Episode 1X09 : Fallen Angel / L'Ange Déchu

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Fallen Angel (L'Ange Déchu) est un excellent épisode "conspiration".
Le premier dialogue, dès le pré-générique, définit la problématique : le gouvernement niera avoir eu connaissance de tout événement extraordinaire comme le crash d'un engin volant non identifié sur son territoire.
Ainsi, le Colonel Calvin Henderson s'emploie-t-il avec zèle à dissuader ses subordonnés du Centre de Surveillance Aérienne de la base de Cheyenne Mountain de communiquer les coordonnées du crash aux autorités civiles...

MALE OFFICER #1 : I've instructed Chief Koretz to start her report right away...
COLONEL CALVIN HENDERSON : Negative ! What she tracked was a meteor. Its abberant movement was obviously due to instrument malfunction.
CHIEF KORETZ : But sir...
COL : Your report will reflect these facts. Is that clear ?
MALE OFFICER #1 : Yes, sir.
COL : Good.

(Colonel exits, walks to deserted corner. Dials cell phone)

COLONEL CALVIN HENDERSON : Code indigo delta echo niner. I have a confirmed fallen angel in sector 87. Mobilize Operation Falcon Immediately.

J'ai ordonné à la Chef Koretz de commencer son rapport immédiatement...
Négatif ! Ce qu'elle a accroché était un météore. Son mouvement aberrant était manifestement dû à une défaillance de nos radars.
Mais Monsieur...
Votre rapport confirmera ces faits. Est-ce clair ?
Oui Monsieur.
Bien.

(Le Colonel s'éloigne et se met à l'écart pour téléphoner d'un endroit à l'abri des regards.)

Code Indigo Delta Écho Neuf. J'ai la confirmation d'un ange déchu dans le secteur 87. Mobilisez l'Opération Faucon immédiatement.

Admirons, une fois de plus, le soin que les scénaristes - Alex Gansa et Howard Gordon - ont apporté au choix du vocabulaire employé :
1°) "ange déchu" fait évidemment penser à une créature par définition céleste, donc extra-terrestre, qui serait tombée des cieux ; il s'agirait donc d'une sorte de Lucifer de passage sur Terre avant de descendre en Enfer...
2°) "Opération Faucon" évoque l'oiseau prédateur et charognard qui débarrasse la Terre des nuisibles et des carcasses de créatures mortes. Le spectateur est fixé dès le pré-générique : il va assister à une opération de nettoyage.

Mais les regards que se sont lancés, d'une part, les deux sous-officiers témoins initiaux du crash, et, d'autre part, le Colonel Henderson et les deux mêmes sous-officiers, sont très éloquents : il y a bel et bien eu un crash d'engin volant non identifié, pas un météore !
Le slogan du générique - "Government denies knowledge" - n'est plus à démontrer...

Seul un informateur au sein des plus secrètes instances peut faire savoir à Mulder ce que la population toute entière devrait ignorer : Deep Throat (Gorge Profonde) ! Son vocabulaire est en fait très voisin de celui du Colonel Henderson :

DEEP THROAT : This morning at 0100 Operation Falcon went into effect Led by Colonel Calvin Henderson, the Air Force's premiere reclamations expert.
MULDER : Reclamations ?
DEEP THROAT : During the cold war his job was to prevent technologies from downed US aircrafts from getting into Soviet hands.
MULDER : He's part of a craft retrieval unit.
DEEP THROAT : Mm Hmm... Quick response. I'd say you have... 24 hours before the entire area is sanitized. After that, it will be like nothing has happened.
Ce matin à une heure, l'Opération Faucon est devenue effective. Elle est dirigée par le Colonel Calvin Henderson, expert de l'US Air Force pour les réclamations prioritaires.
Des réclamations ?
Pendant la Guerre Froide, son boulot était d'empêcher que les merveilles technologiques de nos engins tombés au sol ne finissent entre les mains des Soviétiques.
Il appartient à une unité de récupération d'engin aérien.
Mmoui... Réponse éclair. Je dirais que vous avez... 24 heures avant que toute la zone ne soit décontaminée. Après cela, ce sera comme si rien n'était arrivé.

Le tour de force de l'épisode :

Il consiste à nous faire voir une créature invisible à travers un incroyable déploiement de matériel et d'hommes venus pour effacer ses traces ! Cet objectif est parfaitement rempli grâce à des astuces visuelles :
- un périmètre de sécurité à rayons laser rouges ;
- un environnement sonore (ordres aboyés, hélicoptères) et visuel (jeeps, camions, G.I. chargeant leurs armes, etc.) omniprésent ;
- une trace de chaleur, visible uniquement par lunettes à infrarouge ;
- une traque et une patrouille en forêt la nuit ;
- une lumière de projecteurs blanche et éblouissante ;
- un homme seul et vêtu de noir (Mulder) qui échappe à la vigilance de tous ces hommes et parvient à découvrir le site du crash qu'on est en train de "nettoyer" !

Et bien sur :
- une
créature invisible à peine décelable du coin de l'oeil à une palpitation des feuilles d'arbres qu'elle effleure mais qui devient aveuglante quand elle attaque son poursuivant.

Le parallèle entre Mulder et la créature est souligné par leur situation commune - isolement au coeur de la forêt, adversaire en surnombre, aucun moyen de défense - et le fait que le mensonge est du côté des traqueurs. On est donc tenté de donner raison à la créature autant qu'à Mulder.
Cette ambiguïté contribue à l'ambiance malsaine dans laquelle baigne l'épisode ; en effet, Mulder lui-même voit somme toute peu de choses. Il photographie des hommes en combinaison blanche en train de noyer un engin de forme indéterminée sous de la neige carbonique. Bref, il voit une explosion de blanc après un séjour nocturne de plusieurs heures dans une forêt épaisse !

Le malentendu de l'épisode :

Capturé et brutalisé par le Colonel Henderson, Mulder se retrouve en cage - celle que l'on destine probablement à la créature - et fait la connaissance d'un autre prisonnier : Max Fenig.
Ce type au look un peu "hurluberlu" - blond chevelu à petites lunettes cerclées - sait immédiatement et instinctivement
établir un contact franc et sympathique en toutes circonstances :

MAX FENIG : Are you MUFON or CUFOS ? (Approaches out of shadows, wears baseball cap backwards, glasses, long blonde hair) Do you mind if I sit down ? Let me guess, you're with that new group--CSICOP, right ? (Mulder looks away) Um, say no more. You're a cautious man. Trust no one. Very wise. After what happened to JFK, I understand completely. (Mulder looks back) Oh, let me introduce myself. My name is Max Fenig. I'm with the National Investigative Committee of Arial Phenomenon... NICAP. (Turns around hat to display the initials) Pleased... pleased to make you're acquaintance. Wish we could shake on it, you know. Firm grip, look you right in the eye. You learn a lot about a guy that way. (Mulder looks away) Hey, uh... Can I ask you a question ?
MULDER : Go ahead.
MAX FENIG : Did you see anything ? Did you get close ? Me, I saw nothing. (talks loudly to anyone who may be listening) I didn't see anything! (To Mulder) Nada, zip. Hundred yards past the road block they nailed me. I have no idea how they did it. I'm telling you it's like the Roswell coverup all over again.
MULDER : What makes you so sure that something's out there ?
MAX FENIG : (laughs) Same thing that makes you so sure.
Vous êtes du MUFON ou du CUFOS ? (il sort de l'ombre, casquette de base-ball à l'envers, lunettes, cheveux blonds et longs) Vous permettez que je m'assoie ? Laissez-moi deviner, vous êtes dans ce nouveau groupe, le CSICOP, non ? (Mulder regarde ailleurs) Hmm, n'en dites pas plus. Vous êtes prudent. Ne faire confiance à personne. Très sage. Après ce qui est arrivé à JFK, je comprends parfaitement. (Mulder le regarde à nouveau) Oh, je me présente : Max Fenig. Je suis du National Investigative Committee of Arial Phenomenon... le NICAP (il retourne sa casquette et montre les initiales) Très heureux de faire votre connaissance. Je voudrais qu'on se serre la main, 'voyez. Une poignée ferme, un regard droit dans les yeux, on apprend plein de chose de cette manière. (Mulder regarde ailleurs) Hé ? Je peux vous poser une question ?
Allez-y.
Vous avez vu quelque chose ? Vous vous êtes approché ? Moi, je n'ai rien vu. (s'adressant à quiconque serait susceptible d'écouter leur conversation) Je n'ai rien vu ! (à Mulder) Nada. Que dalle. A 100m du chemin ils m'ont chopé. Je n'ai aucune idée de comment ils ont fait. Je vous dis, c'est comme le mensonge de Roswell.
Qu'est-ce qui vous rend si sûr qu'ils traquent quelque chose dehors ?
(narquois) La même chose qui vous rend aussi sûr, vous-même !

Malgré son côté naïf, Max n'est pas qu'un "ufologue" farfelu. Sa franchise (il "n'a rien vu" - mais Mulder a-t-il vraiment vu quelque chose ?) désarme toute tentative de désinformation, et sa clairvoyance psychologique ("pour la même raison que vous") compense sa maladresse sur le terrain.
Bref, ce serait une erreur de prendre Max Fenig pour un imbécile. Sa cicatrice derrière l'oreille, sa douleur physique au moment de l'enlèvement, ses enregistrements pirates des fréquences de la police, etc. en font, certes, un amateur mais un amateur
averti et bien renseigné.
D'ailleurs, le regard que Mulder lui lance à la fin de leur bref échange montre combien il a compris qu'il avait son double en face de lui : le "spooky" Mulder qu'il serait devenu ("another intrepid soul in seach of a close encounter" - une autre âme intrépide en mal de rencontre du troisième type) s'il n'avait eu le FBI pour le maintenir grosso modo sur une voie acceptable.
Et c'est bien ce dont il a l'air après une nuit de captivité, lorsque Scully vient le faire rechercher.

Le mensonge de l'épisode :

On le sait : "plus le mensonge est gros, plus il est cru". Chez Mulder cela donne : "A highly classified lie" (un mensonge classé top secret).
Pour bâtir un mensonge crédible (!) il est nécessaire de s'appuyer sur un font de vérité. La fable, à laquelle le Colonel Henderson est chargé de donner consistance, est celle d'un pilote - ça c'est vrai - lybien - c'est faux - qui se serait crashé après une fausse manoeuvre - c'est possible - au-dessus du territoire des États-Unis - c'est hautement improbable. L'affaire doit rester secrète - c'est vrai - pour éviter l'incident diplomatique - c'est faux.

La deuxième rencontre avec Max Fenig est en fait centrée, elle aussi, sur le thème du mensonge ; car Mulder - dont le pseudonyme d'ufologue est M.F. Luder, l'anagramme de F. Mulder - doit authentifier ou discréditer les documents que Max soumet à son jugement.
Tout est donc affaire de crédulité ou de discernement. Si vous n'êtes pas vigilant, d'autres, en revanche, le sont.

MULDER : I didn't think anyone was really paying attention.
MAX : Someone's always paying attention, Mr. Mulder.
SCULLY : How amazing.
MAX FENIG : Amazing ? Hardly.
Je ne pensais même pas que quiconque y prêtait vraiment attention.
Il y a toujours quelqu'un qui prête attention, M. Mulder.
Comme c'est étonnant.
Étonnant ? Au contraire.

L'enregistrement piraté de la radio du Deputy Wright et du compte-rendu live des renforts, 35 minutes plus tard, ramènent Scully à de meilleures intentions.
Mais le mensonge commence à se répandre, et ses premières victimes sont les proches - femme, enfants - du Deputy et des ses compagnons d'infortune. "On" leur interdit un enterrement décent de leurs morts, et "on" achète leur silence en menaçant de suspendre les pensions de veuvage.

"On" donne ses instructions... ... le Colonel Henderson (à droite)

La traque, pourtant menée avec professionnalisme et pléthore de moyens par les hommes du Colonel Henderson, se solde par une catastrophe : tous les soldats ont été "brûlés au 5° et 6° degré sur plus de 90% du corps" confirme le médecin que Mulder et Scully interrogent.
Et parallèlement, le mensonge est étayé par dissimulation de preuves compromettantes : les corps ont été évacués avant que tout examen aie lieu.

La rencontre du "quatrième" type :

Max Fenig est certes sympathique et intuitif, mais ce n'est pas tout à fait le fruit du hasard. Les cicatrices qu'il porte sont les marques d'opérations chirurgicales qu'il a subies lors d'enlèvements répétés. Il porte derrière l'oreille un implant qui permet à la créature en fuite de le retrouver et de "l'investir" en attendant que le vaisseau de secours extra-terrestre vienne le récupérer.

C'est en cela que Max n'est pas le double parfait de Mulder. En matière de "rencontres avec les extra-terrestres", ils ne sont pas du même côté de la barrière : Mulder est (et fut) le témoin, Max (comme Samantha Mulder) est une victime (en anglais, abductee) ; Mulder veut dévoiler ce qu'il sait, Max veut mettre fin à des souffrances dont il ignore l'origine.
L'épisode s'achève sur un statu quo : Mulder reste un témoin sans preuve, Henderson un traqueur sans gibier, Max Fenig un cobaye sans "hôte", et Deep Throat un personnage fort ambigu :

Always keep your friends close, but keep your enemies closer. Gardez toujours vos amis près de vous, mais gardez toujours vos ennemis encore plus près.

Notes :
Pour revenir au texte recliquez sur le lien

Une créature invisible : l'astuce n'est pas sans rappeler celle du film Predator.

cage : nous retrouverons par la suite d'autres personnages encagés, mais le clin d'oeil le plus subtil sera celui de Darin Morgan dans 3X20 Jose Chung's From Outer Space / Le seigneur du magma, où nous verrons un extra-terrestre du type "petit gris" fume sa cigarette et parler anglais avec ses codétenus !

Établir un contact : son bagout, son sourire, sa passion pour les OVNIs et les conspirations gouvernementales en font un double caricatural de Mulder et un candidat idéal au "Club des Lone Gunmen". Son physique est très proche d'un autre membre des Lone Gunmen qui aura une mort violente dans Anasazi (2X25) : The Thinker (le Penseur).

sympathique : ce trait de caractère de Max Fenig lui vaudra de revenir - pour être à nouveau enlevé ! - dans l'épisode double Tempus Fugit/Max (4X17/18).

Max n'est pas qu'un "ufologue" farfelu : Selon moi- c'est Matthieu qui parle -, Max Fenig illustre, outre ce que tu décris, une sorte de téléspectateur Lambda qui aurait trop suivi les aventures de Mulder et Scully, car on peut noter des parallélismes ; Max Fenig (même s'il a été enlevé), est une sorte d'apôtre de Mulder et de "l'énigmatique" Scully, il suit leurs aventures tout comme nous. Les deux agents sont devenus une sorte de mythe, ce qui paradoxalement les ancre encore plus dans la réalité puisqu'ils rencontrent des gens comme nous qui suivent leurs aventures. Ce coté étant à mon sens encore accentué par la scène où Mulder et Scully montent pour la première fois dans le mobil-home de Max... Ils semblent hébétés de voir ce qu'ils sont capables de générer, car, comme tu le soulignes, Max Fenig s'est en quelque sorte identifié à Mulder, il ne manque plus que le "I want to believe" et on est dans le bureau de Mulder...

Un homme averti : le personnage de Max Fenig trouve un double chez Duane Barry, l'ancien agent du FBI qui fut lui aussi enlevé il y a dix ans, puis "rendu" à la vie civile mais dans un état psychologique qui nécessita son internement. Il semble que, dans X-Files, les victimes d'enlèvement deviennent soit apparemment folles - ainsi personne ne les croit - soit atteintes de cancer - ainsi on n'a pas le temps de les croire... La suite de la série confirmera ces premières constations : Scully, scientifique qu'on a tendance à croire, sera enlevée (2X05 Duane Barry et 2X06 Ascension) et finira par développer un cancer (4X12/14 Leonard Betts/Memento Mori) ; quant à "spooky" Mulder, il sera par deux fois atteint de démence (2X25 Anasazi, 6X22 Biogenesis, 7X01 Sixth Extinction I et 7X02 Sixth Extinction II :Amor Fati)

La traque : nous retrouverons cet éclair blanc aveuglant causé par l'extra-terrestre au moment où il investit un corps dans Piper Maru/Apocrypha (3X15/16, L'Epave I & II).

implant : le sort de Max est celui de Duane Barry (voir ci-dessus) et bientôt aussi de Scully. Ils sont trois cobayes humains livrés en pâture aux E.T.

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