L'ouverture sera bientôt là (22 juin), avec ses joyeuses
sorties ; foin du bar enfumé et du cinéma bondé, vivent le grand air et la
liberté ! En ce jour de liesse, nombreux sont les genres de pêche à
pratiquer et nos confrères n'ont que l'embarras du choix ; mais il en est
un, agréable et productif, dont il faut se hâter de profiter, car il ne durera
pas très longtemps : c'est la pêche à la cerise. Bien qu'avec ce fruit on
puisse prendre plusieurs sortes de poissons, c'est principalement au chevesne
(blanc, cabot, chaboisseau, chavaçon, juerne, etc.) que l'on s'adresse. Ce
cyprin, archi-connu de nos pêcheurs, car il est très répandu, atteint parfois
une très belle taille (0m,60) et un poids élevé (4 kg). Il est,
par conséquent, fort digne d'être pêché, d'autant plus qu'il est très
mangeable.
Comparée à la pêche à la graine de chènevis, celle à la
cerise peut sembler fruste, voire brutale ; elle a, cependant, ses
finesses et son tour de main ; il ne suffit pas de tremper dans l'eau une
cerise accrochée à un hameçon pour faire des pêches sensationnelles. Le mode le
plus employé avec cette esche est la pêche dite « à la coulée », sur
coup amorcé ; c'est d'elle que nous parlerons aujourd'hui, en nous
excusant de la technicité un peu aride de ce trop court exposé.
a. Équipement.
— En raison de la résistance possible d'une belle
pièce, il paraît utile d'être solidement monté : canne en bambou noir, de
6 à 7 mètres de long, avec anneaux et moulinet ; scion de flexibilité
moyenne. Le corps de ligne sera en soie américaine, calibre G ; le bas de
ligne, mesurant 3m,50, en nylon 28/100 (résistance 3 kilogrammes) ou
en catgut, florence ou racine de force équivalente. Le flotteur sera une forte
plume tempête ou un bouchon anglais affiné, pouvant supporter une plombée
divisée assez forte pour obtenir un bon équilibre et obliger le bas de ligne à
se tenir vertical ou presque dans le courant. La résistance à l'immersion sera
la plus faible possible, sans excès.
b. Choix du coup.
— Courant d'allure modérée, assez profond (3 à 5 m.),
se produisant près de la rive. Fond peu accidenté, sol de lauze, de marne,
galets, gravier ou gros sable ; quelques bosses légères ou petits
dénivellements en cuvette ne peuvent nuire.
c. Sondage, amorçage.
— Exécutés de préférence la veille de la pêche.
Promener la sonde sur toute la longueur du coup et noter soigneusement la
profondeur de l'eau et les particularités du fond. Pour amorcer, lancer à la
main, sans les enrober de terre, deux ou trois grosses poignées de cerises bien
mûres, assez en amont pour que le plus grand nombre s'arrête juste en face de
la place qu'on viendra occuper. Le surplus, dérivant en aval, ira chercher les
chevesnes à distance et les amènera sur l'emplacement désiré. Dans les rivières
très amorcées, une bonne poignée de fruits lancée en amont du coup, un quart
d'heure avant la pêche, suffira.
d. Action de pêche.
— S'installer sans bruit, tous engins utiles à la
portée de la main, et amorcer. Faire suivre le jet de l'amorce d'une belle
cerise bien rouge, fixée soit à un hameçon simple du modèle dit « de Pau »,
soit à un grappin à trois branches de grosseur appropriée. Apprenons à escher.
Avec l'hameçon simple, enlever la queue du fruit, enfoncer le dard dans le trou
béant, contourner le noyau et amener la pointe extrême du côté opposé, près de
la peau, de façon à la sentir au doigt. Avec le grappin, monter d'abord
celui-ci sur une courte avancée bouclée ; passer la boucle dans le chas
d'une aiguille à amorcer ; enlever le noyau, percer la cerise de part en
part et tirer sur l'aiguille jusqu'à ce que le grappin disparaisse en entier
dans la chair ; il est ainsi fort bien soutenu. Cependant, quel que soit
le mode d'attache, la cerise mûre demande des jets exécutés avec douceur
(lancer balancé).
Lancer le plus en amont possible. Grâce à son propre poids,
ajouté à celui de la plombée, le fruit s'enfonce assez vite et gagne rapidement
un niveau inférieur. Plus vive sera la descente et plus la course utile, à
proximité du fond sera longue, ce qui est à rechercher si l'on vise les belles pièces
qui se tiennent surtout sur le fond ou près de lui.
En théorie, la cerise-esche devrait rouler sur le fond comme
un fruit libre et le faire le plus lentement possible, ce qui s'obtient en
retenant légèrement la ligne. Celle-ci prend une position un peu oblique, le
fruit progresse en avant et le flotteur en arrière. C'est donc l'esche que le
chevesne rencontre d'abord, avant le fil et la plombée, et c'est bien ainsi. De
temps en temps, pour mieux attirer l'attention des convives, on relève de 0m,25,
puis on laisse retomber la cerise, qui continue à poursuivre sa course. Cette
sorte de relâcher donne souvent de bons résultats, mais ne dispense pas du
classique relâcher en fin de coup, à l'extrémité aval, où sont généralement
rassemblés les plus nombreux et les plus beaux poissons. Certains temps d'arrêt
sur le fond sont aussi très utiles.
La touche ordinaire du beau chevesne est presque toujours
assez franche. En cours de coulée, le flotteur s'enfonce en remontant, en
descendant ou par côté, plus souvent au large que vers le bord ; le
ferrage ne doit guère différer longtemps après sa disparition, si l'on ne veut
pas qu'il évente le piège. À l'arrêt sur le fond, la cerise est souvent
entraînée de façon brutale ; sans avertissement, le flotteur s'immerge, le
fil du moulinet se déroule rapidement ; il suffit de poser le doigt sur la
bobine pour procurer l'arrêt immédiat et le ferrage.
La défense d'un chevesne de 4 à 5 livres est sérieuse. Il
tire fort en profondeur et au large. Ses coups de queue, appuyés sur le
courant, rappellent ceux de la truite, en moins vif et moins puissant. Mais, si
on a relevé aussitôt le scion à la verticale, son-élasticité, jointe à une
savante manœuvre du moulinet, arrivera à vaincre assez vite une résistance
brutale, mais qui n'est jamais bien longue et n'a rien de commun avec celle de
la grosse carpe ou du saumon.
R. PORTIER.
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