Hollywood A.D. est un brillant exercice de style de Duchovny sur le thème déjà développé par 7X12 X-Cops de Vince Gilligan et
3X20 Jose Chung's "From outer Space" de Darin Morgan.
Mais là où Vince Gilligan nous saisit et nous surprend par une réalisation et une écriture impeccable et innovante,
là où Darin Morgan sait nous faire rire de nous-mêmes et des personnages à force de brouiller les pistes, les témoignages
et les retournements de situations, Duchovny nous livre une satire plutôt gentille des moeurs
hollywoodiennes.
1°) Une satire bien pensante de Hollywood :
Il est de bon ton de cracher dans la soupe quand on commence à avoir du succès (ce qui est le cas de Duchovny), car cela donne l'impression (aux naïfs) que l'on n'a pas la grosse tête.
Mais faire La Rose Pourpre du Caire ou Zelig (Woody Allen) n'est pas à la portée de n'importe qui. Le thème des personnages réels qui rencontrent leurs doubles à l'écran est devenu un poncif chez les acteurs réalisateurs ambitieux (pour ne pas dire prétentieux). Reconnaissons au moins à cet épisode le mérite de l'élégance et de la légèreté...
Le premier pavé dans la mare hollywoodienne concerne Chris carter et son premier film pour le grand écran : Fight The Future. Succès commercial moyen mais surtout épisode spectaculaire et coûteux avec effets spéciaux, explosions et maquettes en veux-tu en voilà !
Le pré-générique ne montre pas autre chose : un échange de coups de feu devient à l'écran une terrible fusillade dans un cimetière avec bruitage assourdissant et éclairs qui sortent des revolvers ! Le western est de retour (cf. le duel Mulder avec son Bol de Lazare contre le Pontife/Chef des Zombies) ! Même le format cinémascope est respecté (comme dans Fight the Future).
On pourrait même interpréter la citation du film d'Ed Wood comme une parodie plutôt vacharde si la conversation avec Scully ne ridiculisait pas Mulder lui-même dans l'une de ses grandes tirades intellectuelles :
MULDER:
The Ed Wood investigative method. This movie is so profoundly bad in
such a childlike
way that it hypnotizes my conscious critical mind and frees up my right
brain to make
associo-poetic leaps---and I started flashing on Hoffman and
O'Fallon---that there's an
archetypal connection here that is not played out yet---like Hoffman's
Jesus to
O'Fallon's Judas, or Jesus and Dostoevsky's Grand Inquisitor, or even
Jesus vs. St.
Paul...
SCULLY: How about Hoffman's roadrunner to O'Fallon's Wile E. Coyote? |
La méthode d'investigation à la Ed Wood. Ce film est si profondément mauvais au sens puéril qu'il hypnotise ma conscience critique et libère mon hémisphère droit pour créer des associations poétiques. Et j'ai commencé à flasher sur Hoffman et O'Fallon? Il y aurait un lien archétypal non encore élucidé, comme Hoffman en Jesus et O'Fallon en Judas, ou Jesus et le grand Inquisiteur de Dostoïevski, ou même Jesus contre Saint Paul...
Et pourquoi pas Hoffman/Bip Bip contre O'Fallon/Coyote ? |
Le deuxième coup de canif s'adresse aux fans romantiques qui attendent depuis sept ans que Mulder "conclue" sa romance avec Scully. Duchovny est contre et il le prouve en proposant une version aussi vulgaire que superficielle de ce qu'il en serait des rapports entre les agents si jamais ils se décidaient à passer à l'acte : cela donnerait une banale scène de "cucul" hollywoodien avec velours rose bonbon et dialogue niaisement grivois et plein de finesse :
(In the coffin) TEA LEONI: Is that your flashlight, Mulder, or are you just happy to be lying on top of me? GARRY SHANDLING: My flashlight. |
(Dans le cercueil) C'est ta lampe ça Mulder, ou est-ce que c'est le plaisir de te retrouver sur moi ? C'est ma lampe. |
Ensuite, Duchovny s'en prend à la logique commerciale du merchandising (bols de Lazare en plastique qui rappellent les mugs et autres T-Shirts X-Files). Cette logique inclut le rôle de la presse (le journaliste du début est un ami de Skinner) que l'empire hollywoodien cantonne à la promotion (en anglais infomercial) d'un produit industriel.
2°) De bonnes trouvailles :
La dérision authentique se niche dans de menus détails tels les téléphones cellulaires qui se mettent à sonner aux moments les plus incongrus, les os de squelettes qui s'animent en une danse macabre du plus bel effet "gothique", ou encore les paroles inscrites dans la céramique du Bol de Lazare qui s'avèrent être celles de la célèbre chanson psychédélique des Beatles I am the Walrus (Je suis le morse) en araméen (la langue de Jésus Christ) !
I am the eggman, they are the eggmen, I am the walrus, coo-coo-catchoo, Paul is dead... | Je suis l'homme-oeuf, ils sont les hommes-oeufs, je suis le morse, cou-cou-catchou, Paul est mort... |
D'autres paroles sont également raillées avec bonheur par Duchovny : les "jargons" journalistiques et cinématographiques dont les snobs émaillent leurs moindres propos dans l'espoir d'épater la galerie.
FEDERMAN: The Skinman's filled me in on your bent, told me you come at things a little fahkakte, a little star trekky--which is the exact vibe I'm thinking of for this thing I'm doing--a "Silence of the Lambs"-slash-"Greatest Story Ever Told" type thing. I won't get in your way, dude, I'll be strictly Heisenbergian. | Skinnouille m'a briefé sur votre taf (...) le genre star trek, ce qui est exactement le mood que je recherche - un truc du style "Silence des Agneaux" slash "La plus grande histoire jamais contée". Je ne serai pas dans vos pattes, fiston, je serai positivement Heisenbergien. |
Citer Heisenberg, ça fait cultivé. Il s'agit du mathématicien qui a découvert la loi de l'incertitude en mécanique quantique. Comme si un journaliste pouvait à la fois être là et pas là ! Un Chat de Schrödinger en somme !
3°) Entre réalité et fiction : la poésie :
La seconde partie de l'épisode confronte deux univers :
FEDERMAN:
Anyway, I got the flavor I wanted - now I got a movie to write.
MULDER: You're leaving? Don't you want to get to the bottom of this? FEDERMAN: Not especially. MULDER: Truth is stranger than fiction. FEDERMAN: Yeah, but fiction's quicker than the truth. |
De toute façon, j'ai l'ambiance que je cherchais. Maintenant j'ai un film à écrire.
Vous partez ? Vous ne voulez pas le fin mot de toute cette histoire ? Pas spécialement. La vérité est plus étrange que la fiction. Oui mais la fiction est plus concise que la vérité. |
Le dilemme se prolonge lorsque Scully et Mulder "philosophent" devant le film d'Ed Wood :
SCULLY:
Maybe true faith is a form of insanity.
MULDER: Are you directing that at me? SCULLY: No, I'm directing it at myself. And at Ed Wood. (Scully points at the TV. And they share a laugh.) |
Peut-être que la vérité est une forme de folie.
C'est moi que tu vises, là ? Non, c'est moi que je vise. Et Ed Wood. (Scully montre la télé. Ils éclatent de rire.) |
C'est là que Duchovny apporte quelque chose de vraiment personnel à la narration et au fond de cet épisode : tout le tournage du film dans le film est un petit bijou de décalage poétique ! Il faut la tendresse qu'a le réalisateur pour les acteurs et la magie du plateau. Les acteurs répètent leurs rôles et sont angoissés par des détails triviaux mais primordiaux pour leur concentration tels que accessoires encombrants et costumes mal ajustés (est-ce que Mulder "porte" à droite ou à gauche ?), etc.
L'hommage aux artisans du spectaculaire est ici sincère, drôle et émouvant parce que Duchovny se fait plus humble le vrai travail de fourmi que représente un tournage.
Et un bol de vulgaire plastique devient à l'écran un vari objet magique (Il faut pour cela des HEURES de mise au point) !
Et les morts se mettent à danser (les zombies-acteurs répètent inlassablement une chorégraphie sophistiquée) !
Et le fond vert s'anime en un jardin d'Eden tandis que la musique nous conduit vers le noir final (grâce au talent de Mark Snow pour la musique et Bill Millar pour les effets spéciaux) ...