Accueil  > Années 1951  > N°658 Décembre 1951  > Page 739 Tous droits réservés

Grande culture

Travaux de décembre

Premiers jours d'octobre, il fait beau ; le mois dernier, tous les jours, il pleuvait—éternelle histoire de la pluie et du beau temps que, depuis des millénaires, les gens de la campagne ont comme fond de conversation et surtout comme fond à leurs occupations.

Mais cette chronique paraîtra en décembre ; que fera-t-on en décembre ? J'ouvre un agenda agricole : comptabilité, on prépare la clôture des comptes et l'inventaire. Agriculture : continuation des labours et enfouissement des fumiers, nettoyage des fossés, façon des composts, battage des céréales. Prairies : on commence les rigoles dans les prés.

Parmi ces sujets, qui paraissent peu passionnants et qui ne sont pas du tout spectaculaires, que peut-on choisir pour forcer l'attention? Laissons les comptes, ils causent tant de déboires qu'il est sage de ne pas retourner le fer dans la plaie.

Continuation des labours : le sujet paraît banal, le cultivateur n'est-il pas le continuateur du laboureur, l'homme du labour, du labeur ? Et, pourtant, il semble que le sujet soit inépuisable.

Pourquoi ce sujet est-il inépuisable? Si l'on consultait le même agenda, on constaterait que, tous les mois, on prépare la terre pour ensemencer tôt ou tard quelque chose ; par conséquent, il n'est pas beaucoup d'époques où la charrue ne soit aux champs. Au mois de décembre, la charrue fonctionne en vue des semailles de printemps et, cependant, dans les régions betteravières, on laboure encore pour ensemencer du blé ; le blé est un peu risqué, il ne faut pas avoir la prétention de le voir lever rapidement ; il fait froid, les jours sont courts. Justement ces semailles in extremis ont un caractère très différent de ce que l'on exécute en octobre, pleine saison de ces travaux importants.

Un labour de semailles en décembre a lieu sur betteraves, surtout sur betteraves à sucre récoltées très tardivement ; il ne s'agit pas de défoncer la terre, ni même de procéder à un labour moyen; à peine les quelques centimètres nécessaires pour obtenir le lit de semences. Dans quelques cas, on va encore plus vite : les feuilles de betteraves sont écartées, le blé est semé à la volée et une charrue à disques enfouit le tout; évidemment, le travail n'est pas magnifique : on veut en finir. Rappelons une expérience plusieurs fois répétée à Verrières, par Vilmorin.

D'octobre à mars, des blés sont semés à un mois d'intervalle; le rendement décroît d'octobre à janvier, puis il y a relèvement en février, quelquefois jusqu'en mars si la variété est alternative. Conclusion : les semis de décembre comportent des risques, peut-être moins que certains de novembre. Si l'on était sûr de l'avenir, risques de froid, de belles journées de janvier, il vaudrait quelquefois mieux suspendre les semailles et reprendre plus tard. Il est vraiment hasardeux de donner des conseils, il n'est pas inutile de faire un rappel de choses que l'on n'ignore pas, mais que l'on oublie lorsque la réussite constitue le lot de cette sorte de loterie.

Labours normaux, ce sont les labours pour les cultures de printemps, céréales, plantes fourragères, pommes de terre, betteraves ; mais une classification s'impose entre ces plantes diverses ; la betterave demande un labour profond. On discute beaucoup au sujet des labours profonds, ils sont envisagés sous des climats différents et dans des conditions telles que le problème posé ne comprend pas une solution unique et brutale : tous les problèmes agricoles en sont là. Je persiste à rester fidèle à la formule du fondateur de Grignon, Auguste Bella : « Jamais de labours trop profonds, jamais de fumures trop copieuses. » Cette liaison de la profondeur du labour, de la couche qui est appelée à « vivre » et de l'importance de la fumure organique constitue la clé de la question ; considérons aussi la nature du sous-sol que l'on veut faire participer à la vie, les moyens à employer, et l'on arrive à cette solution qui appellera d'autres développements de notre part.

Mais, sans entrer dans plus de détails, indiquons qu'il faut penser aux suites du labour, à la division rationnelle de cette masse plus épaisse, à son aménagement pour des plantes aussi différentes que la betterave ou les céréales ou les pommes de terre, et nous nous arrêterons aux vues suivantes :

Commencer les labours d'hiver par les terres les plus difficiles, diminuer la profondeur remuée à mesure que les jours se .rapprochent du moment des semailles, et l'on arrive facilement à cette conclusion : dans les terres reposant sur un mauvais sous-sol qu'il faut laisser sur place, dans les milieux où l'on manque d'outillage, de fumures organiques, il est infiniment plus rationnel de pratiquer le sous-solage, mais un sous-solage exécuté de très bonne heure. Là encore, j'évoque un précédent remarquable, celui de Vallerand, un des animateurs de l'agriculture du Soissonnais : « La terre à betteraves doit boire le soleil du, mois d'août. »

Arrêtons aujourd'hui ces considérations d'actualité sur les labours ; prenons un autre sujet : l'enfouissement des fumiers. Pourquoi est-il question de cette coûteuse opération ? Naturellement, il s'agit de la fumure des plantes de printemps, notamment des plantes sarclées. La conduite des fumiers aux champs s'opère à des époques différentes de l'année ; en examinant les choses avec quelque attention, on se rend compte que le transport des fumiers apparaît un peu comme un bouche-trou : c'est le travail d'été après la moisson, c'est le travail d'hiver, en dehors des labours et des jours de mauvais temps consacrés aux battages. Mais l'été correspond aussi à une période où le sol est résistant, les charrois sont plus faciles. L'hiver est théoriquement aussi une époque où le sol est gelé, les transports sont plus commodes, mais, lorsque l'hiver est pluvieux, le transport des fumiers traîne en longueur, les chemins sont défoncés, les champs maltraités, les animaux peinent, les hommes aussi ; mauvaise opération, et ce mal nécessaire devient un mal coûteux. Il serait intéressant de réfléchir à ces questions, et, quand on calcule le coût de ces travaux, on se rend compte de l'intérêt des méthodes nouvelles.

Au départ, des chargeurs mécaniques, ensuite des engins de transport, pour finir des engins de répartition. Dans la grande culture, des solutions ont été trouvées, les moyens mécaniques sont en cours de réalisation, d'exploitation même ; toutefois, la grande culture n'est pas l'unique formule d'exploitation.

Faut-il aller jusqu'au groupement coopératif, solution proposée pour tout ? A l'entreprise qui se confond avec la même idée de groupement au départ, mais suivant des conceptions différentes ? En admettant une orientation poussée dans ce sens, que restera-t-il bientôt à faire au cultivateur ? Il aura sa terre, paiera l'un ou l'autre pour faire ses travaux, deviendra un participant du travail collectif. Curieux enchaînement qui nous éloigne du sujet traité.

Enfin, la saison d'hiver est celle de l'assainissement; on voit encore mieux les inconvénients immédiats de l'eau en excès, et l'on pense à de vastes opérations d'assainissement définitif. Il en coûte actuellement de 120.000 à 150.000 francs pour drainer un hectare de terre; on peut se contenter des moyens du bord, mais combien insuffisants.

L. Brétignière,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°658 Décembre 1951 Page 739