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La chasse en Afrique Noire

Au gré de ses séjours dispersés, un de mes amis, qui s'était particulièrement intéressé à l'art cynégétique, s'était constitué une collection fort variée de petits pièges ou de dessins réduits, de trappes et autres dispositifs de capture pour les gros animaux. En plus des siens, j'en ai vu d'autres, de modèle assez différent, mais tous sont constitués par des assemblages de lamelles de roseau, de noeuds coulants, de fermoirs ou extensoirs de bambou plein qui, comme l'acier, reviennent à leur position primitive dès qu'ils sont relâchés ou resserrés par les lanières de fibres qui les assujettissent ou les emprisonnent. Ils sont déclenchés par un dispositif, à la fois simple et ingénieux, qui agit sous le poids de l'animal qui « donne dans le panneau », ou par le tiraillement des mâchoires qui « mordent à l'appât ».

Sur certains marchés, on trouve ainsi de ces cages pleines de perdrix, de cailles ou autres oiseaux de tout plumage.

L'emploi des pièges, direz-vous, n'est pas très sportif. Outre que les Noirs n'ont de l'esprit chevaleresque que des notions instinctives, en certains cas, il faut admettre aussi que, lorsque nécessité fait loi, on supplée à la précarité des moyens par des stratagèmes qui sont parfois les seules armes possibles devant des animaux qui, ici, en emploient souvent des équivalents sous une autre forme.

Contrairement aux pêcheurs, les chasseurs ne constituent pas, à vrai dire, une caste. Tout le monde peut s'adonner à la chasse et ne s'en prive pas si telle est son envie. Toutefois, certains sujets particulièrement habiles en font profession. Suivant le gibier à traquer, ils se réunissent à quelques-uns, ou opèrent individuellement.

Le plus souvent, la chasse est collective. Les hommes d'un ou plusieurs villages se groupent et partent en campagne en un lieu propice. Des rabatteurs, « armés » de tam-tams, encerclent .une vaste « demi-lune » et traquent tout ce qui porte poil ou plume dans une étroite vallée où sont tapis les « tueurs » ... Au milieu des « froufroutements », des frôlements et du piétinement des fuites éperdues, les sagaies pleuvent, des coups de fusil répercutent leurs échos, des coups de trique assomment et des flèches sifflent ...

Parmi les antilopes de toutes tailles, les phacochères, les hérissons, les fauves de tout calibre, etc., on ne relève pas que des animaux morts ou agonisants, mais ... c'était écrit ... Inch Allah ! ... De nombreux indigènes et quelques Européens portent, incrustées dans leur chair, les profondes striures de griffes terribles.

L'arc est encore employé, mais très peu. Les harpons de flèche et les lames de sagaie sont enduits de sucs qui paralysent très rapidement l'animal, pour un certain temps, sans lui empoisonner le sang.

A la manière de nombreux Européens, ou par l'imitation des feux de nos camions, de nombreux Noirs opèrent par nuit sans lune, avec un réflecteur à piles électriques ou à acétylène, qui éblouit l'animal.

En plus d'un long poignard, ils sont armés d'un bien plus long fusil à piston, à amorce ou à pierre, qui a fait merveille entre les mains des vieux « grognards », si ce n'est des « sans-culotte ». Terriblement et sans cesse rapetassées par le forgeron et le cordonnier, avec du fil de fer, des couvercles de boîtes de conserve et des manchons de peau brute, ces armes, sont encore redoutables et solides, grâce aux gris-gris qui les recouvrent, elles et leurs fusilleurs.

Avec du papier ou des étoupes de fibre et une poudre rudimentaire qu'ils fabriquent généralement eux-mêmes, ils les bourrent, parfois jusqu'à la gueule, avec des cailloux, à défaut, d'autre chose, ou, ce qui est excellent, avec des débris de ferraille coupée au burin, ou de la fonte provenant d'une marmite cassée qu'on paye s'il faut avec un « petit la viande » (dogomani sogo), c'est-à-dire avec un petit gibier.

A défaut de précision, qui n'est pas ici la meilleure qualité de l'arme, ces projectiles tranchants, tirés de près, ont une puissance de choc considérable et infligent des blessures terribles. Avec de la patience, le jour, la bête finit par passer à bonne portée ; la nuit, si elle « tient bien la lampe », on peut l'approcher à dix mètres. Chaque coup fait « grosse mouche. »

Même par nuit très noire, les Noirs en général, et les chasseurs en particulier, ont un instinct très sûr de l'orientation. Une fois pour le moins, leur sixième sens me fut fort salutaire.

Avec un ami, nous étions partis dans une vieille B. 12 « passe-partout » que nous avions transformée en torpédo en l'amputant de ses superstructures. Nous avions l'intention de nous octroyer un « méchoui » (1) d'antilope. On était en saison des pluies et pas une seule étoile ne brillait au ciel. Au premier village rencontré, nous avions pris avec nous deux chasseurs noirs qui devaient nous emmener dans une sente peu fréquentée que nous ne connaissions pas.

Deux braises furent happées soudain par le faisceau de ma lampe frontale ; elles étaient rouges et assez écartées ; ce devait être un fauve d'assez forte taille. Je descendis de voiture, suivi d'un chasseur noir ...

La bête tenait mal la lampe ; elle « coulait » ; ses yeux s'abaissaient et disparaissaient pour réapparaître vingt mètres plus loin. Elle nous entraîna ainsi sur plusieurs kilomètres à l'intérieur d'une brousse assez claire ... Au contour de chaque broussaille, je m'efforçais de conserver la notion de la direction du retour ; mais il est pratiquement impossible, surtout dans le « feu » d'une poursuite, de revenir exactement en « ligne d'angle ». Lorsque je dus abandonner tout espoir de reprendre contact avec la bête, j'avais nettement l'impression d'avoir laissé les amis vers la droite, et me voilà parti en furetant ...

— Où ti vas; Moussié ? Y a pas bon là-bas.

— C'est toi qui t'es fichu dedans, Tanga.

Ai ! Toubabou'ké, naia sissan. (Non ! Homme blanc, viens tout de suite.)

Et il fila comme un trait, du côté presque opposé. Je n'avais que la ressource de le suivre, mais le chemin me paraissait long ... Enfin ! une lueur apparut au loin et quelques faibles détonations parvinrent jusqu'à nous ... Re-merci, Tanga ...

Un sous-officier périt ainsi d'une mort atroce, en 1947, aux environs de Saint-Louis-du-Sénégal. Il s'était égaré, en plein jour, dans les mêmes circonstances que moi. Il a dû « tourner en rond » pendant longtemps, puis ... le soleil, le désarroi, la soif, l'angoisse, le vertige, la fièvre qui vient accélérer l'oeuvre de déshydratation ... L'infortuné fut retrouvé tout recroquevillé et desséché.

Les chasseurs noirs sont aussi d'habiles « pisteurs ». Ne pouvant utiliser les chiens, sur un sol surchauffé qui « brûle » les fumets et a dégénéré les flairs, ils excellent à repérer et à identifier le moindre indice ancien ou récent.

Marcheurs infatigables, avec une outre d'eau, quelques noix de kola et un petit sac de cacahuètes qu'ils renouvellent, à l'occasion, en faisant un détour dans quelque village, ils peuvent suivre pendant des jours une trace intéressante. Lorsqu'ils ont repéré le gîte, ils vont chercher aide s'il y a lieu ; l'animal encerclé est percé de mille coups. On danse alors la cannibale ; on découpe en lanières la viande à emporter qu'on fait sécher et fumer, et on dévore à belles dents.

Un de leurs procédés de cuisson, qui est pour eux le grand régal, est assez curieux. Il consiste à creuser un trou dans le sol et à y faire du feu assez longtemps ; après quoi, on y introduit un petit animal non écorché ni vidé, ou un morceau de viande plié dans de la peau. On recouvre le tout d'une pierre très chaude qu'on enfouit à son tour sous de la terre, et on attend en dansant ... C'est en somme un « étouffé », comme diraient nos bonnes cuisinières qui s'y connaissent. Quand cela est bien cuit, la peau bien grillée et noire se détache comme une pelure d'oignon, et une belle chair rose, fumante, odorante et tentante apparaît. Si on n'a pas de sel, on met un peu de cendre. C'est délicieux. Essayez ...

La réglementation de la chasse ne fait pas l'objet d'une surveillance très rigoureuse. En dehors des grands centres, faute de moyens d'investigation qui seraient plus onéreux que lucratifs, le Service des contributions indirectes, qui est aussi clairvoyant qu'ailleurs, semble fermer les yeux et on l'en remercie. Toutefois, certaines variétés de gros animaux, particulièrement vulnérables lors de leurs passages saisonniers, en des lieux bien déterminés, ne tarderaient pas à disparaître sans une protection aussi efficace que possible.

Aux chasseurs européens qui viennent faire campagne, on délivre un permis de « grande chasse » qui donne droit à inscrire au « tableau » un certain nombre de girafes, éléphants, hippopotames, grosses antilopes, etc. En percevant leur redevance, on demande gentiment à ces messieurs de ne pas abuser, et on leur dit : « Monsieur, si un jour votre bourse est assez gonflée pour venir faire ici le « coup de feu », vous voudrez certainement en emporter quelques « massacres » bien encornés, pour « épater » votre dame et vos amis. Permettez-moi alors de vous donner la recette de Tanga, pour que vos trophées puissent faire « bonne figure » au-dessus de votre salon particulier.

» Ne vous amusez pas à les faire bouillir et à les gratter pendant trois jours ; déposez-les sur une bonne fourmilière de ces gentils « magnans » à l'appétit aussi robuste que leurs mandibules ; recouvrez-les d'un buisson bien rébarbatif, que vous surchargerez de lourdes pierres, pour que l'hyène ou le fourmilier ne vous fasse aucune « entourloupette » ... Revenez les chercher deux jours après ... Badigeonnez de formol si vous en avez, et emballez ... Attention ! A l'emballage, demandez à votre permis de vous faire le compte ... Merci !

J. GRAND.

(1) Animal rôti d'une seule pièce sur une broche de bois.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 499