Episode 7X12 X-Cops/Peur Bleue

La peur en direct

Le scénario de Peur Bleue est - au premier abord seulement - d'une banalité consternante. La notice d'information du site officiel s'en fait l'écho :

Researchers have long known that every 29 days, 12 hours, 44 minutes and three seconds the planet Earth and its inhabitants experience the strange effects of the full moon. While most are familiar with the rising and falling of the ocean tides, the power of moonlight has also been shown to affect people on a much more personal level. Scientists have long attempted to prove that people are likelier to commit homicide, make love, or take their own lives under the influence of a full moon. Cultures throughout history have long upheld these beliefs about the full moon and it's harmful powers -- even going so far to blame the moon for lycanthropes, otherwise known as werewolves Les chercheurs savent depuis longtemps que tous les 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 3 secondes la planète Terre et ses occupants subissent les étranges effets de la pleine lune. Même si la plupart d'entre eux sont accoutumés à la montée et la descente des eaux de la marée, l'influence de la pleine lune a aussi été perçu comme affectant les gens à un niveau plus personnel. Les scientifiques ont longtemps cherché à prouver que les gens étaient plus enclins à commettre un homicide, ou à faire l'amour, ou à se suicider sous l'influence de la pleine lune. Au cours de l'histoire, de nombreuses cultures ont entretenu ces croyances sur les pouvoirs néfastes de la pleine lune - allant jusqu'à la croire à l'origine des lycanthropes, aussi appelés loups-garous.

Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui fait la réussite de X-Cops, c'est la parfaite osmose atteinte ici par Vince Gilligan (scénariste) et Michael Watkins (réalisateur). Le fond y est au service de la forme et réciproquement.

1°) Un hommage (réussi) à Stephen King (sans Stephen King) :

C'est presque devenu une habitude, mais les meilleurs hommages rendus par les X-Files à leurs auteurs favoris sont ceux auxquels lesdits auteurs n'ont pas été associés ! Souvenons du calamiteux 5X10Chinga/La Poupée - un mauvais "Chucky" et un mauvais Stephen King - et du très moyen 5X11 Kill Switch/Clic mortel - écrit (??) par le pourtant génial William Gibson (auteur de Neuromancien, Comte Zéro, Mona Lisa, Johnny Mnémonique, etc.) - là où 1X06 Ghost in the Machine/Un fantôme dans l'ordinateur ; 1X07 Ice/Projet Arctique ; 1X09 Fallen Angel/L'Ange déchu ; 1X19 When darkness falls/Quand vient la nuit ; 2X02 The Host/L'Hôte ; ou encore 4X04 Teliko/La couleur de la peur étaient à la fois des scénarios originaux ET des hommages appuyés aux maîtres du genre.

L'idée de Vince Gilligan est simple et intelligente en même temps : traquer un monstre insaisissable parce qu'il change sans arrêt de forme, de proie et de lieu.
On l'aura deviné, le seul et unique monstre silencieux, invisible, impalpable, inodore et sans saveur auquel TOUT LE MONDE croit parce qu'il l'a rencontré dans sa propre vie c'est... la peur !

De plus, Gilligan réussit le tour de force qui consiste à nous parler de plein d'autres choses en même temps :
- sa série télé préférée (Cops est un docu de la Fox sur les flics) ;
- la méthode "Chris Carter" (making of) ;
- le FBI (et son culte du secret) ;
- le rapport entre le comédien et son rôle (champ/Hors champ) ;
- le rapport de la caméra avec le couple fiction/réalité ;

Bref, X-Cops est tout sauf un épisode superficiel. Mais là où une démonstration bavarde et didactique aurait été soporifique, Gilligan fait le choix de l'ellipse, qu'elle soit verbale (nous avons peu de dialogues pontifiants mais beaucoup de conversations brèves, saccadées et quasi "improvisées") sonore (la musique omniprésente de Mark Snow est absente ici !) ou visuelle (voir plus bas).
X-Cops n'est ni une charge contre les pratiques discutables du FBI, ni une auto-promotion de la Fox pour une autre série, ni un racolage grossier sur les plates-bandes des auteurs d'épouvante, ni encore moins une thèse sur le jeu de l'acteur et ses rapports avec les personnages qu'il incarne !
Et pourtant, ne découvrons-nous pas au détour d'une scène anodine que Scully n'aime pas être filmée quand elle ne contrôle pas son image et son texte, et que Mulder est cabotin et pédagogue sous les feux de la rampe !

Enfin, la peur, qui est LE méchant de cet épisode, s'avère être contagieuse. Si l'idée est juste, il convient d'en expliquer la raison. Je pense que la peur dont nous parle Gilligan ici n'est pas la classique peur de l'inconnu mais plutôt la peur de l'effraction, du viol de l'intimité, de l'intrusion dans nos vies bien réglées d'un élément perturbateur dont la pleine lune est la métaphore et le loup-garou l'allégorie.
Les gens les plus ouverts (Mulder en l'occurrence) ou les plus éduqués (Scully) sont mieux armés que les autres pour résister à ce genre de peur. Mulder, parce qu'il flirte depuis longtemps avec l'irrationnel jusqu'à l'avoir apprivoisé ; Scully parce que ses études de médecine l'ont préparée à affronter (ou démystifier) des phénomènes insolites, horribles ou dangereux.

(c) Fox(c) Fox(c) Fox

2°) Un réalisme visuel dérangeant :

Bien sûr, on pourra dire que depuis l'épisode en direct d'Urgences ou les émissions hybrides du genre "docu-drama" le procédé n'est plus nouveau. Il n'empêche que ça fonctionne aussi pour X-Files ! Et pas à cause d'un quelconque effet de mode, mais parce que la forme choisie correspond au fond (voir plus haut).
C'est justement parce que tout est filmé caméra à l'épaule, avec une pellicule et un éclairage de documentaire d'informations, dans un état de tension proche du reportage en direct que nous croyions (presque) à l'existence de ce monstre que la caméra ne parvient pas à fixer.
C'est parce que nous suivons les moindres pas, les moins paroles, les moindres décisions des enquêteurs que nous sommes choqués - comme eux - par la brutalité des aggressions, la soudaineté de l'attaque du virus hanta : nous avons peur (c'est contagieux) parce que nous n'avons rien vu venir !

L'impact - bien réel - que produisent les images vient pourtant d'un double procédé déjà éprouvé en littérature par Agatha Christie (entre autres) dans Le meurtre de Roger Ackroyd et au cinéma par Hitchcock : l'ellipse (on ne dit/montre pas tout) engendrée par la subjectivité du point de vue. Les grands maîtres de l'épouvante savent qu'il n'existe pas de plus grande peur que l'attente d'une catastrophe prévisible !
Dès qu'un des personnages a peur, il devient une victime probable et en retour nous avons, nous aussi, parce que nous sommes témoins impuissants, peur pour lui !
Du coup, Vince Gilligan hisse, avec une grande économie de moyens ET une grande intelligence, les X-Files au niveau des plus grands films du genre (Alien de Ridley Scott, Vertigo d'Hitchcock, 2001 de Kubrik, etc).

Fear Street

Peur Bleue est aussi le titre français d'un film écrit par Stephen King et inspiré d'une de ses oeuvres les plus insolites. Il s'agit d'un calendrier dont chaque mois fait l'objet d'un chapitre du roman. Son titre original était "L'année des treize lunes", et le sujet en était évidemment un loup-garou qui terrorise la population d'un village à chaque pleine lune.

making of : à un second niveau de lecture, on peut aussi considérer cet épisode comme un reportage sur le tournage d'un épisode des X-Files. Du choix des décors, aux éclairages, en passant par les cadrages, les briefings en aparté, et les caprices de stars, TOUT y est !

La musique est un des gimmicks essentiels de la série, un véritable ressort dramatique dans CHAQUE épisode. Du coup son absence ici n'en est que plus remarquable ; le silence de X-Cops est aussi une réussite !

sommaire X-Files Ajouts de Matthieu
Autres épisodes
sommaire séries TV