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Grande culture

Il faut espérer

En ce début d'année, à l'heure où nous écrivons, les gens prennent un air contrit et échangent de sombres pronostics sur les temps à venir. L'euphorie des fêtes de fin d'année, la joie de combler enfants, parents et amis de cadeaux avaient fait abandonner soucis et sombres perspectives. La trêve des confiseurs passée, on recommence à prêter l'oreille aux nouvelles d'apprêts guerriers de toutes sortes, aux récits de dévastations meurtrières. Faut-il vraiment désespérer ?

En ce beau dimanche, le soleil est radieux ; quelques mouches se réveillent dans les maisons, il semble que des oiseaux se fassent entendre et, ce soir, la nuit tombera déjà un peu moins vite au dehors, plus de neige, plus de glace ; les blés auraient-ils l'intention de se réveiller, la charrue ne va-t-elle pas sortir faire les derniers labours, et n'est-il pas temps de tracer le programme du printemps ?

Comment composer ce programme, sur quels produits se baser pour assurer la trésorerie, miser sur des recettes qui ne rentreront qu'en 1952 ? Dépenser avec certitude à la hausse et courir le risque de la baisse lorsque le moment de livrer arrivera ; les planteurs de tabac n'en savent-ils pas quelque chose actuellement, les achats à l'extérieur ne constituent-ils pas le suprême moyen d'arranger les cours et de satisfaire à des programmes qui dépassent l'entendement des paysans ?

Alors, certains parlent d'abandonner, ils envisagent même la jachère comme moyen de résistance, oubliant peut-être qu'il y a des hommes qui attendent leurs moyens de vivre des journées de labeur, oubliant aussi qu'on ne ferme pas un hectare de terre comme on clôt un chantier ou un atelier ; la parcelle qui serait vouée au travail peu coûteux, qui rejoindrait la friche à l'occasion, n'est-elle pas solidaire des autres champs de la ferme où se poursuit la besogne et qui supporteraient un supplément de frais généraux, fermage, impôts, etc. ?

Fait curieux, mais combien réconfortant, il reste une jeunesse pleine d'entrain qui est tout simplement de son époque, qui vit avec elle, en est pénétrée et essaie de s'y adapter, sentant peut-être naïvement, mais avec conviction, qu'il est meilleur de regarder en avant que de pleurer sur ce qui aurait pu être mieux.

Les milieux agricoles sont très complexes, et il n'est pas facile de discerner les mouvements qui les animent : question de pays, de terroir, d'âge ; seulement, une chose me semble caractéristique, c'est le développement des groupements de jeunes. Si on essaie de comprendre leurs réactions, on est surpris du désir extraordinaire de « savoir » qui se manifeste ; je laisse de côté les élus, qui ont suivi une voie qui leur a été tracée pour que la vie leur soit plus douce, non pas que cette catégorie de jeunes agriculteurs doive se classer à part, car là aussi des réflexes profonds ont surpris ; quelque chose change, avec moins de spontanéité, plus de retenue peut-être, mais il n'y a pas acceptation de slogans répétés par les anciens, même appuyés par de savantes démonstrations économiques.

Ce qui me frappe, c'est la soif de technique. J'ai été témoin en décembre de la véritable ferveur avec laquelle deux cent cinquante jeunes agriculteurs de Seine-et-Marne, moyenne et même petite culture, un peu de grande, étaient venus pendant deux jours au centre du département entendre des conférences sur les sujets les plus divers. Sentir devant soi deux cent cinquante hommes jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, groupés par quelques chefs de file animés d'une foi profonde, savoir que, le lendemain, des groupes intercommunaux confronteront leurs points de vue, échangeront des réflexions, se communiqueront leurs réflexions, mais c'est le meilleur cordial à prendre, à savourer au milieu des gens à figure plaintive et inquiète.

Les jeunes de la Sarthe, jeunes gens et jeunes filles, sur des bases un peu différentes, travaillent de la même manière, et ailleurs, avec plus ou moins de succès, on avance. Je voyais en décembre aussi ce bel établissement d'Ernstein, en Alsace, où, magnifiquement installés, des jeunes filles, internes suivent l'enseignement ménager agricole, des jeunes gens venus chaque jour suivent, dans des locaux bien appropriés, l'enseignement d'hiver. Je sais qu'il y a des départements hésitants ; peut-être manquent-ils d'animateurs, la foi y est-elle moins profonde, s'en tient-on davantage aux regrets d'un individualisme dont les malheureux faisaient toujours les frais ...

Ce qu'il y a de certain — et là je retrouve le vrai visage de la France, — c'est que le besoin de la connaissance fait crouler les programmes officiels sur l'enseignement agricole. Réjouissons-nous de voir la jeunesse chercher en elle sa propre expression au lieu d'attendre que de doctes personnages, ayant oublié leurs ans, lui dictent des résolutions déjà périmées parce que vides de toute vitalité.

Alors, il faut espérer ; sans doute, ce serait injuste de ne pas dire à tous ces jeunes remplis de bonnes intentions qu'on a travaillé avant eux, que d'illustres savants ont ébauché les premières notions de chimie agricole, que des chercheurs infatigables essaient d'arracher les secrets des réactions qui s'accomplissent au sein de la terre arable, des mystères qui président encore au métabolisme animal. Ce qui est connu ou qui est déjà démontré étant exposé avec simplicité, c'est la porte ouverte à la curiosité, à la collaboration, magnifique liaison entre cet académicien et ce paysan dont rêvait Boussingault. De quel recueillement n'est-on pas pénétré en lisant une correspondance simple d'un homme qui a peiné et veut encore trouver, le soir ou un jour de pluie, le temps de demander un éclaircissement.

Mais voilà, pour travailler avec cette belle ferveur, pour ne pas être sous la menace des charges qui guettent le moindre franc sorti du sillon, il faut non seulement espérer, mais sans prétention, avec une simplicité toute naturelle, montrer que l'on sait travailler, avoir la patience, la volonté de se perfectionner, la force de se connaître. Il faut guider ces mouvements de jeunes, mais ne pas avoir la prétention de les conduire, ni de les diriger. Ainsi, il sera permis d'espérer.

L. BRETIGNIERE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 165