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Les distractions du campeur

Bien souvent des amis — qui n'étaient pas campeurs — m'ont posé cette question : « Mais qu'est-ce que vous pouvez bien faire pour vous distraire lorsque vous avez monté votre camp ? Moi, il me semble que je m'ennuierais !» S'ennuyer en camping, voilà une chose qui est bien inconnue.

Pourtant, de tous les vrais campeurs il y a tout d'abord le plaisir de la randonnée par elle-même, qu'elle soit pédestre, nautique, cycliste ou même motorisée. C'est la joie de la découverte, du voyage, de l'aventure, du paysage qui change à chaque instant, à chaque tournant de la route ou du sentier.

Puis il y a la joie toujours renouvelée d'installer son « home » le plus confortablement possible. Un campeur aime à monter sa tente, à installer son « petit coin de nature ». Il y a ensuite la joie de se reposer, de se détendre, soit après une marche fatigante, soit même, pour les automobilistes, de se reposer au grand air après une semaine de travail. Et je ne blâme pas les campeurs qui profitent du week-end pour dormir tout leur saoul, bien qu'à mon sens tant de distractions sont possibles que l'on n'a jamais le temps de faire tout ce que l'on voudrait.

Si l'on est nombreux sur un camp, il y a les jeux. Mais oui ! les jeux. Car il y en a pour tous les âges, et le jeu est une excellente détente. Jeux sportifs comme le volley-ball, le basket, la médecine-ball, les courses, etc. Jeux plus calmes comme tous les jeux d'astuces, d'orientation ou de débrouillardise.

Ne souriez pas, campeurs adultes qui me lisez. Certains grands jeux sont passionnants, aussi bien pour les « anciens » que pour les jeunes. D'ailleurs, les campeurs sont toujours jeunes.

La chasse et la pêche ont leurs adeptes fervents, cette dernière surtout. Je connais quant à moi. de nombreux camarades qui, tous les dimanches, sont hors de leur tente dès l'aube pour aller surprendre chevesnes ou truites.

Les chasseurs sont moins nombreux parmi les campeurs. Cela se conçoit assez bien d'ailleurs, étant données les conditions de la chasse en France. Cependant, avant la guerre, un groupe de campeurs-chasseurs s'était réuni au sein du Camping-Club, et ses membres étaient tous enchantés d'être ainsi à pied d'oeuvre dès le petit matin.

Pour d'autres, le camping, c'est le grand livre de la Nature grand ouvert à leur portée. Que de choses peut-on étudier en se promenant à travers champs et bois !

Il y a d'abord la botanique, un peu revêche et déroutante au début, mais qui devient vite passionnante. Beaucoup de campeurs se spécialisent d'ailleurs, par exemple, dans l'étude des champignons, des arbres, des mousses, etc.

La zoologie a ses disciples. Soit la zoologie générale, soit l'étude de certaines familles comme les insectes, les reptiles. Un vieux campeur de mon club est devenu attaché au Muséum, après avoir étudié, en camping, les araignées, les chauves-souris et les tritons ! L'ornithologie également a souvent passionné des campeurs, qui ont apporté un concours précieux à la Société ornithologique de France en procédant à des baguages d'oiseaux migrateurs.

Il y a encore la géographie physique que le campeur est à même, plus que quiconque, d'étudier sur place. Au cours des randonnées, ne suit-on pas souvent un torrent depuis sa source, en passant par ses gorges, jusqu'à la vallée? Et que d'observations peut-on faire alors sur l'érosion, les cônes d'alluvions, les confluents, etc. ; en montagne, sur l'érosion glaciaire ou éolienne, sur le modelage de la surface de notre pays par les rivières et les glaciers. Un campeur avide de s'instruire observera au passage les différents lacs, le débit des fleuves, leur couleur ; il suivra le circuit de l'eau dans la nature. Il aimera tous les ciels, même le ciel chargé de cirrus annonciateurs d'orage, même un ciel rempli de cirro-nimbus ou de nimbus générateurs de pluie. Et, sans y penser, il fera aussi de la géographie, alors que bien souvent sur les bancs de l'école il avait trouvé cette science fastidieuse.

II en arrivera vite à se, passionner pour la géologie et s'arrêtera avec joie devant certaines failles qui lui montreront, comme dans un schéma naturel, les diverses couches superposées d'un terrain. Ou bien il découvrira des fossiles qu'il collectionnera, faisant ainsi—sans le savoir — de la paléontologie. Ces sciences l'amèneront peut-être au bord d'une caverne, et peu à peu la spéléologie l'attirera et il ne pensera plus qu'à chercher ou découvrir de nouveaux « trous».

Mais le campeur a la facilité de se consacrer à une autre série de sciences, qui ont un rapport plus direct avec l'homme : l’anthropologie, la préhistoire, l'histoire, la géographie humaine. Si la première est trop scientifique pour beaucoup, des découvertes préhistoriques sont souvent plus à la portée du campeur curieux. Dans le Tarn-et-Garonne, j'ai campé près d'une grotte dont le sol, à quelques centimètres de profondeur, fourmillait de pierres néolithiques fort intéressantes.

L'histoire, je n’en parlerai pas. C'est l'étude la plus pratique pour tous les touristes amateurs de visites de châteaux et de remparts, de musées, d'églises ou de cathédrales.

Quant à la géographie humaine, c'est une science assez nouvelle que le grand maître Brunhes m'a fait aimer dans ses magnifiques ouvrages. C'est la manière dont les villes se sont formées à cause de la configuration du sol. C'est l'étude de l'influence du climat sur les formes de l'habitation, sur le caractère et le physique des hommes, c'est une foule d'études passionnantes sur les rapports de la géographie physique avec l'agriculture, etc. Enfin, non scientifiques, mais fort intéressantes sont toutes les observations folkloriques qui sont à la portée du campeur et qui lui permettent de s'intéresser aux coutumes, mœurs, chants et costumes locaux,

II y a enfin la beauté de la Nature en elle-même, qui offre aux artistes campeurs tant de sujets d'esquisses, d'aquarelles ou de pochades.

S'ennuyer en camping ? Mais comment pourrait-on faire ! A moins qu'on ait décidé de faire du camping uniquement dans le but de faire des économies (ce qui n'est pas prouvé) ou tout simplement, par une pointe de snobisme, parce que c'est la mode.

Jacques-J. Bousquet,

Président du Camping-Club de France.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 32