Accueil  > Années 1952  > N°669 Novembre 1952  > Page 656 Tous droits réservés

Un utile compagnon de promenade

Lorsqu'on circule sur son terrain de chasse en temps de fermeture, il est recommandé d'être accompagné d'un chien susceptible de détruire les nuisibles, soit à l'agriculture, soit au gibier. Entendons par là rongeurs et mustélidés. Après essais, les chiens terriers ont acquis ma préférence.

Parmi les chiens terriers, ce sont fox-terriers et consorts que j'ai, en fin de compte, choisis. Ces chiens, dont la taille n'excède pas 0m,40, ont pour eux la vivacité des réflexes, la rapidité du train, le nez, le courage et le goût de la chasse des animaux nuisibles. Plus vites que les courtes-pattes, plus aptes à suivre une voie grâce à un nez meilleur, c'est à eux qu'il est conseillé de recourir pour ce rôle de compagnon utile. À tenir compte de leur taille et de leur structure permettant de s'en servir en temps de neige comme dans les bruyères denses, où les très petits chiens sont véritablement noyés ; autre considération pour en recommander le choix.

J'ai utilisé plusieurs fox-terriers dans ce rôle de compagnon utile, et particulièrement des femelles, plus fines, plus souples que les mâles. Un temps fut où le recrutement du terrier à tout faire, compris les métiers de courant ou de spaniel, était plus aisé que de nos jours. Jusqu'à 1920, nous avions parmi les chasseurs de ma commune une famille de fox-terriers à poil lisse, d'un modèle encore répandu à la fin de l'autre siècle, dont on peut saisir les caractères en étudiant le type des chiens figurant en grand nombre dans la monographie générale du comte de Bylandt. L'amateurisme soucieux des seuls lauriers des expositions dira que ce type est dépassé. Du point de vue mode, en effet ; mais cette réflexion est sans valeur du point de vue de l'utilisateur. Il est de fait que le chien primé il y a plus d'un demi-siècle, et dont l'image figure avec abondance dans le volume précité, ne présente aucun caractère graioïde, tels la prédominance faciale avec face conique sans ciselure sous les yeux, stop inapparent, crâne plus ovoïde que triangulaire et peu épanoui, structure ogivale de la côte, flanc retroussé. Le fox-terrier d'exposition est remplacé pour le travail du terrier en sa patrie par divers « working terriers » rappelant soit le type ancien, soit un personnage plus bas sur pattes semblant apparenté au Sealyham. Chez le fox-terrier de jadis, le crâne en tronc de pyramide était large entre les oreilles, la face était de même longueur que le crâne, s'inscrivant dans une figure plus rectangulaire que conique, bien ciselée sous les yeux. Le tronc était celui du hunter, avec la côte cerclée sans excès, car le chien était élégant. Pierre Mégnin classait parmi les lupoïdes les fox-terriers et leurs semblables, tels que Welsh et Irish. Actuellement, nombre des premiers, au vu de leurs caractères, ne sauraient y figurer. Il n'y a aucune malice à l'observer. Le goût a voulu une évolution et tous les goûts sont respectables, même si ne tenant compte que de l'esthétique, sans se soucier des variations qu'une réforme peut apporter au moral d'une race d'utilité. Cela est d'ailleurs certain, puisqu'un temps fut il avait été question de ranger le fox-terrier parmi la catégorie des « no sporting ». Tout ceci dit non pour rien critiquer, mais simplement constater un état de fait.

J'ai pratiqué l'ancien et le nouveau pour observer que le premier présentait un ensemble de talents qu'on pouvait attendre d'un chien exclusivement élevé pour le travail, et une grande variété de travaux. Il y a plus de cinquante ans, on trouvait dans le Nord et en Belgique le modèle qui avait cessé de plaire en Grande-Bretagne et que des marchands introduisaient en nombre. L'origine de nos serviteurs prenait sa source dans certains de ces chiens achetés chez eux, dont la descendance fut un moment alliée à une lice au pedigree le plus brillant. Celle-ci chassait admirablement le lapin, mais montra toujours peu de goût pour les explorations souterraines. Par contre, j'ai reçu des chiens que je mettais au terrier, qui se déclaraient à leur première sortie et dont il y avait plutôt à modérer l'ardeur.

Comme compagnon de promenade utile, je n'ai jamais utilisé qu'un chien à la fois. Deux fox-terriers lâchés ensemble sont rapidement déchaînés, et il est difficile d'en être maître. Ils tendent à se comporter de même que s'ils s'étaient échappés et n'en font qu'à leur tête. On sait toutes les sottises que deux terriers vagabonds peuvent faire en un parc. Malheur aux lapins et aux oiseaux nichant à terre ! On ne circulera donc qu'en compagnie d'un seul toutou particulièrement ardent sur les puants, bon lanceur et même bon meneur. Lorsqu'il s'agit d'une fouine ou d'un putois, ce dernier talent est indispensable.

Cette réflexion me rappelle le souvenir d'une de mes chiennes qui, accompagnant les chiens courants, faisait le chemin sur une voie de lièvre et menait, bien entendu, tous les nuisibles. Un jour, passant à proximité d'un tas de fagots, je la vois s'agiter et y plonger. Sort une fouine dont elle prend la voie, descend une avenue, passe dans un ajonc de peu d'étendue au milieu duquel un terrier de lapin de quelques trous, où elle s'engage. Je suis au pas de course et, en arrivant sur les lieux du combat, je trouve la chienne déjà sortie et tenant la fouine bel et bien étranglée. Cette bête, dont le poids était de 7kg,500 seulement, tuait au terrier n'importe quel renard, mais se gardait bien de bagarrer avec le blaireau. Plus maligne en cela que les mâles, tueurs de renards, incapables de faire la distinction et toujours fort étrillés lors d'une chasse au blaireau.

Je ne compte pas les taupes et les belettes occies lors d'une tournée aux bois ou aux champs, ni des putois menés jusqu'à leur repaire, qu'il était ensuite aisé d'en extraire à la pelle et à la pioche. Mais il faut canaliser ces ardeurs et éviter de promener un chien disposé à tout attaquer, les jeunes oiseaux par exemple.

Lorsqu'on n'a à manier qu'un seul chien, on y parvient aisément, avec les chiennes surtout. Les mâles ont un autre inconvénient, celui de s'en prendre à leurs congénères ou aux chats. Lorsqu'on passe dans une ferme ou un village, il est indiqué de les mettre à la laisse, afin d'éviter de petits drames qui peuvent coûter cher. C'est ainsi qu'un jour, sur une grève déserte, un de ces fox-terriers, redoutable combattant chez qui quelques marques bringées laissaient penser à quelque ancêtre bull-terrier, étrangla proprement un bâtard de terre-neuve venu le houspiller. Le combat se déroulait sur un sable marneux plus ou moins mou, et on ne put intervenir à temps pour le faire cesser. Ce terrier tuait régulièrement tous les renards pour peu qu'il lui fût possible de parvenir à portée, car il était d'un modèle un peu fort. Mais tout renard tué était sorti par le chien, épargnant donc les travaux de terrassement. Ce n'est pas cependant que tels guerriers soient à recommander. Rien n'est plus désagréable que ces batailleurs, dont le rendement au terrier, en particulier, n'est pas ce qu'on pourrait croire, l'importance de leur modèle étant, pour eux, un handicap. Ce ne sont pas, pour le sanglier lui-même, ce qu'on peut trouver de mieux. Bien que les chiens de moins de 0m,40, ou même de cette taille, se fassent rarement tuer, c'est aux grands bagarreurs que le malheur arrive le plus souvent, victimes d'un courage aveugle contre un puissant adversaire.

Comme compagnon pour un garde, un fox-terrier, aux talents divers, est très à recommander. J'ai connu telle chienne fidèlement attachée à l'un d'eux, faisant terrier et chien courant, qui, en outre, arrêtait la perdrix à la manière d'un spaniel et aussi la bécasse, sans doute pour avoir suivi quelques chasses au chien d'arrêt.

Il est dommage de voir diminuer le nombre de ces chiens aux talents si divers. Les colonnes des petites annonces des revues cynégétiques ne sont pas encombrées de propositions de vente, moins qu'un temps certainement. D'autres races ont pris leur place comme plus achalandées dans la production du chien de compagnie. Celui-ci étant sans autre prétention, il est vrai, que de montrer aimable caractère. Mais il est aussi évident : la chasse sous terre est tant soit peu abandonnée. Or les carnassiers autres que le renard sont nombreux, dont le blaireau, plus nuisible que certains pensent. D'où vient cet abandon ? Au vu de chasses que j'ai suivies au cours des vingt dernières années, j'ai été frappé du peu de ténacité des chiens. Des bagarreurs sans doute, à côté de chiens bien peu enthousiastes, mais trop peu de teneurs de ferme des heures durant, sans se faire pincer. Or c'est avec ceux-ci qu'on prend le blaireau, autrement difficile que le renard. Est-ce là la cause de cette indifférence marquée en quelques régions ? En tout cas, on ne saurait assez conseiller aux propriétaires possédant une famille de grande qualité de la maintenir à l'abri des alliances pouvant en compromettre les caractères.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 656