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Grande culture

Lire et voir

Titre étrange pour un article écrit en juillet et qui ne sera mis en lecture qu'au début de septembre. Alors les moissons auront quitté les champs, les arrachages de pommes de terre battront leur plein, des regains seront récoltés ; les préparations pour le blé seront poursuivies, et l'on pourra hésiter entre les résultats de la campagne passée et les enseignements qu'elle pourra comporter, avant d'arrêter le programme de la campagne 1952-1953. Pourquoi aujourd'hui écrire : lire et voir ? Effectivement, j'avais lu et je viens de voir ; dans ma pensée, j'essaie de rattacher les deux termes et, là aussi, d'essayer de tirer un enseignement des faits.

Il y a quelques mois, à l'occasion d'une chronique traitant des travaux d'entretien dans les champs, j'ai eu l'air de défendre les mauvaises herbes et de pas montrer à leur égard la sévérité qu'il convient. L'idée présentée ainsi résultait tout simplement d'une lecture. Dans un ouvrage remarquable, l'écrivain Louis Bromfield, qui a vécu de longues années dans notre pays, spécialement dans un coin heureux de l’Île-de-France, a retracé les aspects d'une lutte entreprise dans une propriété de l’État d’Ohio pour remédier aux méfaits de l'érosion ; la catastrophe fut causée, comme ailleurs aux U. S. A., par une exploitation dévastatrice des sols neufs ; le grand remède mis en œuvre par l'auteur, et auquel voue ses efforts le Bureau de la conservation des sols, fut avant tout de couvrir la terre de végétaux. L'eau, amortie dans sa chute, ralentie dans son ruissellement, finit par humecter le sol, et celui-ci voit la végétation réapparaître.

Ayant terminé cette lecture réconfortante, procédant d'un sévère réquisitoire, mais dans la suite, véritable rénovation due à l'homme menacé de mort par la spéculation fâcheuse de ses ancêtres, pour bien me pénétrer du sujet traité par Louis Bromfield, j'évoquai d'autres spectacles proches de nous, terrifiants dans leurs aspects ; le voyageur circulant simplement en Afrique du Nord ne peut manquer d'être frappé par les efforts considérables qu'il faut accomplir pour endiguer les dévastations. Là encore, après un aménagement des terrains, on doit recourir à une végétation appropriée, pour que l'eau devienne un élément de collaboration et non une arme dévastatrice.

Dans nos champs cultivés, à propos de l'article rappelé, je voyais encore parfois une sorte de végétation adventice ordonnée (deux mots surpris de se rencontrer) conserver la vie dans le sol pour le bienfait des plantes cultivées.

La grosse question, c'est la limitation, la coordination des actions, et c'est « en voyant » tout à l'heure que me sont venues ces réflexions. Le métier de cultivateur peut être analysé sous des allures très diverses, souvent contradictoires, mais la vie avec ses diversités troublantes n'est-elle pas l'animatrice supérieure des gestes de l'homme des champs ? Laissons de côté l'aspect manuel ou mécanique des travaux, arrêtons-nous un peu, regardons et réfléchissons. Voici un champ, il est à la veille de la moisson ; maintes fois, nous avons essayé de montrer combien il est précieux de suspendre le mouvement avant de mettre la faux ou la machine en marche. Sans doute la bascule donnera-t-elle 1e résultat ; c'est le chiffre que le statisticien privé ou d'État inscrira sur ses tableaux, que l'agriculteur fera figurer dans ses comptes, mais cela ne suffit pas pour le praticien. C'est extrêmement difficile d'estimer un rendement, mais on peut l'expliquer et, pour pouvoir tenter cette explication, il faut avoir vu. Or je viens de voir, et je me suis souvenu d'avoir lu et d'avoir écrit. Que m'a dit, ce matin, le grand livre de la nature ? Un beau champ de blé, du moins pour le profane, une couleur qu'un soleil de plomb a trop orientée, depuis quelques jours, vers le jaune mûrissant, un épi qui par instant ondule lorsque la brise daigne apaiser les maux dont souffre celui qui travaille dans cette atmosphère embrasée. Ne nous contentons pas de ces impressions ; avec précaution, pénétrons, cherchons des éléments d'appréciation. Le premier, c'est la densité de la végétation. Carrefour où aboutissent le nombre de grains, le poids de la semence confiés au sol, les actions de tallage, de montaison ; j'ai compté, sur des lignes distantes de 20 centimètres, de 35 à 40 à 70 épis au mètre courant ; cela ne fait que 200 à 350 épis au mètre carré ; un moyenne de 275 ne me satisfait pas. « Vous êtes difficile », me disaient hier des visiteurs. Je rétorquai que j'aurais ambitionné 350 à 400. Mais n'avions-nous pas compté 450,500, en 1950 ? C'était magnifique, si beau que des orages malmenèrent tout et facilitèrent l'installation de la rouille noire.

Le nombre actuel résulte d'une réduction voulue de la quantité de semence, d'une légère atténuation des engrais azotés de couverture et, ce qui n'est pas notre fait, d'un tallage insuffisant, conséquence des conditions de l'hiver et du printemps. Alors quel rendement ! l'épi est lourd, il dépassera en moyenne 1 gramme de grain par épi, peut-être obtiendra-t-on 1gr, 100, 1gr,200 : ce serait magnifique ; je parle de la moyenne du champ, y compris les tardillons ; cela fera au maximum 33 quintaux par hectare ; ce n'est pas assez dans le cas considéré.

Mais je n'ai pas vu que des épis prometteurs ; de place en place, une tige plus haute me faisait dévier dans ma promenade et un chardon était décapité. Celui-ci, je ne le charge pas de retenir la terre, il a échappé aux hormones pulvérisées ; il faudrait accepter quelques rayons de soleil et aller couper ces têtes très peu nombreuses qu'il faut proscrire d'une manière absolue. Un peu plus loin, une tache écarlate ; vous voyez de quoi il s'agit là. On peut être content, ce champ que nous prospectons a été si lamentable il y a quelques années ; une variété de taille courte, un herbicide absolument insuffisant ; depuis, d'autres récoltes sont venues, mais le coquelicot est un accident. Cette plante ne peut pas être acceptée dans une culture qui veut tendre vers le mieux ; guerre aux coquelicots, guerre aux chardons.

Faudrait-il tolérer autre chose dans cette pièce ? Franchement, non, et je reviens sur une phrase antérieure : le milieu est tel qu'il réclame le rendement élevé avec exclusivité de la plante cultivée. Si mon champ est couvert par les feuilles du blé au printemps, par les larges feuilles si protectrices de la betterave quand viendra son tour, ce n'est que l'année du fourrage où il faudra accepter et rechercher la couverture aussi dense que possible ; l'an dernier, la couverture constitués par un mélange de trèfle des prés et de ray-grass d'Italie, c'était magnifique.

Somme toute, en voyant ce matin, j'ai fait la synthèse entre l'idée de l'érosion repoussée par le moyen utile et le désir de réaliser la pleine récolte.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 548