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Causerie médicale

Maladie d'Addison

Sur la demande d'un lecteur qui a perdu récemment une de ses proches de cette maladie, assez peu répandue, je consacre volontiers une de mes causeries à donner quelques renseignements au sujet de cette affection.

Ce fut en 1855 que le médecin anglais Thomas Addison donna la description de cette maladie, connue sous son nom, appelée aussi « maladie bronzée ». Il s'agit d'une cachexie particulière, caractérisée par quatre symptômes principaux : une asthénie progressive, des troubles gastriques, des douleurs lombo-abdominales et une coloration spéciale de la peau. Le docteur Addison a montré que ces troubles étaient liés à une altération profonde des capsules surrénales. Elle est souvent aussi liée à des altérations du nerf sympathique abdominal.

Parmi les fonctions complexes des capsules surrénales, organe longtemps resté mystérieux, on admet la fonction de neutraliser un poison fabriqué d'une façon incessante au cours du travail musculaire, agissant à la manière du curare, ce qui explique l'allure d'intoxication que prend la maladie due à la suppression de cette fonction. Le physiologiste Brown-Séquard a montré aussi que l'extirpation des capsules surrénales, toujours suivie de mort rapide, s'accompagne d'une augmentation notable du pigment avec accumulation de celui-ci en certains endroits.

L'asthénie est habituellement le premier symptôme de la maladie ; elle apparaît insidieusement, sans cause apparente, d'abord sous forme de fatigue insolite ; le moindre effort peut être suivi de lipothymies, de syncopes ; le malade est souvent obligé de garder le lit.

Les troubles gastriques apparaissent d'une façon constante, commençant par des vomituritions matinales, muqueuses, filantes, glaireuses, analogues aux pituites des alcooliques ; viennent ensuite de véritables vomissements après ingestion d'une minime quantité d'aliment ou de boisson ou même à jeun ; l'appétit est diminué, arrive à se perdre complètement : la constipation est habituelle, la diarrhée est rare.

Les douleurs lombo-abdominales font rarement défaut, parfois dès le début, parfois consécutivement aux symptômes précédents ; elles siègent en différentes régions de l'abdomen (épigastre, flancs, lombes, hypocondres), elles sont généralement spontanées, fixes, sans irradiations, et sont exagérées par la pression. On observe encore parfois des céphalées vives, des névralgies dans les membres, au thorax ou à l'abdomen.

La mélanodermie, qui donne au malade l'apparence d'un mulâtre, consiste en une coloration brun foncé ou sépia de la peau, plus marquée aux parties exposées à l'air et à la lumière, à la face et aux mains ; cette coloration est généralement uniforme, parfois avec quelques petites ponctuations plus foncées, notamment dans les régions normalement plus pigmentées (au pubis, aux aines, aux aisselles). Les muqueuses ont aussi parfois attaquées sous forme de plaques ardoisées, parfois tachetées aux lèvres, aux joues, à la langue, au voile ou à la voûte du palais.

La marche de l'affection est lente, progressive, coupée parfois par des rémissions plus ou moins longues. La température n'est habituellement pas élevée, la tension est faible ; on peut noter des troubles cardiaques (intermittences, irrégularité, faiblesse du pouls), des vertiges, des bourdonnements d'oreilles, de l'amblyopie (diminution de l'acuité visuelle), des syncopes transitoires, de l'amaigrissement, de l'anémie ; la mort survient dans le coma avec signes d'intoxication urémique : diarrhée séreuse, sueurs profuses, langue sèche, « rôtie ».

La durée moyenne peut atteindre deux à trois ans, parfois davantage, sauf dans les cas rapides à forme aiguë ou au cas d'une maladie intercurrente ; la grossesse est une cause d'aggravation.

Sauf complication, les urines ne renferment pas de substances anormales ; le sang, outre les signes d'anémie, montre une diminution du glucose et du chlorure de sodium.

La maladie survient surtout à l'âge moyen de la vie, chez des sujets relativement jeunes ; le sexe masculin y serait plus exposé.

Anatomiquement, on trouve les capsules surrénales soit augmentées de volume, irrégulièrement bosselées, soit ratatinées et scléreuses ; elles sont siège d'une infiltration tuberculeuse ; des signes d'infiltration syphilitique ou cancéreuse ont pu être, mais rarement, constatés. On trouve aussi, mais d'une façon inconstante, de la sclérose, de l'atrophie du nerf sympathique abdominal.

Le diagnostic, facile jusqu'à l'évidence lorsque tous les symptômes se trouvent réunis, peut inciter à différentes erreurs lorsque prédomine un seul de ces signes ; on a pu penser à une simple neurasthénie, à une tuberculose latente, à une anémie pernicieuse, à une cachexie palustre, à une intoxication, à une appendicite aiguë, à une péritonite, à une crise de coliques hépatiques ou néphrétiques, à une crise gastrique du tabès, etc.

Le traitement symptomatique consiste à administrer des toniques (quinquina, ferrugineux, huile de foie de morue) contre l'asthénie ; de l'eau chloroformée, de boissons gazeuses contre les vomissements ; de calmants divers contre les douleurs.

L'emploi de poudre de surrénales sous forme de cachets, l'usage de l'adrénaline n'ont donné que des succès insuffisants. La question a été changée lorsqu'on a pu (en Amérique tout d'abord) se procurer de l'extrait de la couche corticale des surrénales.

La rareté et les prix très élevés de ces préparations étaient un écueil qui a été résolu par l'obtention synthétique des hormones cortico-surrénales, acétate de désoxycorticostérone fabriqué aujourd'hui par plusieurs maisons françaises (syncortil Roussel, percortène Ciba par exemple). Ces préparations sont inactives par voie gastrique, les sucs gastriques neutralisant ces hormones ; il reste deux moyens de les faire pénétrer dans l'organisme sans passer par l'estomac : les injections de solutions le plus souvent intramusculaires, sous-cutanées ou rarement endoveineuses ; c'est le procédé le plus rapidement actif ; on peut le compléter en recourant à la voie perlinguale. Cela consiste à déposer les comprimés sous la langue ou dans le sillon gingivo-labial et les laisser se résorber lentement, en évitant, autant que possible, les mouvements de déglutition. L'hormone ainsi absorbée par la muqueuse buccale passe directement dans la circulation générale en évitant les sucs digestifs. Ajoutons qu'on emploie aussi encore l'insertion sous la peau de comprimés en nature qui agissent alors en quelque sorte comme une greffe de surrénale.

Le régime, substantiel autant que possible, doit toujours comporter (vu la diminution de ces substances dans le sang), du glucose, sous forme de sucre ou de miel, et du chlorure de sodium (sel marin) ; dans ce dernier cas, comme il s'agit d'une déficience de sodium et non de chlore, le sel ordinaire peut être remplacé, s'il est mal toléré par un autre sel de soude (acétate ou bicarbonate) ; il est généralement mieux supporté avec le lait. On administre parfois ces substances en injections de sérum glucose ou chloruré, mais, sauf indication spéciale, il est plus simple de les donner sous forme alimentaire.

Dr A. GOTTSCHALK.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 432