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Au rucher

Ouvrons une ruche

La première chose que doit pouvoir faire correctement tout possesseur de ruche peuplée, c'est de savoir l'ouvrir.

Il est évident que toutes ne logent pas des colonies ayant le même caractère, et, si nous en avons qui soient assez douces, il y en a d'autres plus agressives ; c'est un peu comme les gens.

Donc, selon que nous aurons affaire à des abeilles plus ou moins irritables, nous les aborderons de façon différente ; c'est d'ailleurs beaucoup selon la façon dont nous nous comportons à leur égard qu'elles nous réservent un accueil plus ou moins amical ...

En principe, les abeilles ne s'opposent pas systématiquement aux visites ; il faut qu'elles soient brutalisées, malmenées, pour qu'elles réagissent et tirent le glaive. Il découle de ceci qu'il y a une bonne et une mauvaise façon pour ouvrir une ruche. En effet, il faut prendre pour principe que les abeilles doivent être traitées avec fermeté, certes, mais aussi avec beaucoup de douceur, en gardant tout son calme et en évitant les gestes nerveux ou maladroits.

Nous avons remarqué que bien des propriétaires de ruches ne savent pas les ouvrir correctement et que souvent ils enfument trop, alors que très peu de fumée est suffisante. Ce n'est pas une raison, parce qu'on a une colonie agressive qu'il faut enfumer généreusement préalablement à toute visite, pour traiter pareillement toutes celles du rucher. D'ailleurs, l'apiculteur connaît en principe le caractère de ses colonies et agit selon le tempérament de chacune d'elles, donnant à l'une à peine deux ou trois coups, alors que sa voisine demandera une abondante fumée pour rester tranquille.

Il ne faut pas croire que beaucoup de fumée calmera automatiquement, toutes les colonies ; il en est certaines qu'un trop long enfumage énerve, et on obtient quelquefois le contraire de ce qu'on désirait. Pour certaines races, il est même parfaitement inutile d'enfumer à l'entrée de la ruche qu'on veut visiter ; pour l'abeille noire de pays, qui est assez nerveuse, il est cependant nécessaire de refouler les gardiennes par un peu de fumée au trou de vol et par quelques coups sur les cadres.

Il faut savoir qu'un enfumage abondant, en jetant l'alarme dans la colonie, la désorganise provisoirement et influe sur le rendement. On remarquera, en effet, que peu d'abeilles vont butiner durant une heure après ce traitement, sans compter la perte de temps qui en résulte à l'intérieur de la ruche, où les abeilles doivent désoperculer des cellules pour y pomper le miel dont elles se gorgent, puis l'operculer de nouveau lorsque, étant revenues au calme, elles auront dégorgé le miel. Si une colonie est en plein travail de récolte, il est évident que la perturbation causée par un torrent de fumée doit provoquer un abaissement temporaire du travail, et, si l'opération est répétée assez souvent, la récolte pour l'apiculteur s'en ressentira. Donc, en principe, donner peu de fumée lors des visites, pour ne pas déranger l'ordre dans les ruches, sauf, bien entendu, pour les colonies méchantes, où cela est indispensable si on ne veut pas être assailli dès leur ouverture.

Laissons à présent parler un maître de l'apiculture en Amérique : Doolittle.

« Voici comment j'opère à mon rucher :

» Avant de découvrir la ruche, je prends l'enfumoir allumé et ma boîte à outils qui me sert d'escabeau, et j'installe celui-ci du côté ensoleillé de la ruche, de façon à avoir le soleil dans le dos, car, si le soleil donnait sur le voile en pleine figure, cela gênerait considérablement la vue. Je dépose ensuite l'enfumoir par terre. Alors je découvre doucement la ruche et procède à la visite des cadres en retirant le premier avec précaution, car, si les abeilles montrent de la mauvaise humeur, elles le feront lorsqu'on découvrira la ruche et sortira le premier cadre. Après cela, lorsque la lumière donne sur la ruche et entre les rayons, il n'y a pas d'ennuis, à moins qu'on, n'écrase les abeilles ou ne manœuvre maladroitement. La visite terminée, je donne quelques bouffées de fumée au-dessus des cadres pour ne pas écraser d'abeilles en recouvrant la ruche ; je couvre et je passe à la suivante. Pendant la visite, les abeilles n'ont cessé de travailler comme si elles n'avaient pas été dérangées.

» Je sais d'avance comment se comportera la colonie suivante, car elle est moins accommodante. Alors, avant de la découvrir entièrement, je soulève un peu le bout du couvercle, j'introduis le bec de l'enfumoir, et, après avoir projeté un peu de fumée, j'attends quelques secondes avant d'enlever le plafond. Ensuite je procède à la visite le plus souvent sans fumée. Mais si, durant l'inspection, quelques mouches s'agitent, se montrent menaçantes, je les enfume légèrement pour les calmer.

» Venons maintenant à la ruche méchante, si méchante qu'elle donne tout de suite des signes d'hostilité. Heureusement, c'est la seule que nous possédions de ce caractère. Il faut enfumer au trou de vol pour mater les gardiennes, puis, après avoir donné cinq ou six coups de poing sur le haut de la ruche, j'enfume à nouveau à l'entrée, car, si je ne le faisais pas, ces furieuses se jetteraient sur moi, et j'alterne ainsi le tapotement et l'enfumage pendant quelques minutes, jusqu'à ce que je sache que toutes les abeilles sont gorgées de miel et pacifiées.

» En découvrant la ruche, je trouve le plus souvent les abeilles en haut des cadres, disposées à faire irruption. Quelques jets de fumée les refouleront dans la ruche.

» Maintenant, je dois dire qu'à l'exception d'une ou deux je n'ouvre jamais les ruches, à moins qu'il n'y ait avantage à le faire. Chaque année je choisis une ou deux colonies, des plus douces, que je place à l'entrée du rucher, afin de les avoir plus près de moi pour faire des expériences et pour mes visiteurs. Ceux-ci, qui avaient peur des abeilles, sont étonnés et pleins d'enthousiasme quand ils voient qu'elles se laissent si facilement traiter. »

La description ci-dessus de Doolittle donne une idée exacte sur la façon de visiter les ruches ; nous ajouterons seulement qu'il faut aussi savoir manœuvrer correctement l'enfumoir et produire une fumée épaisse mais froide. On arrive facilement à ce résultat en plaçant une poignée d'herbe verte dans le bec de l'enfumoir et en le vidant de temps en temps des cendres chaudes qui donnent seulement de la chaleur, d'où risque de brûler des abeilles et de les exciter au lieu de les calmer. On vend actuellement dans le commerce une poudre qui produit une abondante fumée et a un effet sédatif sur les abeilles.

En période de récolte, les vieilles abeilles qui sont les plus agressives sont aux champs, aussi peut-on se permettre de donner peu de fumée à ce moment-là, tandis que, lorsque la miellée est terminée, il est nécessaire, au contraire, d'insister davantage avec l'enfumoir préalablement à toute visite.

Roger GUILHOU,

Expert apicole.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 363