Premiers jours d'octobre, il fait beau ; le mois dernier,
tous les jours, il pleuvait—éternelle histoire de la pluie et du beau temps
que, depuis des millénaires, les gens de la campagne ont comme fond de
conversation et surtout comme fond à leurs occupations.
Mais cette chronique paraîtra en décembre ; que fera-t-on en
décembre ? J'ouvre un agenda agricole : comptabilité, on prépare la clôture des
comptes et l'inventaire. Agriculture : continuation des labours et
enfouissement des fumiers, nettoyage des fossés, façon des composts, battage
des céréales. Prairies : on commence les rigoles dans les prés.
Parmi ces sujets, qui paraissent peu passionnants et qui ne
sont pas du tout spectaculaires, que peut-on choisir pour forcer l'attention?
Laissons les comptes, ils causent tant de déboires qu'il est sage de ne pas
retourner le fer dans la plaie.
Continuation des labours : le sujet paraît banal, le
cultivateur n'est-il pas le continuateur du laboureur, l'homme du labour, du
labeur ? Et, pourtant, il semble que le sujet soit inépuisable.
Pourquoi ce sujet est-il inépuisable? Si l'on consultait le
même agenda, on constaterait que, tous les mois, on prépare la terre pour
ensemencer tôt ou tard quelque chose ; par conséquent, il n'est pas beaucoup
d'époques où la charrue ne soit aux champs. Au mois de décembre, la charrue
fonctionne en vue des semailles de printemps et, cependant, dans les régions
betteravières, on laboure encore pour ensemencer du blé ; le blé est un peu
risqué, il ne faut pas avoir la prétention de le voir lever rapidement ; il
fait froid, les jours sont courts. Justement ces semailles in extremis ont un
caractère très différent de ce que l'on exécute en octobre, pleine saison de
ces travaux importants.
Un labour de semailles en décembre a lieu sur betteraves,
surtout sur betteraves à sucre récoltées très tardivement ; il ne s'agit pas de
défoncer la terre, ni même de procéder à un labour moyen; à peine les quelques
centimètres nécessaires pour obtenir le lit de semences. Dans quelques cas, on
va encore plus vite : les feuilles de betteraves sont écartées, le blé est semé
à la volée et une charrue à disques enfouit le tout; évidemment, le travail
n'est pas magnifique : on veut en finir. Rappelons une expérience plusieurs
fois répétée à Verrières, par Vilmorin.
D'octobre à mars, des blés sont semés à un mois
d'intervalle; le rendement décroît d'octobre à janvier, puis il y a relèvement
en février, quelquefois jusqu'en mars si la variété est alternative. Conclusion
: les semis de décembre comportent des risques, peut-être moins que certains de
novembre. Si l'on était sûr de l'avenir, risques de froid, de belles journées
de janvier, il vaudrait quelquefois mieux suspendre les semailles et reprendre
plus tard. Il est vraiment hasardeux de donner des conseils, il n'est pas
inutile de faire un rappel de choses que l'on n'ignore pas, mais que l'on
oublie lorsque la réussite constitue le lot de cette sorte de loterie.
Labours normaux, ce sont les labours pour les cultures de
printemps, céréales, plantes fourragères, pommes de terre, betteraves ; mais
une classification s'impose entre ces plantes diverses ; la betterave demande
un labour profond. On discute beaucoup au sujet des labours profonds, ils sont
envisagés sous des climats différents et dans des conditions telles que le
problème posé ne comprend pas une solution unique et brutale : tous les
problèmes agricoles en sont là. Je persiste à rester fidèle à la formule du
fondateur de Grignon, Auguste Bella : « Jamais de labours trop profonds, jamais
de fumures trop copieuses. » Cette liaison de la profondeur du labour, de
la couche qui est appelée à « vivre » et de l'importance de la fumure organique
constitue la clé de la question ; considérons aussi la nature du sous-sol que
l'on veut faire participer à la vie, les moyens à employer, et l'on arrive à
cette solution qui appellera d'autres développements de notre part.
Mais, sans entrer dans plus de détails, indiquons qu'il faut
penser aux suites du labour, à la division rationnelle de cette masse plus
épaisse, à son aménagement pour des plantes aussi différentes que la betterave
ou les céréales ou les pommes de terre, et nous nous arrêterons aux vues
suivantes :
Commencer les labours d'hiver par les terres les plus
difficiles, diminuer la profondeur remuée à mesure que les jours se
.rapprochent du moment des semailles, et l'on arrive facilement à cette
conclusion : dans les terres reposant sur un mauvais sous-sol qu'il faut
laisser sur place, dans les milieux où l'on manque d'outillage, de fumures
organiques, il est infiniment plus rationnel de pratiquer le sous-solage, mais
un sous-solage exécuté de très bonne heure. Là encore, j'évoque un précédent
remarquable, celui de Vallerand, un des animateurs de l'agriculture du
Soissonnais : « La terre à betteraves doit boire le soleil du, mois
d'août. »
Arrêtons aujourd'hui ces considérations d'actualité sur les
labours ; prenons un autre sujet : l'enfouissement des fumiers. Pourquoi est-il
question de cette coûteuse opération ? Naturellement, il s'agit de la fumure
des plantes de printemps, notamment des plantes sarclées. La conduite des
fumiers aux champs s'opère à des époques différentes de l'année ; en examinant
les choses avec quelque attention, on se rend compte que le transport des
fumiers apparaît un peu comme un bouche-trou : c'est le travail d'été après la
moisson, c'est le travail d'hiver, en dehors des labours et des jours de
mauvais temps consacrés aux battages. Mais l'été correspond aussi à une période
où le sol est résistant, les charrois sont plus faciles. L'hiver est
théoriquement aussi une époque où le sol est gelé, les transports sont plus
commodes, mais, lorsque l'hiver est pluvieux, le transport des fumiers traîne
en longueur, les chemins sont défoncés, les champs maltraités, les animaux
peinent, les hommes aussi ; mauvaise opération, et ce mal nécessaire devient un
mal coûteux. Il serait intéressant de réfléchir à ces questions, et, quand on
calcule le coût de ces travaux, on se rend compte de l'intérêt des méthodes
nouvelles.
Au départ, des chargeurs mécaniques, ensuite des engins de
transport, pour finir des engins de répartition. Dans la grande culture, des
solutions ont été trouvées, les moyens mécaniques sont en cours de réalisation,
d'exploitation même ; toutefois, la grande culture n'est pas l'unique formule
d'exploitation.
Faut-il aller jusqu'au groupement coopératif, solution
proposée pour tout ? A l'entreprise qui se confond avec la même idée de
groupement au départ, mais suivant des conceptions différentes ? En admettant
une orientation poussée dans ce sens, que restera-t-il bientôt à faire au
cultivateur ? Il aura sa terre, paiera l'un ou l'autre pour faire ses travaux,
deviendra un participant du travail collectif. Curieux enchaînement qui nous
éloigne du sujet traité.
Enfin, la saison d'hiver est celle de l'assainissement; on
voit encore mieux les inconvénients immédiats de l'eau en excès, et l'on pense
à de vastes opérations d'assainissement définitif. Il en coûte actuellement de
120.000 à 150.000 francs pour drainer un hectare de terre; on peut se contenter
des moyens du bord, mais combien insuffisants.
L. Brétignière,Ingénieur agricole.
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