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Allaitement artificiel des chiots

C'est un problème délicat de l'élevage du chien que celui de l'allaitement artificiel des jeunes.

Ce problème se présente sous plusieurs aspects et se pose pour des raisons diverses : la lice a disparu par accident ou maladie ; la grosse nourrice des premiers jours a vu subitement tarir sa sécrétion lactée ; ou bien encore le nombre élevé des chiots, que l'on ne veut pas diminuer, est trop lourd pour la mère ...

Dans tous les cas où il n'est pas possible de se procurer une nourrice d'adoption, il est nécessaire de recourir à l'allaitement artificiel. Trois questions se posent à ce propos :

    - quel lait donner ?
    - quelle quantité de lait ?
    - comment le distribuer ?

Qualité, quantité, modalité seront les trois points de cet exposé qui a pour but d'apporter des précisions dans une matière bien connue des spécialistes, mais trop souvent traitée par empirisme.

Qualité du lait.

— Le lait naturel se rapprochant le plus du lait de chienne est celui de la truie : il ne faut pas y penser. Force est de se rabattre sur un lait plus important par sa production, plus facile à trouver, le moins cher de tous : le lait de vache.

Mais le lait de vache diffère sensiblement par sa composition du lait de chienne : il est plus aqueux et plus sucré. Il est, par contre, plus pauvre en matière grasse, en matières azotées et en substances minérales.

Cette différence, précisée par le tableau ci-dessous, n'est qu'un cas particulier de la loi générale qui veut que le lait est d'autant plus riche en matières organiques et en sels minéraux que la croissance du jeune est plus rapide. Le lait de la chienne est environ quatre fois plus riche que le lait de vache, et le chiot met effectivement quatre fois moins de temps que le veau à doubler son poids de naissance.

Composition du lait Temps nécessaire au jeune pour doubler son poids de naissance
P. 1.000 Vache. Chienne. Veau. Chiots.
Eau 877 801 30 jours 7 jours
Matières azotées 34 93
Sucre 48 28
Graisse 34 85
Substances minérales 7 13

Pour remplacer rationnellement le lait de chienne, le lait de vache doit être « maternisé ». Cette « maternisation » nécessite les traitements suivants :

    1° Ébullition jusqu'à évaporation du 1/10° environ du volume (concentration du lait par évaporation d'eau) ;

    2° Rétablissement du volume primitif par addition de décoction de céréales (appoint de matières azotées) ;

    3° Addition de 50 pour 1.000 de beurre ou de margarine (à chaud) (appoint de matières grasses) ;

    4° Addition de 6 pour 1.000 de poudre d'os (appoint de matières minérales).

Le lait de vache ainsi traité révèle une composition chimique assez voisine de celle du lait de chienne, avec cependant une richesse plus grande en sucre et qu'il n'est pas possible de modifier : elle est d'ailleurs sans inconvénient.

La décoction de céréales qui figure dans la formule du lait maternisé se prépare comme suit :

Pour un litre d'eau : 1 cuillerée à soupe de chacun des éléments suivants : son, blé, avoine, seigle, maïs, riz ; 1 cuillerée à café de graine de lin. Faire macérer à froid douze heures en hiver, six heures en été. Faire bouillir un quart d'heure. Filtrer sur un linge fin. La décoction de céréales se conserve quarante-huit heures en hiver, vingt-quatre heures en été, plus longtemps encore si l'on dispose d'une armoire frigorifique à +4°.

Chimiquement équilibré, le lait maternisé présente le grave défaut de manquer de vitamines. L'ébullition prolongée qu'il a subi l'a privé de ces éléments indispensables à la vie et à la croissance. Pour assurer au chiot sa ration journalière de vitamines, on donnera le matin, au premier repas, une certaine quantité de lait de vache cru dans lequel on aura émulsionné 10 gouttes d'huile de foie de morue suractivée.

Quantité de lait.

— La quantité de lait à distribuer est fonction du poids des chiots, lui-même variable selon la race et l'âge. Ce dernier facteur est important à retenir. On peut poser en principe que les difficultés de l'élevage au lait maternisé sont en raison inverse de la durée de l'allaitement maternel interrompu : plus longtemps le chiot sera resté sous la mère et plus facile sera l'élevage. Le cas limite moyen de recours à l'allaitement artificiel est celui des chiots à partir de huit jours. Bien minces sont les chances de réussite dans l'élevage des chiots séparés de leur mère avant cet âge.

L'allaitement maternel dans l'espèce canine dure de six à huit semaines. Mais, en raison de l'infériorité (relative) de l'allaitement artificiel, même avec du lait maternisé, on a intérêt à prolonger ce dernier jusqu'à la dixième et même la douzième semaine. Le tableau ci-dessous schématise de la deuxième à la douzième semaine un rationnement pour chiots de race de taille moyenne pesant de 400 à 500 grammes à la naissance. Il convient, bien entendu, d'opérer des corrections en plus ou en moins suivant les races. Comme tous les chiffres se rapportant à des questions biologiques, ceux indiqués ici n'ont qu'une valeur relative. On admet toutefois que le chiot doit avoir doublé son poids de naissance à la fin de la première semaine et que, de la troisième à la douzième semaine, un chiot de race moyenne (Épagneul breton par exemple) devra prendre en poids 250 grammes à 300 grammes par semaine, comme le montre plus loin la courbe de croissance type.

Rations quotidiennes en grammes 8 heures 12 heures 16 heures 20 heures
Lait cru
+ huile de foie de morue
Lait maternisé Lait maternisé Lait maternisé
2e et 3e semaine 25 50 50 50
4e et 5e semaine 25 75 75 75
6e et 7e semaine 50 110 110 110
8e et 9e semaine 100 150 150 150
10e et 11e semaine 100 150 150 150

Le dosage pratique de ces rations est facile à réaliser à l'aide de flacon d'usage pharmaceutique gradués en grammes et qui donnent une approximation suffisante.

À compter de la dixième semaine, les repas de douze heures et de vingt heures seront rendus plus substantiels. On fera cuire dans la ration de lait maternisé tantôt du pain, tantôt des germes de blé, tantôt des flocons d'avoine, ou du riz, ou des pâtes, en variant le plus possible.

À trois mois, le nombre de repas peut être ramené à trois par jour (par suppression de celui de seize heures). On réduira petit à petit la ration de lait, qui sera remplacée par des soupes de plus en plus consistantes. C'est maintenant le régime d'adulte qui s'établit : il importe d'y arriver insensiblement, par palier. On maintiendra aussi longtemps que possible la petite ration de lait cru du matin.

À quatre mois, le sevrage est terminé. La ration journalière (distribuée en trois repas jusqu'à dix mois, puis en deux repas) ne sera pas trop aqueuse : elle ne renfermera pas plus de 75 p. 100 d'eau. Elle sera constituée moitié pour moitié par des aliments d'origine animale (viande, os) et des aliments d'origine végétale (pain, pâtes, riz, légumes).

Modalités de l'allaitement.

— Pour sa commodité, l'éleveur choisira l'horaire de distribution qui cadre le mieux avec ses occupations. Deux règles sont cependant à respecter pour la bonne marche de l'allaitement :

    1° L'horaire étant fixé, il faut s'y tenir. Le tube digestif s'adapte à un rythme qu'il est néfaste de modifier ;

    2° Les repas seront échelonnés du matin au soir, en ménageant autant que possible le même temps entre chacun d'entre eux.

Au point de vue température, le lait sera distribué tiède en hiver. En été, on le donnera à la température ambiante.

En ce qui concerne le mode de préhension, le biberon est indiqué jusqu'à un mois. Plus tard, il sera plus commode d'habituer les chiots à laper. Pour cela il suffira de leur tremper le nez dans le lait tiède : ils prendront vite l'habitude de boire à l'assiette et d'accourir à la vue de celle-ci.

Conclusions.

— Quelques considérations hygiéniques générales compléteront ces notions sur l'allaitement :

    1° La plus grande propreté est recommandée dans toutes les manipulations du lait, sa maternisation et sa distribution. Tous objets touchant à l'alimentation du jeune seront stérilisés par ébullition à chaque usage.

    2° L'allaitement (et l'alimentation en général) n'est pas du gavage. Le chiot doit être rationné et le rationnement sera maintenu malgré les réclamations pitoyables de la gourmandise. On évitera ainsi le ballonnement, le « gros ventre », signe évident d'une dilatation des réservoirs digestifs, prélude de l'entérite et du rachitisme.

    3° Lorsqu'il s'agira de passer de l'allaitement au régime d'adulte, on se souviendra que le chien est resté un carnivore, malgré sa longue domestication, et que le trépied de son hygiène alimentaire est constitué par la viande (crue et cuite), les os (en poudre de préférence) et l'huile de foie de morue (jusqu'à l'âge de deux ans).

Jean LE SEAC'H,

Docteur vétérinaire.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 19