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Richard-Toll

Claude Richard, botaniste au Muséum d'histoire naturelle, un des premiers civils que Napoléon décora de la Légion d'honneur, fut chargé en 1815 de se rendre au Sénégal, pour l'étude des diverses possibilités agricoles de ce pays.

Il avait déjà accompli, comme botaniste de la Marine, diverses missions aux Antilles, à la Réunion, etc.

Il devait s'embarquer à bord de la Méduse de si lugubre mémoire, mais il eut la bonne fortune de prendre un autre brick.

Arrivé à Saint-Louis, il remonta le fleuve Sénégal jusqu'au confluent d'une petite rivière, la Taouey, qui communiquait avec le lac de Guiers.

Trouvant la région propice pour ses recherches, il y créa un « toll » ; en langage ouolof, toll veut dire « jardin », d'où le nom de Richard-Toll qui resta à l'établissement nouveau et au village indigène tout proche.

Les premières recherches effectuées au jardin d'essai de Richard-Toll portèrent sur le cotonnier, l'indigotier et les arbres fruitiers ; elles furent suivies avec plus ou moins de continuité et de cohésion par les successeurs de Claude Richard.

Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1865, choisit Richard-Toll pour y établir une résidence d'été.

Construite par le Génie militaire, elle était facile à défendre avec sa terrasse aux échauguettes percées de meurtrières et avec son mur d'enceinte protégé par des tourelles également à meurtrières.

C'était une bonne précaution, car Faidherbe avait entrepris des tractations avec les chefs des tribus maures de la rive droite du Sénégal, tribus pillardes, rebelles à nos avances, et dont les incursions en rive gauche étaient très redoutées des Sénégalais, car chaque razzia se terminait par l'enlèvement de jeunes gens et d'enfants qui, passés sur la rive droite, n'étaient plus que des captifs, au sens esclave du mot.

Tout en demeurant jardin d'essai ou station agricole, Richard-Toll fut souvent une halte pour des troupes françaises qui remontaient vers le Soudan ou bien en redescendaient.

Pour combien de « marsouins » ce fut la dernière étape ? En 1906, en remuant le sol, on découvrait encore des boutons d'uniforme et des ossements humains. La fièvre jaune était un fléau endémique. En 1900, l'Inspection d'agriculture du Sénégal et dépendances reprit les recherches sur la production du coton.

La résidence d'été de Faidherbe, mal entretenue, en mauvais état, à la terrasse transformée en écumoire, servit de logement aux agents d'agriculture.

De sérieux essais furent entrepris, ils se prolongèrent avec bien des difficultés et aléas jusqu'en 1914.

Ils démontrèrent la possibilité de produire d'excellentes fibres aussi bien en culture sèche qu'en culture irriguée dans la région de Richard-Toll et en amont de celle-ci.

Des crédits insuffisants, l'incompréhension de l'Administration dans son ensemble, les changements trop fréquents du personnel technique minimisèrent l'importance des résultats acquis.

Et puis un grave problème se posait avec une force de plus en plus grande : la question de l'eau.

Lorsque Claude Richard créa son jardin, les eaux du fleuve et de la Taouey étaient douces toute l'année.

Mais un phénomène non apparent se produisait pourtant, c'était l'assèchement de l'ouest nord-ouest de la colonie du Sénégal.

Assèchement dont les causes relevaient notamment du déboisement, de modifications d'ordre météorologique, de la diminution de précipitations atmosphériques ; de l'action néfaste de l'harmattan, ce vent d'est brûlant, tout aussi redoutable pour la végétation que le sirocco en Afrique du Nord ; de l'arénation, qui accumule une couche de plus en plus épaisse de matériaux très mobiles, éminemment propres à des formations dunaires.

En saison sèche, le débit du fleuve devenait insuffisant pour refouler les eaux salées des marées de l'Océan, celles-ci remontaient de plus en plus à l'intérieur, se mêlaient à l'eau douce, la rendant impropre à l'irrigation.

Un essai de barrage fut entrepris à Richard-Toll par une mission spéciale en 1915; il se termina mal.

La station agricole de Richard-Toll, qui était devenue orphelinat et pénitencier agricole, fut abandonnée par le Service de l'agriculture en 1918.

Toutefois, en 1917, une levée de terre établie et entretenue chaque année par le Service des travaux publics sur la Taouey, à l'entrée de la station, mit fin à l'introduction de l'eau saumâtre dans le lac de Guiers. Les terres immédiatement en bordure de la Taouey et des berges nord du lac se dessalèrent, les cultures devinrent possibles et l'eau douce attira les pasteurs nomades, le mouvement de transhumance s'accentua en période sèche vers cette région.

En 1923, la question de l'eau fut à nouveau à l'ordre du jour sous l'action de la Chambre de commerce de Saint-Louis, qui pensait que ce problème avait été perdu de vue par le gouvernement du Sénégal, ce en quoi elle se trompait.

Des rapports furent exhumés, des projets mis noir sur blanc, il en sortit bien peu de chose, car un organisme tout-puissant se créait, l'Office du Niger, lequel s'opposait à l'essor de la culture du coton dans la vallée du Sénégal, ce textile devant être la grande production de la vallée du Niger.

Plus tard, l'Office du Niger abandonna en partie le coton et porta ses plus grands efforts sur la culture du riz.

Depuis la tourmente de 1938-1945, on s'est aperçu que l'heure des techniciens était venue.

De grands programmes de mise en valeur de la vallée du Sénégal sont envisagés, des stations expérimentales sont créées ; elles fonctionnent.

Se décidera-t-on à entreprendre les travaux de barrage nécessaires pour conserver le maximum d'eau dans le bassin du fleuve et de ses affluents, nous l'ignorons, mais tout porte à croire que cette fois les jeunes ingénieurs d'agronomie coloniale feront définitive besogne et qu'il ne leur manquera plus cette pérennité si indispensable à toutes les recherches agricoles.

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Pour en revenir à Richard-Toll, nous avons sous les yeux deux photographies : l'une datant de 1914, qui montre le poste de Faidherbe avec son mur de clôture lépreux au crépissage tombé, et une autre plus récente, en 1925, où l'on voit que certaines réparations ont modifié l'aspect extérieur du poste, tourelles à meurtrières disparues, etc. ...

Conserver ce petit ouvrage, l'entretenir sans le défigurer serait un hommage à rendre à la mémoire de Faidherbe, l’un des plus grands gouverneurs du Sénégal et l'un des rares généraux français qui battirent les Prussiens en 1871.

MENGARDE.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 629