Cette maladie, appelée aussi tabès dorsal, devient de moins
en moins fréquente, ce qui est dû probablement aux traitement plus efficaces de
la maladie causale ; elle est due à la sclérose des cordons postérieurs de
la moelle, avec atrophie des racines postérieures et avec atteinte pathologique
d'autres régions de l'axe cérébro-spinal, du cervelet, du bulbe et du cerveau.
C'est une demande d'un de mes lecteurs, à propos d'un des
signes caractéristiques du tabès, qui m'incite à parler de ce sujet.
Les trois signes cardinaux de l'affection, signes connus
sous le nom des médecins qui les ont décrits, sont :
— le signe de Westphal, qui est l'abolition du réflexe
rotulien ;
— le signe de Romberg, qui consiste dans l'impossibilité,
pour le tabétique, de se tenir debout, les yeux fermés ; si on lui demande
de réunir les deux pieds et de fermer les yeux ou de regarder en l'air, on le
voit tituber, chanceler, tomber si on n'a pas soin de le retenir ;
— le signe d'Argyll-Robertson montre des troubles
d'innervation pupillaire ; la pupille ne réagit plus à la lumière, ne se
rétrécit plus si on l'expose à une lumière un peu vive, alors qu'elle continue
à réagir à l'accommodation ou à la convergence, lorsque le malade regarde un
objet successivement placé à une distance plus ou moins éloignée des yeux.
L'ataxie (désordre) est le signe qui a valu son nom à cette
maladie ; elle s'observe au tronc, à la face, marquée, surtout au début,
aux membres et plus spécialement au membre inférieur, où elle se manifeste,
très visiblement, par un trouble de la marche : le tabétique « talonne »,
il frappe le sol du talon au moment où le pied doit s'y poser ; il
festonne, ne peut plus suivre une ligne droite et, avant de poser le pied, la
jambe se porte trop en dehors. On dit que le malade fauche ; de plus, il
titube comme un homme ivre. Différents procédés permettent de déceler cette
ataxie dans les cas frustes. La constatation du signe de Romberg en est un ;
l'ataxie se manifeste aussi lorsque le sujet essaye de descendre un escalier ;
dans ce cas, et lors des essais de marche, le malade sent ses jambes se dérober
sous lui jusqu'à le faire tomber, s'il n'a pu trouver un appui.
L'affection est douloureuse. Dans les membres, les douleurs
commencent par une sensation de fatigue, de courbature, de crampes,
d'engourdissements, et prennent ensuite le caractère « lancinant »,
traversant le membre selon un trajet linéaire, deviennent « fulgurantes »,
comparées par le malade à une forte décharge électrique, passant avec la rapidité
d'un éclair à travers les membres, débutant brusquement et cessant aussi de
même ; ces douleurs, qui peuvent aussi atteindre le tronc, la face, le
crâne, prennent parfois un caractère constrictif, que le malade compare à
l'action d’un étau.
La sensibilité profonde est émoussée ; le malade perd le
sens musculaire, le sens de la position des membres, il « perd ses jambes
dans son lit », ne sent plus la résistance du sol quand il y pose le pied.
Même diminution de sensibilité des articulations, des os.
Dans les formes déjà avancées, la marche et la station
debout devenant impossibles, le malade est confiné au lit ; on observe de
l'amyotrophie (atrophie des muscles).
Quelques autres troubles et accidents peuvent survenir :
Les troubles de la vision, déjà prévus par la constatation
du signe d'Argyll-Robertson, s'aggravent, avec atteinte grave du nerf optique
pouvant arriver à la cécité complète.
On constate aussi des paralysies oculaires.
Tous les autres sens peuvent être touchés ; en ce qui
concerne l'ouïe, on signale au début des bourdonnements, des bruits subjectifs
et la surdité complète dans les cas graves ; le goût et l'odorat sont
aussi troublés.
On peut encore observer des paralysies faciales, des paralysies
de la langue, des troubles urinaires allant jusqu’à l'incontinence dans les cas
avancés ; des troubles sphinctériens d'ordre intestinal (constipation ou
incontinence), des troubles cardiaques ou respiratoires. Au point de vue
génital, le malade se plaint surtout d'impuissance.
Comme troubles trophiques, le tabétique peut présenter des
arthropathies siégeant de préférence au genou, des fractures spontanées,
survenant sans cause ou à la suite d'un traumatisme insignifiant et des « maux
perforants ». Le mal, habituellement unilatéral, siège le plus souvent à
la face plantaire du gros orteil, débutant par un durillon qui s'excorie en peu
de temps, non sans vives douleurs.
Sans passer en revue toute la pathologie, ce qui serait le
cas si on voulait citer tous les accidents, toutes les complications survenant
chez un tabétique, il faut signaler les crises gastriques à début brusque par
une vive douleur au creux épigastrique, irradiant vers les aines, les flancs,
le dos avec sensation de brûlure, de déchirement, d'arrachement, s'accompagnant
souvent de vomissements. L'estomac ne tolère plus aucun aliment, aucune
boisson. La durée peut aller de deux à quinze jours ; la crise se termine
aussi brusquement qu'elle a débuté, laissant un état d'épuisement et
d'amaigrissement. Les troubles dyspeptiques qu'on observe souvent sont parfois
d'origine médicamenteuse.
On connaît aussi des crises entéralgiques, des crises laryngées,
des crises urinaires, rénales, etc.
À ce tableau si sombre, opposons une forme, d'ailleurs rare,
celle d'ataxie tabétique aiguë curable, à début brusque « en pleine santé »,
par ataxie, sans douleurs fulgurantes, même sans symptômes pupillaires,
présentant une évolution rapidement favorable sous l'influence d'un traitement
spécifique, précoce, intense et suivi avec persévérance.
Le tabès frappe surtout l'homme vers la cinquantaine, mais
on connaît des cas précoces de tabès juvénile, survenant avant vingt ans et
même, très rarement, chez l'enfant. Il y a aussi des formes tardives, chez un
homme plus âgé, avec une évolution plus lente, parfois en association avec la
paralysie générale.
Pour le diagnostic, on tient compte de leurs signes spéciaux
pour les différentes maladies de la, moelle ; certaines formes de
polynévrites simulent les troubles tabétiques, on objecte qu'il s'agit alors d'incoordination
musculaire plutôt qu'ataxie proprement dite ; ce qui est plus précieux,
c'est l'absence, des signes de Romberg et d'Argyll-Robertson.
Au point de vue de l'évolution, on a divisé arbitrairement
le tabès en trois périodes : préataxique, ataxique et période terminale ou
de cachexie.
Le pronostic est toujours sévère, la mort subite est
exceptionnelle, la durée peut être très longue, dépasser vingt, trente ans et
même plus. La mort survient par marasme cachectique.
L'étiologie du tabès, la recherche des causes a donné lieu
jadis à bien des suppositions et à des controverses.
Les causes autrefois invoquées peuvent être retenues, mais
tout au plus comme causes adjuvantes, ce sont : l'hérédité, l'arthritisme,
les excès sexuels, l'action du froid humide.
Il est aujourd'hui incontestable que l'ataxie locomotrice
est une conséquence, directe ou lointaine, d'une infection syphilitique ;
on la qualifie parfois d'accident parasyphilitique parce que l'ataxie ne
survient guère qu'après une quinzaine d'années, et, lorsqu'elle se présente, ce
qui est rare, chez le jeune enfant, il faut invoquer une syphilis héréditaire.
Disons immédiatement que l'ataxie ne provient que des syphilis méconnues, peu,
mal ou trop peu traitées.
La principale objection des adversaires fut l'inefficacité
du traitement spécifique sur un tabès déclaré.
À l'époque où l'on faisait ces objections, le traitement spécifique
se résumait dans l'emploi du mercure (en pilules, en frictions, plus tard en
injections intramusculaires) et diodure de potassium. Sans être complètement
délaissés, ces médicaments sont presque toujours, aujourd'hui, réduits au rôle
de médications complémentaires, le mercure, surtout maintenant sous forme de
préparations solubles, en injections intraveineuses. Le bismuth, particulièrement
en suspension huileuse, s'est toujours montré très efficace. L'emploi de Tarsénobenzol
(par voie endoveineuse) a été un incontestable progrès thérapeutique, et, plus
récemment, la pénicilline a enfin permis de parler de guérison de la syphilis.
En cas de tabès, quel que soit le résultat d'une réaction de
Bordet-Wassermann dans le sang, on use immédiatement des médicaments qu'on peut
maintenant réellement qualifier de spécifiques. L'examen du liquide
céphalo-rachidien (par ponction lombaire) pourra donner quelques indications au
début d'un traitement ; il s'impose comme contrôle de guérison pendant
plusieurs années.
Ajoutons que la simple ponction lombaire amène parfois, par
elle-même, un soulagement des troubles.
Parmi les traitements adjuvants, on a, à peu de chose près, abandonné
l'élongation de la moelle par suspension du sujet, les différentes formes
d'hydrothérapie — les bains de Lamalou étaient en quelque sorte spécialisés
dans le traitement des tabétiques — ainsi que les applications d'électricité
sous différentes formes.
La pharmacopée ne manque pas de médicaments spécialisés pour
combattre la douleur ; il faut éviter la morphine ou les autres dérivés de
l'opium, les tabétiques devenant très facilement morphinomanes.
L'éducation, la rééducation musculaires restent indiquées
contre l'incorrection des mouvements ayant persisté, contre l'atrophie des
masses musculaires.
Dr A. GOTTSCHALK.
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