Comme leur nom l'indique, les retrievers sont des chiens
destinés à retrouver le gibier. Retrouver et rapporter, bien entendu. Ce qui
les caractérise, c'est que là se limitent leurs fonctions.
Étant donné leur façon de chasser, il était naturel que les
Anglais conçoivent de tels auxiliaires. Quand ils chassent au chien d'arrêt,
ils attachent beaucoup plus de prix au style de leurs chiens qu'au tableau ;
l'abondance du gibier, bien protégé par des chasses gardées, jointe à la
densité restreinte des chasseurs, permet d'ailleurs aux chasseurs britanniques
de remplir leur carnier tout en chassant pour l'art. Si l'on songe qu'en
Angleterre il y a moins de 60.000 chasseurs, contre près de deux millions en
France, on comprend mieux que l'esprit « gentleman » soit resté vertu
plus courante chez eux non seulement par tradition, mais parce que seuls des
gens fortunés peuvent se livrer à ce sport. Ils peuvent donc entretenir des
chiens spécialisés pour les divers gibiers et les différentes fonctions que met
en jeu la chasse.
Il est de coutume, chez eux, que les pointers et les setters
aient pour fonction de trouver le gibier vivant, de l'arrêter en un style
impeccable, mais que leur rôle est terminé dès le coup de fusil tiré. Si
l'oiseau est tué et tombé devant le chasseur, en terrain nu, les Anglais ne
commettent pas l'erreur, commune à la plupart des chasseurs de chez nous,
d'exiger de leur chien qu'il le ramasse et le rapporte. En ce cas, en effet,
cette exigence est inutile et ne peut avoir pour effet que d'inciter le chien à
prendre l'habitude de se précipiter pour rapporter avant d'en recevoir l'ordre,
habitude qui se transforme ensuite en celle de courir sous l'aile. Un chien qui
court sous l'aile, ou derrière le poil qui déboule, gêne le tir et risque aussi
de recevoir du plomb. Bien souvent, ce défaut dégénère en la rupture de
l'arrêt. Sans doute, avec un peu d'autorité, tous les chasseurs capables de
conduire un chien peuvent pallier ces conséquences ; il est plus sage,
cependant, pour éviter leur manifestation, de ramasser soi-même le gibier tué
net, tombé à quelques mètres et gisant à la vue. Si le chasseur anglais
s'impose cette servitude, il est juste de dire qu'il la confie souvent au garde
qui le suit ; mais ce n'est point déchoir que se baisser pour se servir
soi-même en telle circonstance ; on évite de gâcher son chien et on goûte
la joie de toucher de ses propres mains, le premier, le trophée que l'on a
conquis.
Tout autre est la question quand le gibier n'est que blessé,
qu'il fuit à pattes, surtout sous les couverts, ou bien quand il est tombé
mort, à plus forte raison blessé, en un endroit où le chasseur ne peut aller
s'en emparer lui-même, comme dans une pièce d'eau ; ou encore quand il est
tombé dans un couvert ou un fourré où, pour le retrouver, il faut d'abord le
rechercher.
Sans doute, il est quelques chasseurs, jouant aux grands
seigneurs, qui trouvent suffisant plaisir dans le coup de fusil bien placé et
dans la chute d'un oiseau arrêté en plein vol ; pour eux, la suite, la
capture, la joie de soupeser, de palper le trophée sont de peu d'importance, et
leur plaisir est terminé là où beaucoup d'entre nous trouvent l'intensité du
nôtre : l'instant consacrant la conquête. Il est, en outre, à la fois
inutile et cruel de laisser un gibier blessé ou mort devenir la proie du
renard.
Dans cette circonstance, le chasseur perd souvent son temps
et, par ses seuls moyens, est incapable de mener à bien ses recherches. De
même, au cours d'une battue, les rabatteurs ne peuvent seuls retrouver tout le
gibier tombé. C'est donc aux chiens qu'incombe alors ce rôle. C'est dans la
conception de ce dernier que le chasseur continental classique diffère du
chasseur anglais. Pour le premier, confier à son chien d'arrêt la fonction de
recherche et rapport, quand elle est nécessaire, est une joie et la solution
qui s'impose.
Exécutée avec méthode, avec discernement et au commandement,
elle n'a pas l'inconvénient du rapport simple et inutile à vue ; mais
c'est là une autre question.
Par contre, nos collègues anglais s'en tiennent strictement
à leur principe, estimant que le rapport, quel qu'il soit, et surtout la
recherche après le coup de feu ne peuvent que compromettre le style et le
dressage de leurs chiens. C'est, en effet, une opinion, partagée par certains
doctrinaires chez nous, que le pistage inhérent aux fonctions de retriever nuit
au port du nez haut, première qualité pour éventer et arrêter de loin, en
incitant le chien à porter le nez bas. Nous en discuterons un autre jour à la
lueur de l'expérience, en accord avec la logique.
Les Anglais confient donc ce rôle à des chiens spécialement
conçus pour lui. Que ce partage des fonctions soit par eux estimé nécessaire,
c'est possible ; mais rappelons que les chasseurs anglais peuvent s'offrir
la fantaisie d'avoir des chiens spécialisés et de chasser en grands seigneurs ;
or il n'est pas exclu que cette fantaisie à leur portée n'ait pas eu plus de
poids que la nécessité des théories et des principes.
Quoi qu'il en soit, les chiens qu'ils ont conçus pour les
fonctions de la recherche et du rapport s'acquittent parfaitement bien de leur
rôle. Ce dernier est strictement limité à la recherche et au rapport des
gibiers tués ou blessés. Les retrievers sont donc des chiens qui ne chassent
pas, ce sont des ramasseurs. En chasse devant soi avec des chiens d'arrêt, le
retriever est tenu en laisse par le garde qui accompagne en général le chasseur ;
ou, à défaut du conducteur particulier, il doit rester derrière le chasseur et
ne jamais gêner l'évolution ou le travail du chien d'arrêt. Après le coup de
feu, si le gibier est tué ou blessé, il doit, mais seulement à l'ordre de son
maître, s'élancer pour chercher. Son rôle terminé, il reprend sa place à la
laisse ou aux talons du maître. Dans la battue marchante, il doit se comporter
pareillement. Dans la battue statique, il doit rester près du tireur, immobile
et indifférent au gibier passant près de lui, aussi longtemps que dure la
traque ; souvent aussi, les retrievers sont tenus en dehors du lieu de la
battue, sous la surveillance d'un garde qui les emmène ensuite pour le
ramassage des pièces. Les bons retrievers, quand ils ont acquis l'expérience,
sont toujours attentifs aux coups de feu tirés en leur présence ; ils
repèrent les endroits de chute et en gardent la mémoire précise suffisamment longtemps
pour aller rechercher les gibiers qu'ils ont vus tomber, parfois une heure ou
deux après. C'est cette qualité que l'on nomme « marking ». Leur sens
olfactif étant, en effet, inférieur à celui de la plupart des chiens d'arrêt,
ils y suppléent par leur acuité visuelle, qui est grande, et leur intelligence.
Bien entendu, leurs facultés sont orientées vers le pistage des faisans et
perdreaux démontés. Entraînés à franchir les obstacles, à pénétrer dans les
fourrés les plus épais et à nager en eau profonde libre ou couverte de roseaux,
ayant l'amour de leur métier, ces chiens explorent tous terrains avec ténacité
et perspicacité. Animés d'une bonne allure, ils ont tôt fait de battre un carré
broussailleux de 300 ou 400 mètres.
Il va de soi que, si ces aptitudes sont innées, développées
par la fonction et l'atavisme, elles ne sauraient dispenser d'un dressage. Ce
dernier doit être très strict, notamment pour obtenir le calme et
l'indifférence pendant toute l'action de chasse proprement dite. Le déboulé d'un
lièvre, l'envol d'un faisan ou d'une compagnie de perdreaux doivent laisser le
retriever complètement froid. Pour la chasse marchante, on doit obtenir de lui
qu'il suive aux pieds avec passivité, et, pour le tir au poste, il doit rester
immobile et, bien entendu, muet aussi longtemps que nécessaire.
Quant au rapport proprement dit, bien qu'il soit
généralement naturel chez les retrievers, il nécessite aussi un dressage. Outre
le style et la dent douce, il faut obtenir d'eux le rapport de n'importe quel
oiseau ou animal à la mesure de leur force, à terre comme à l'eau.
En un mot, les fonctions du retriever sont celles du rapport
complet avec son prolongement, la recherche avec ou sans obstacles, telles que
les remplissaient jadis la plupart de nos chiens continentaux entre les mains
des bons chasseurs rustiques. Ce sont aussi exactement celles qui sont prévues
par le règlement du Brevet de rapport complet, établi récemment pour les chiens
de sa race par le Club français du Griffon d'arrêt à poil dur Korthals. Ces
aptitudes procédant d'un dressage spécial et d'une adaptation que transmet
l'atavisme, le discrédit où est tombé le rapport chez les chasseurs français confère
aux retrievers une avance certaine. Quel est leur avenir chez nous ?
Connus, ou plus exactement utilisés en France depuis une
trentaine d'années, les retrievers jouissent actuellement, pour la raison
susdite, d'une vague croissante dans certains milieux de chasseurs. Ce sont
d'abord ceux qui ont adopté la méthode de chasse anglaise ; ils ne sont
pas légion, car, sur deux millions de chasseurs, bien peu ont les moyens, ou
simplement le goût, de rompre avec la tradition française. Par contre, dans
presque toute la moitié nord du pays, où la chasse en battue est pratiquée à
grande échelle, et parfois la seule connue, les retrievers sont bien mieux
indiqués que la plupart des chiens d'arrêt modernes. Si ces derniers ne savent
retrouver leurs anciennes fonctions naturelles, c'est là que les retrievers
doivent surtout trouver à s'employer.
Nous dirons ultérieurement ce que sont les retrievers du
point de vue morphologique, et quelles sont leurs variétés.
Jean CASTAING.
|