faible et variable : 8 grammes
au mètre cube (5 grammes au plus, d'après la Direction des mines). Les
gisements sont très irréguliers, et l'exploitation ne peut avoir lieu qu'en
saison sèche, car il faut que le niveau hydrostatique ait baissé pour permettre
le travail sans danger. »
L'organisation de l'orpaillage n'empêchera pas (là où il y
aura possibilité) l'installation des sociétés à grand matériel mécanique
pouvant traiter les gisements filoniens comme le font déjà, depuis 1911, la
Compagnie des mines de Falémé-Gambie sur la Falémé, la Gambie, le Tinkisso et
leurs affluents, ainsi que la Société minière du Dahomey, depuis 1941.
Victor TILLINAC.
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