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La mission Pierre Fourré

en Afrique Occidentale française

Sous le patronage de la « Ligue française de l'enseignement », le chef éclaireur de France Pierre Fourré, âgé de trente-trois ans, professeur d'anglais à Coulommiers, a effectué récemment un voyage d'études et d'exploration au Soudan français. Pierre Fourré était accompagné de huit autres routiers, âgés de vingt à trente ans : un photographe, un cinéaste, un peintre dessinateur, un naturaliste, un professeur de .géographie, un médecin, un instituteur et un employé.

Le but de la mission était de ramener du voyage tous les éléments susceptibles de présenter de façon vivante, dans la meilleure ligne de l’éducation active, les divers aspects de cette région de l'A. O. F. Ces éléments sont maintenant fournis aux maîtres de l'enseignement du premier et du second degré, pour leur permettre d'illustrer leurs leçons.

Partis de Marseille le 14 juillet, dans la classe « émigrant » d'un pauvre bateau, les chercheurs arrivaient à Dakar le 22 juillet. Ils y sont reçus par le gouverneur général Béchard et des camarades éclaireurs de France. Le 24, ils prenaient le train pour Bamako, où ils y débarquaient après 1.900 kilomètres de rail, couverts en quarante-six heures. Le gouverneur de Bamako leur prête alors un camion et deux chauffeurs, et, après avoir passé le Niger sur un bac, l'équipe se lance sur la piste, dans la brousse. Le camion avance tant bien que mal sur les bosses d'argile rouge, bientôt transformées en marécage par une pluie diluvienne.

La nuit, un routier doit patauger devant le camion pour le guider, tout en se protégeant des moustiques attirés par les phares. L'expédition arrive enfin à Bandiagara, en pays Dogon, où les indigènes consultent le sorcier pour toutes leurs entreprises. Puis elle se sépare en deux groupes, l'un gagnant Tombouctou à dos de dromadaire, l'autre montant en pirogues pour atteindre Dienné, sur le Niger gonflé par les pluies. Chant nasillard des piroguiers, rythme sourd des tam-tams, museau des caïmans, danses des noirs à l'étape, l'aventure prit là ses notes les plus pittoresques.

Au village de Néré-Koro, situé à 150 kilomètres au nord-est de Ségou, vers le barrage de Sansanding, toute l'équipe se retrouve. Elle s'y installe pour trois semaines, relève le plan du village, étudie, photographie, filme la vie des habitants, leurs métiers. Le tisserand est, avec le potier, le seul artisan du pays. En plein air, sur un métier étroit, il fabrique des bandes qui, assemblées, donnent des couvertures et, plissées, des vêtements. Il ignore en effet les ciseaux.

Au bord du Niger, chacun est piroguier. Les éléments des pirogues sont lacés ensemble, et les trous sont bouchés avec de l’argile, précautions qui n'empêchent pas l'eau d'envahir les embarcations !

D'une manière générale, la population indigène vit d'une façon extrêmement pauvre et primitive. Le Niger est pratiquement la seule voie de communication digne de ce nom, les pistes étant inondées pendant presque la moitié de l'année. Il est aussi, par son poisson, la principale réserve alimentaire. C'est au nord du fleuve que se tiennent les marchés, où affluent pécheurs et acheteurs venus de plus de 100 kilomètres. Le barrage édifié à Sansanding devait provoquer l'extension de la culture du coton et du riz, en permettant d'amener l'eau sur les terres desséchées pendant six mois. Mais le Niger est moins limoneux et fertilisant que le Nil, par exemple, et le sol, faute d’engrais, demeure très aride. L’administration tente bien de stocker le mil en période d'abondance, mais les cours montent aux époques de disette et l'indigène, trop souvent, ne peut pas en acheter. Il est alors réduit à un repas par jour et doit parfois se contenter de feuilles de baobab pilées.

Le mil lui-même est d'ailleurs une céréale moins nutritive que le riz. Les noirs retournent la terre avec la dabba, sorte de petite pioche, seul instrument agricole qu'ils connaissent. Quand ils doivent au préalable défricher la brousse, ils y mettent le feu. Ce sont les femmes, on le sait, qui doivent, pendant deux ou trois heures par jour, piler le mil.

Le sorcier, le griot, trace sur le sable des cases représentant les groupes familiaux. Il y plante des morceaux de bois et y pose un appât que le fenuck, petit renard, vient manger. C'est d'après les traces laissées et les morceaux de bois renversés que le sorcier établit ses interprétations.

Toutes ces observations, que d'autres ont pu faire avant eux, les compagnons de Pierre Fourré les ont présentées de façon vivante, susceptible d’intéresser activement les élèves des écoles françaises à cette partie de notre Union d'outre mer. La mission rapporte du village de Néré-Koro un film de 16 millimètres sonore, 1.500 photographies, 250 aquarelles et croquis, 2 tonnes de documents. Elle a établi des maquettes, des graphiques, tous les éléments d’une exposition conçue selon les données les plus modernes et les plus attrayantes.

Elle se propose de repartir vers de nouveaux territoires mal connus. Elle fera encore profiter nos jeunes compatriotes de ses découvertes, tout en conservant comme objectif d'arrière-plan le souci de contribuer à l'essor de populations insuffisamment développées et à les amener dans le courant de notre civilisation.

F. JOUBREL.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 183