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Grande culture

La future moisson

En ce début de mai, froid et pluvieux, il serait bien osé de pronostiquer la nature de la future récolte de céréales. Les champs ne sont pas tous verts, de cette belle couleur qui égaye le printemps ; dans les terres humides, et l'on s'aperçoit de leur importance en France lors de circonstances de ce genre, de larges taches jaunes, une piètre allure sont des sujets d'inquiétude. Dans la région de Paris, on attend les premiers épis qui doivent indiquer que juin est arrivé ; le retard sera-t-il compensé ? N'en disons pas davantage, attendons et espérons.

Les céréales de printemps finissent d'être ensemencées, et il est vraisemblable que les emblavements ne seront pas complets, rejoignant dans cette insuffisance les étendues consacrées aux céréales d'hiver. Au 1er avril, on notait 5.508.000 hectares de céréales d'hiver contre 5.559.000 à la même date en 1950 ; 563.000 hectares de céréales de printemps contre 1.807.000 en 1950 ; dans l'ensemble, 18 p. 100 de moins. L'aspect des cultures apparaissait avec la note générale moyenne de 68 (sur 100 = très bon) en 1951, au lieu de 76 en 1950. Encore une fois, il ne faut pas pousser le tableau au noir, mais, dans deux mois et demi, quelques jours après l'apparition de cette chronique, la moisson sera arrivée, terminée même dans les secteurs méridionaux.

Cette future moisson pose d'autres problèmes que ceux de son importance et de son aspect ; je laisse volontiers de côté son aspect économique, car jusqu'au 1er août on discutera âprement sur le prix du blé, qui, lui-même, conditionne parfois, sans une relation bien établie, le prix des céréales dites secondaires : seigle, orge et avoine. Entretenons-nous seulement de la moisson elle-même.

Des changements étonnants se sont produits depuis une dizaine d'années et surtout depuis la fin de la guerre. Avant 1939, des agriculteurs très avertis avaient mis en route la moisson complète avec des machines qu'après les pays grands producteurs de céréales l'Afrique du Nord avait largement adoptées — nécessité pour moissonner sans difficultés les grandes étendues ensemencées dans les domaines de culture européenne. Il ne faudrait pas croire d'ailleurs que la moisson à la main avait été complètement délaissée ; je me souviens avoir vu côte à côte la récolte suivant les méthodes nouvelles et le faucillage par poignées bien alignées, dont le comptage sert à déterminer le paiement à la tâche.

En France, l'adoption de la moissonneuse-batteuse est apparue comme un moyen de suppléer à la main-d'œuvre insuffisante, d'abréger les opérations et de chercher en même temps à réduire les frais de production à l'hectare. Le prix des produits agricoles n'est pas conditionné par le coût de production, mais par le désir de réduire les frais d'alimentation dans le budget familial ; celui-ci, de jour en jour, supporte des charges résultant de profondes modifications dans le genre d'existence de tous les hommes ; il faut donc bien prendre corps avec les réalités ; en ce domaine, l'agriculteur ne fait que suivre, même avec retardement, l'industriel qui accroît la dimension de ses métiers à tisser, le banquier qui remplace les comptes à la main par la mécanographie.

Ici, première réflexion commune à toutes ces activités : il faut commencer par des investissements ; on ne peut les faire que sur les réserves, sur les provisions constituées en vue des améliorations générales, exactement comme l'épargne publique a permis depuis un siècle de créer et de développer le réseau des chemins de fer. Il est évident que, tout en assurant la rémunération des capitaux ainsi engagés, il faut un certain temps pour que la mécanisation soit en place, qu'on l'ait adaptée à un nouvel équilibre ; à partir de ce moment, vraiment, la machine provoque une diminution sérieuse du coût unitaire de la production.

Dans un tissage, dans une banque, la machine répond exactement au but qu'on lui a assigné ; presque mathématiquement, les fils se réunissent, les comptes apparaissent dans des tableaux. La moissonneuse-batteuse ne fonctionne pas à l'abri, le ciel la domine. Tantôt le temps est magnifique, sec : tout fonctionne bien ; tantôt —et bien que juillet soit arrivé — les grains ont du mal à sécher, le ciel est couvert, la pluie tombe par instants ; les conditions de fonctionnement sont toutes différentes. Que l'on ne s'étonne pas des écarts considérables dans les heures passées au travail suivant ces circonstances. Ainsi, en 1950, entre un champ complètement versé et même tourbillonné par suite des orages et une pièce où l'on opérait sur les quatre faces, nous avons enregistré, à la ferme expérimentale de Grignon, des temps passant du simple au double.

N'importe, même dans des champs versés, la moissonneuse-batteuse se comporte parfaitement bien et laisse des champs aussi nets que lorsqu'on utilise la moissonneuse-lieuse, elle-même réalisant un travail plus propre et avec moins de pertes que la moisson à la main. Ce qui différencie les genres de moisson, c'est encore le moment de la coupe. D'année en année, on a préconisé, selon les méthodes anciennes, de couper plutôt sur le vert, à la condition de dresser les gerbes en tas au lieu de laisser les « diziaux » allongés ; on recommande même de protéger la moyette par des gerbes retournées formant capuchon, comme les cultivateurs attentifs l'exécutent sur le littoral de la Manche, dans le Nord, pratiques qui se prolongent en Belgique et dans les Pays-Bas ; on est certain de rentrer des grains suffisamment secs, dont la conservation en gerbes sera assurée.

Avec la moissonneuse-batteuse, il est indispensable que le grain soit mûr pour que l'égrenage mécanique soit assuré. Ainsi vont se produire des risques par l'égrenage sur pied : il ne serait pas difficile de perdre par le vent 1, 2 quintaux par hectare. Nécessité nouvelle : ensemencer des variétés ne s'égrenant pas ; problème posé à la génétique qui doit nous mettre à l'abri de bien des maux. Il faut encore avoir la patience d'attendre que la récolte soit sèche sur pied, il faut aussi des céréales propres et, éventuellement, se soucier de l'emmagasinage et du conditionnement de ces grains arrivant en masses. Ainsi, rien ne s'obtient sans peine, et, si l'on doit être reconnaissant aux inventeurs qui dotent le parc agricole d'engins merveilleux, il est équitable de rendre hommage au talent de ceux qui savent se servir du matériel conçu pour leurs besoins et pour diminuer aussi la peine des hommes.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 421