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Des céréales propres

Le rendement des céréales a été, cette année, dans son ensemble fort satisfaisant, en dépit des conditions météorologiques médiocres. Si les avoines ont manqué d'eau, les blés et les orges se sont bien comportés et ont tenu les promesses des débuts de leur végétation. À défaut du temps idéal avec pluie et soleil exactement dosés, mieux vaut, en définitive, la sécheresse que l'excès d'humidité. « Année de foin, année de rien », disaient les vieux.

Les causes de l'augmentation, irrégulière, puisqu'en dents de scie, mais continue des rendements des céréales sont multiples : emploi généralisé et raisonné des engrais, meilleur travail du sol par suite de l'utilisation d'instruments plus perfectionnés et plus variés, motorisation qui permet de prendre la terre au moment favorable et de développer le machinisme, meilleures semences dues aux progrès de la génétique et à la sélection généalogique, toutes choses valables auxquelles il faut ajouter toutefois l'amélioration des moyens de lutte contre les mauvaises herbes.

On était, il n'y a pas si longtemps, fort désarmés contre elles et, quand un champ était envahi, le meilleur moyen était encore la jachère cultivée, au cours de laquelle on multipliait les façons culturales. Les résultats étaient excellents, mais fort coûteux puisqu'ils se traduisaient d'une part par l'absence d'une récolte et, d'autre part, par un travail intensif du sol. L'opération en fin de compte était rentable, mais on comprend cependant que peu nombreux aient été ceux qui se décidaient à recourir à un semblable procédé.

Il y avait aussi la rotation des cultures dans l'assolement, qui, judicieusement, permettait d'intercaler entre les céréales salissantes des plantes nettoyantes, type plantes sarclées, comme la betterave ou la pomme de terre, ou des fourrages agissant par étouffement. La luzerne elle-même, salissante quand elle durait trop longtemps, était devenue un élément de propreté en voyant ramener sa durée à deux années. On s'était même mis à sarcler les céréales, et le procédé a conservé des adeptes.

La lutte est devenue plus facile et plus efficace avec l'emploi de l'acide sulfurique (procédé Rabaté), surtout en honneur dans l'entre-deux-guerres. On utilise généralement l'acide à 52° Baumé, dilué à raison de 12 à 15 litres pour 100 litres d'eau, et dont on pulvérise 800 à 1.000 litres de solution par hectare. Grâce à la pellicule cireuse qui recouvre leurs feuilles, les graminées ne sont pas détruites, et même ne souffrent pas sérieusement si on ne dépasse pas les doses ci-dessus, tandis que les sanves, les ravenelles, la matricaire camomille périssent. Mais, si les céréales résistent, bien d'autres plantes résistent aussi, et notamment les autres graminées, comme le chiendent et l'avoine à chapelet ; les chardons non plus ne sont pas détruits et restent justiciables de l'échardonnage à la main, travail long, fastidieux et coûteux au prix actuel de la main-d'œuvre.

Apparurent, quelques années avant la dernière guerre, les colorants nitrés, et parmi eux le dinitrophosphate de soude et le dinitrophosphate d'ammonium, dont l'action s'est montrée fort efficace. Il convient de les employer de bonne heure, alors que les adventices n'ont guère que deux feuilles. Véritables poisons végétaux, ils tuent rapidement sanves, ravenelles, coquelicots, bleuets, vesces, renoncules, etc. Suivant les circonstances, on peut employer en pulvérisations ou en poudrages. Ils conservent, à juste titre, leurs partisans et continuent à être régulièrement employés, toujours avec le même succès.

Depuis quelques années, on s'est mis à utiliser les hormones végétales, qui provoquent dans les plantes atteintes des troubles physiologiques mortels. Les plus employées sont obtenues par synthèse et dérivent de l'acide dichlorophénoxyacétique (groupe 2-4-D). Très actives, très énergiques, elles s'emploient à doses minimes (2 à 3 kilos du produit commercial correspondant à un kilo d'acide dilué dans 1.000 litres d'eau par hectare). Parmi les mauvaises herbes, il n'y a guère que les graminées qui résistent. Des précautions sont à prendre en raison même de l'activité du produit, qui ne saurait être transporté par le vent sur les cultures voisines sans causer des dégâts parfois graves. Il convient de se méfier en particulier de la vigne et des arbres fruitiers.

L'emploi de ces produits nouveaux ne saurait faire abandonner, ni même négliger les autres moyens classiques de lutte, comme le déchaumage, par exemple. Il rend toutefois moins impérieuses certaines précautions et certaines règles d'assolement. On hésite moins à faire deux céréales à la suite, et même blé sur blé.

Ils devraient, par contre, permettre de pousser le nettoiement des terres à un degré supplémentaire et, dans une certaine mesure, de remplacer la jachère cultivée. Si des précautions strictes sont à prendre quand il s'agit d'un épandage effectué dans une céréale dont la résistance n'est pas illimitée, une certaine tolérance devient possible en terre nue et assure la destruction des plantes les plus coriaces, celles qui résistent aux doses habituelles. Il ne saurait, cependant, être question de répandre ces produits à haute dose, surtout les hormones, dont l'action profonde et prolongée est encore mal connue ; la prudence reste la règle.

Il est courant de trouver en bordure des champs les mieux tenus, parfaitement propres par eux-mêmes, des tournières, chaintres, fossés et talus couverts d'une végétation spontanée qu'on laisse impunément mûrir et qui constitue de magnifiques réserves de semences de mauvaises herbes. Ici encore, un effort est à faire, et les moyens dont on dispose maintenant le rendent relativement facile. Le tracteur travaille vite et puissamment, les herbicides sont efficaces et énergiques. Leur action combinée peut venir à bout des foyers d'infection.

Coquelicots et bleuets se plaisent dans les champs de céréales et même ont besoin des travaux de culture pour prospérer. Leur présence n'en est pas moins fâcheuse, et c'est trop souvent encore qu'on les voit dresser leur tête colorée dans nos cultures. D'autres plantes sont plus nuisibles encore ; toutes peuvent être détruites par une action méthodique et constante.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 676