Si, à première vue, le hotu paraît être un assez beau
poisson, là se borne à peu près tout son mérite, ainsi que nous le verrons plus
loin. C'est le Chondrostama nasus des naturalistes, pour nous, le « nase »
qui, comme nos poissons blancs, appartient à la famille des « cyprinidés ».
Corps allongé couvert d'écailles brillantes, dos un peu arqué, ventre aplati ;
nageoires dorsale et anale brunâtres, les autres roussâtres ; ni
aiguillons, ni barbillons. Mais ce qui le caractérise et le dépare, c'est son
nez large, obtus, proéminent, et sa bouche en forme de fer à cheval, placée
complètement en dessous et encadrée de plaques cartilagineuses. Il a reçu toute
une kyrielle de prénoms bizarres : soiffe, âme noire, gueule carrée,
chiffe, prussien, siège, écrivain, mourine, etc. ... À cela, malgré les
confusions qui peuvent en résulter, il n'y aurait pas grand mal, mais quand on
l'a appelé fera, lavaret, mulet, ombre-chevalier, la méprise devient fâcheuse
et l'erreur regrettable, car c'est confondre le plus mauvais poisson de nos
rivières avec les meilleurs.
Le véritable nase — car il en existe plusieurs
variétés — fréquente surtout les cours d'eau importants. Il atteint la
longueur de 0m,45 et pèse parfois 2 kilogrammes et même un peu plus.
Mais ces gros nases ne sont pas très communs et nos lignards doivent se
contenter, le plus souvent, de poissons de 700 à 800 grammes. Pendant l'hiver,
les hotus habitent les profondeurs, à l'aval des grands fleuves ; au
printemps, ils remontent leur cours ainsi que celui de leurs affluents et cela
en vue du frai, qui s'exécute sur des fonds propres, caillouteux ou graveleux,
où l'eau court assez vite et a peu de profondeur. Les œufs, petits et
verdâtres, moins nombreux que chez le gardon, mettent environ quinze jours à
éclore et les alevins grossissent assez vite. Dans certains de nos cours d'eau,
les hotus remontent en troupes si épaisses et si nombreuses que les fonds en
sont comme tapissés ; ils se touchent tous, parfois sur des longueurs
considérables, et tous autres poissons fuient devant eux. Leur nourriture
habituelle consiste en petits animaux aquatiques. En été, par eaux basses et
claires, il est fréquent de les voir se retourner sur le flanc pour mieux
saisir ces bestioles collées aux pierres et aussi « brouter » la
mousse verdâtre qui couvre certains fonds. Si cela suffisait à leur bonheur, il
n'y aurait guère lieu de s'en préoccuper, mais ils sont tellement avides du
frai des poissons qui pondent dans les graviers et sur les bords, qu'ils se
rendent de ce chef fort nuisibles quand ils sont nombreux, ce qui est la règle
générale. Aussi les fermiers des cantonnements de pêche les ont-ils en horreur
et, à plusieurs reprises, ont demandé de pouvoir le pêcher aux filets en tout
temps et notamment en mai, pendant leur frai, époque où ils sont faciles à
prendre. De peur du braconnage, cette faculté leur a été jusqu'ici refusée.
Le hotu est fréquemment capturé par nos pêcheurs à la ligne
et sa pêche est assez facile. Pour bien réussir, il est bon de choisir un fond
de gros sable ou de gravier, en courant modéré, profond de 1m,50 à 2 mètres. On amorcera un peu au
large avec des boulettes de terre molle contenant du pain détrempé, du blé
cuit, des asticots, des brisures de tourteaux et de petits vers. La canne, en
roseau, longue de 5 à 6 mètres, sera légère, un peu moins flexible que pour
pêcher le gardon ; le moulinet est facultatif mais toujours à conseiller.
Le corps de ligne, en soie fine, sera suivi d'un bas de ligne de 2m,50
en nylon 18 ou 20 centièmes ; flotteur léger, en porc-épic, et équilibré
par un groupe de petits plombs n°7 à 0m,30 de l'hameçon. Ce dernier
sera un n°12 pour le blé cuit, n°14 pour l'asticot, la toute petite noquette ou
la minuscule boulette de pain frais et le ver rouge. Il est bon que la coulée
traverse l'espace amorcé vers son milieu et que l'appât traîne sur le fond
comme pour le goujon. La touche est le plus souvent franche ; la plume
s'enfonce sans avertissement préalable et part plus ou moins vite ;
parfois elle s'arrête comme dans un accrochage. Il est bon de répondre aux deux
cas par un ferrage décidé, car les lèvres cartilagineuses du hotu sont assez
dures à percer ; on ne devra pas, cependant, y mettre trop de raideur. Les
gros hotus se défendent assez bien. S'ils ne sautent pas hors de l'eau et ne se
butent guère au fond, ils tirent en bout avec vigueur, généralement vers
l'aval, et le scion est mis à l'épreuve, mais cette résistance ne dure guère ;
le danger est au bord ; au moment où l'épuisette va entrer en jeu, il
tourne sur lui-même, se met le ventre en l'air et, pour peu que le fil se
détende, est prompt à vous tirer sa révérence ; aussi ne doit-on pas
s'amuser avec lui et l'empocher au plus tôt.
Si le hotu est fort indésirable pour sa nuisance à l'égard
du frai, il l'est aussi par son peu de valeur comestible. Sa chair est flasque,
molle, farcie d'arêtes et d'un goût détestable.
Pour le rendre « mangeable » (?), on doit le
saigner par incision à la queue dès sa capture, l'ouvrir, le vider et enlever
avec soin la peau noire qui tapisse le péritoine. Malgré toutes ces
précautions, on ne risque jamais de se régaler.
Pour résumer, disons de ce poisson : pêche monotone,
peu sportive, peu captivante ; goût désagréable et peu appétissant. Il
serait donc à délaisser, n'était l'impérieuse nécessité de le détruire. C'est
ce que j'ai toujours fait quand je l'ai pu, soit aux filets, soit à la ligne,
et mes prises ont été considérables ; je m'en flatte et ne m'en repens
pas. Que nos confrères en fassent autant et cet hôte indésirable, qui nous est
venu de l'étranger fort mal à propos, verra ses méfaits diminuer de plus en
plus dans l'avenir, au grand bénéfice de nos rivières déjà bien pauvres.
PORTIER.
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