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Grande culture

Travaux de mai

Dans la chronique du mois d'avril, passant en revue quelques travaux du mois, je concluais sur deux idées : connaissance et crédit. Avant de reprendre ces deux questions et pour pouvoir mieux généraliser, arrêtons-nous aujourd'hui aux opérations du mois de mai.

En mai, les travaux de printemps sont terminés, au moins dans les deux tiers de la France, les semailles et les plantations sont achevées et l'on arrive aux travaux d'entretien et aux premières récoltes.

Travaux d'entretien : d'une manière générale, on attache une très grande importance à la propreté des champs. C'est donc à la destruction des mauvaises herbes que l'on croit devoir s'attacher. Peut-être les lecteurs seront-ils surpris de voir que j'emploie croit-on au lieu d'affirmer on doit, tout simplement parce que de nouvelles notions se répandent qui méritent de faire réfléchir. Des territoires immenses ont été maltraités par une culture intempestive du sol, et, si l'extension de la culture avait surtout pour but de réaliser des profits en livrant à la production des territoires vierges, les formules courantes voulaient aussi que l'on réservât aux plantes cultivées l'eau et les éléments fertilisants ; en somme, on attachait une importance moindre à l'état du sol lui-même. Il est résulté de cette culture acharnée de la couche superficielle, lorsqu'une récupération intelligente n'était pas effectuée en même temps, une détérioration néfaste.

En effet, le sol dénudé ainsi exposé aux influences extérieures se dessèche, se bat, durcit ; c'est une facilité d'évoluer rapidement si l'eau tombe brutalement, si elle court au lieu de s'infiltrer ou d'être retenue par de menus obstacles ; c'est, en définitive, un mode d'érosion auquel on songe beaucoup maintenant. D'autre part, le sol émietté, réduit en particules imperceptibles, subit l'action des vents, et c'est l'érosion éolienne qui entre en jeu.

Évidemment, par son climat, par son relief général, la France n'a pas beaucoup à souffrir de ces actions fâcheuses ; mais, néanmoins, en évoquant les labours, en suivant les courbes de niveau, les cultures en terrasses des anciens, en se sentant enveloppé en plein champ dans un tourbillon de poussière, ou en voyant se creuser de légers canaux remplis d'eau boueuse dès qu'existe une très légère pente, j'ai l'impression qu'on devrait peut-être s'en inquiéter davantage, partant de cette remarque que, si le sol n'est pas très bien couvert par la plante cultivée, l'espace vide peut être dévasté par le vent ou par l'eau. Dans cet ordre d'idées, certains seraient tentés de ne plus lutter contre les mauvaises herbes avec autant d'acharnement : ne pourraient-elles pas devenir des alliées ? La pensée est un peu hardie à exprimer; je n'ai que de petits faits probants à apporter à l'appui d'une thèse nouvelle, mais je ne puis m'empêcher de demander de réfléchir sur ce sujet avant d'aller plus loin.

Il faut repenser le problème en repartant d'un équilibre admis et vouloir laisser aux plantes cultivées le maximum d'eau et d'éléments fertilisants. En vérité, si l'on s'attache bien à donner le maximum de puissance aux végétaux cultivés, ils couvriront la terre et l'empêcheront de s'altérer en surface. Cela revient à dire qu'avant d'ensemencer un terrain il est opportun de donner aux futures plantes le départ le plus rapide en mettant le sol en parfait état de réceptivité et en choisissant avec un soin extrême les semences qui sont déposées en terre. En raison de connaissances remises en vogue, par exemple sur l'enrobement des semences, il serait possible, en ayant recours aux données scientifiques acquises, de préciser ces manutentions anciennes qui consistaient à entourer la graine de divers produits de la ferme, de cendres, de purin, etc. Une fois ce genre de précautions prises, la levée se manifeste, et, tout de suite, il convient de revenir à l'état superficiel du sol et à la défense de la plante. Des binages extrêmement légers, respectant l'eau superficielle, détruisent les plantes adventices qui apparaissent et empêchent l'eau profonde de s'évaporer ; parallèlement, si des engrais très assimilables ont été apportés, la plante prend rapidement une grande vigueur et parfois mieux vaudrait peut-être des plantes individuellement moins luxuriantes et plus aptes à se défendre tout en protégeant elles-mêmes le sol qui les porte.

En résumant, les travaux d'entretien restent valables, mais ils ne sont qu'un moyen devant s'accorder avec les autres : biner les betteraves dont la levée est mauvaise, l'alimentation insuffisante ou mal équilibrée, ne correspond pas à une bonne harmonie des cultures.

En dehors des moyens mécaniques, grâce aux progrès de la chimie, on dispose actuellement d'un arsenal très complet des produits chimiques dont le poudrage ou la pulvérisation agissant sélectivement font disparaître une grande partie de la végétation spontanée en respectant les plantes cultivées. On peut déplorer qu'une expérimentation suffisamment complète n'ait pas lieu avant la mise en vente des produits nouveaux, en insistant sur les conditions d'emploi, car le chapitre de la défense des végétaux sous cet aspect et sous d'autres est devenu trop important dans les budgets de dépenses ; reconnaissons-le, en général, les recettes sont augmentées, mais la trésorerie est alourdie, il reste encore des risques.

Exprimons à nouveau l'idée exposée ci-dessus et qu'avant de la déclarer subversive il y aurait lieu de la soumettre à l'observation expérimentale. Il s'agit au cours des travaux d'entretien d'assurer à la plante cultivée les meilleures conditions de développement, en pensant à l'avenir du milieu, car celui-ci, l'« atelier de base », demeure, lorsque la betterave, la pomme de terre, le maïs, etc., sont enlevés. C'est ainsi que l'agriculteur est amené à tracer longtemps à l'avance des plans de culture ; autrefois un plan était immuable ; pendant des années, il était valable ; aujourd'hui, il faut constamment être en éveil, vivre au delà du temps présent, et ce n'est pas facile. Cet enchaînement des faits agricoles qu'il faut rattacher à des mouvements d'une ampleur démesurée — conséquence des gestes des hommes — d'un imprévu plus extravagant que l'incident météorologique le plus dramatique, ne peut être accepté avec sérénité que si l'homme de la terre sait rester l'homme de la nature. Peut-être nos lecteurs évoqueront avec quelque regret l'empirisme commandé et reposant des temps anciens ; loin de moi cette pensée qui serait la négation de ces notes, mais, à une époque où il semble qu'il n'y ait plus de limite à notre audace, il n'est pas inutile de demeurer — attitude bien naturelle pour un cultivateur — tout simplement « les pieds sur terre ».

Passons à autre chose. Les premières récoltes nous attendent ; les fourrages de toutes sortes nous sollicitent. Je n'insiste pas sur les moyens de récolter ; les progrès réalisés à ce propos et dont le dernier Salon de la machine agricole confirme les magnifiques perspectives ne font qu'améliorer le travail même. L'essentiel reste, les plantes sur pied, les fourrages ensilés, le fourrage sec. À quoi doivent-ils servir ? À l'alimentation des animaux. On admire les performances d'un taureau, les kilogrammes de lait, de matière grasse que procure une vache laitière : c'est au bout de la chaîne la productivité animale, mais productivité de quoi ? Productivité par rapport à l'étendue pâturée ou fauchée. On améliore la productivité de l'homme par l'adoption d'un moyen mécanique perfectionné, on améliore la productivité d'une laitière par la sélection, mais on améliore prodigieusement la productivité définitive de cette laitière et la rentabilité de son exploitation en la nourrissant le mieux possible, en donnant à l'herbe pâturée, au fourrage ensilé ou au foin une valeur alimentaire plus considérable.

Ce sont des travaux de mai ; certainement, nous sommes loin des tableaux de maîtres représentant les scènes pastorales de la fenaison, mais il ne serait pas difficile d'établir une filiation entre ce passé aimable, mais plus ou moins pénible, qui côtoyait des misères insoupçonnées, et les moments présents, plus austères, qui essaient de pallier les duretés des jours humains en rendant le sort meilleur. Que la nature ne soit jamais perdue de vue au cours de ces travaux, que l'on conserve la valeur précieuse du brin d'herbe qui a poussé, et des jouissances nouvelles, élargies, apparaîtront durables.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 293