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généralités sur l'art gothique |
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la nef de CHARTRES |
Pour aller aux autres exemples d'architecture gothique classique analysés :
à la rosace de la cathédrale de LAON (cet exemple vous
envoit dans une autre partie du site)
à l'élévation intérieure de CHARTRES
à la voûte sur croisées d'ogives de SENS
à la façade de l'église SAINT-MICHEL de LUCQUES
(cet exemple correspond
aussi au style de la tour penchée de PISE)
le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture
pendant le moyen-âge
les généralités sur les effets paradoxaux que l'on
trouve dans l'architecture gothique classique
Pour charger l'image de l'exemple analysé : les piliers à colonnettes de la Cathédrale de LAON (France) - 1180 à 1190 (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
Photographie de l'auteur
Ce type de pilier flanqué de colonnettes a été
utilisé à Laon dans les premières travées proches
du transept, puis il fut abandonné dans les travées suivantes
au profit d'un simple pilier rond. L'abandon des colonnettes latérales
provient à mon sens du fait que cette disposition nuisait à
l'effet d'ensemble de la nef.
Malgré son abandon à Laon même, cette disposition
est spécialement intéressante car elle préfigure les
piles cylindriques flanquées de colonnes engagées que l'on
trouvera par exemple dans la cathédrale de Chartres [voir
son analyse], de Reims, d'Amiens ou de Beauvais. Alors, une solution
aura été trouvée pour rendre compatible cet effet
local des piliers avec l'effet d'ensemble de l'élévation
de la nef, cette solution consistant à le rendre plus discret. Mais
c'est précisément parce qu'il n'est pas encore atténué
à Laon, qu'il y est au contraire très franc et très
affirmé, que le style gothique encore tâtonnant de ces piliers
est commode pour notre analyse.
Le
1er paradoxe : synchronisé / incommensurable
Le pilier est constitué d'un très gros fût central
possédant un chapiteau à feuillage, entouré de colonnettes
qui reprennent exactement la même forme que celle du fût central
et qui disposent d'un chapiteau similaire au sien. On a donc la même
forme (fût + chapiteau) à différentes échelles,
et cela aura un sens lorsqu'on en viendra au paradoxe "même
/ différent".
Pour le moment, on se contente de s'apercevoir que l'énorme
pilier central et les fluettes colonnettes latérales se synchronisent
parfaitement pour arrêter simultanément l'épanouissement
de leurs chapiteaux en venant buter ensemble sur le même tailloir
horizontal.
Mais si nous pouvons clairement voir qu'ils savent s'arrêter
ensemble, nous sommes incapables de ressentir comment leur parcours précédent
a permis d'obtenir cette synchronisation finale : leurs tailles sont trop
différentes pour que nous puissions les ressentir simultanément
dans notre corps et ainsi les comparer, et leurs points de départ
sont trop décalés en hauteur pour que nous puissions les
apprécier l'un relativement à l'autre. La dimension même
de notre champ de vision ne nous permet pas de commodément voir
simultanément le bas du pilier et l'anneau qui sert de base à
une colonnette et la relie à sa voisine du dessous.
L'impossibilité de ressentir simultanément dans notre
corps des points de départ aussi décalés et des formes
aussi différentes en taille, nous empêche de comparer leurs
évolutions afin de comprendre comment ces évolutions parviennent
progressivement à se synchroniser. Cette impossibilité, c'est
ce que nous appelons l'incommensurabilité, c'est-à-dire l'impossibilité
de mesurer ou d'apprécier une évolution par rapport à
une autre.
Nous ne pouvons pas apprécier le trajet des colonnettes par
rapport à celui du fût central, mais nous constatons que le
résultat de ces trajets incommensurables est de se terminer en parfaite
synchronie : c'est donc de l'incommensurable / synchronisé. Et puisque
les formes sont ici réellement synchronisées et réellement
incommensurables, c'est que nous avons affaire à l'expression analytique
de ce paradoxe.
L'expression synthétique est dans la façon dont les extrémités
déroulées des feuillages de tous les chapiteaux "pointent"
parfaitement ensemble.
Ils n'ont aucune raison de "clignoter" de façon ainsi coordonnée,
puisqu'ils sont sur des supports de tailles très différentes
: certains sur le gros chapiteau central, les autres sur les petits chapiteaux
périphériques. Ils sont en outre sur des supports isolés
les uns des autres, parfois même sur des faces opposées du
pilier. C'est l'étonnement que provoque en nous la simultanéité
de "l'éclosion" des feuillages malgré la diversité
de tailles et de positions de leurs supports qui devrait plutôt s'accompagner
d'une diversité d'évolutions, qui correspond à la
notion de synchronisation malgré l'incommensurabilité.
Le
2ème paradoxe : continu / coupé
Ce paradoxe est plus aisé à ressentir clairement (et pour
moi à expliquer !) que le précédent.
Dans chaque hauteur de pilier, deux colonnettes empilées l'une
sur l'autre forment un cylindre continu que coupe un anneau qui les attache
au fût central.
De la même façon, le cylindre des colonnettes se continue
dans les colonnes adossées au mur du dessus, et le tailloir du chapiteau
coupe cette continuité verticale qui se poursuivra d'ailleurs jusqu'au
somment de la voûte.
À chaque fois c'est vraiment continu et c'est aussi vraiment
coupé : il s'agit d'une expression analytique.
Dans l'expression synthétique du paradoxe ses deux aspects ne
sont pas aussi nettement séparables : il s'agit cette fois de considérer
le mouvement ascensionnel d'ensemble qui fait se transformer le gros pilier
arrondi en mur, et qui font se transformer les colonnettes isolées
en faisceau de colonnes groupées qui s'appuient sur le chapiteau
pour monter jusqu'à la voûte.
Il y a bien une continuité visuelle de massivité entre
le gros pilier et le mur du dessus, et une continuité visuelle de
trajet vertical entre les colonnettes isolées et les faisceaux de
colonnes, mais la lecture même de cette continuité implique
de lire en même temps les différences qui existent entre ces
deux étapes :
- le pilier est rond et il se transforme en un épais mur à
la surface plane,
- les colonnettes sont groupées par trois, sont séparées
par des vides, et elles se transforment en colonnes presque accolées
groupées par cinq.
Donc c'est continu, mais c'est aussi coupé en étapes
que l'on peut bien différencier.
Il est à remarquer que cet effet synthétique (mutation
d'une forme en une forme différente qui la prolonge) se combine
étroitement avec l'effet analytique, puisque ces deux étapes
qui s'enchaînent verticalement sont également nettement coupées
l'une de l'autre par la tranche horizontale du chapiteau.
Le
3ème paradoxe : lié / indépendant
Le tailloir horizontal du chapiteau relie tous les chapiteaux des colonnettes
et les attachent ainsi l'une à l'autre par le dessus. Par ailleurs,
les colonnettes sont bien écartées par un grand vide qui
les sépare l'une de l'autre : elles sont donc indépendantes
l'une de l'autre malgré le lien qui les attache en tête.
De la même façon, chacune est bien séparée
du gros fût central par un vide continu, mais par un anneau elles
s'attachent à lui à mi-parcours de leur trajet.
Une forme sert à faire le lien (le tailloir ou l'anneau) et
d'autres formes (celles des colonnettes) affirment leur indépendance
: c'est donc à l'expression analytique du paradoxe que nous avons
à faire.
Tous les chapiteaux ont la même forme, et par conséquent
nous les lions ensemble dans notre perception, "dans un même paquet
de formes" peut-on dire. Mais par leurs tailles ces chapiteaux restent
nettement indépendants, le gros central ne pouvant pas être
confondu avec les petits périphériques. C'est une expression
synthétique, car on ne peut pas séparer la perception de
l'identité de leurs formes de la perception simultanée de
la différence de leurs tailles, mais dans ce cas aussi l'expression
analytique vient se mêler à l'expression synthétique,
puisque ces chapiteaux indépendants par leur taille sont aussi liés
entre eux par leur commune attache au tailloir horizontal qui les recouvre
tous.
Les fûts cylindriques provoquent aussi un effet synthétique
de lié / indépendant : sur toute leur longueur ils restent
liés entre eux par le trajet vertical qu'ils suivent ensemble, mais
les colonnettes restent bien isolées l'une de l'autre, et le gros
pilier central reste bien indépendant par sa taille et par la position
centrale qui lui est propre.
Le
4ème paradoxe : même / différent
Pour faire un seul et même pilier, il faut grouper différentes
colonnettes qui ont la même forme.
C'est l'expression analytique.
Le pilier central et son chapiteau proposent la même forme d'ensemble
que celle des colonnettes périphériques, mais à une
échelle qui est complètement différente de la leur.
C'est une expression synthétique.
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