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tableau historique |
tableau
des 16 paradoxes
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avant
:
la voûte de SENS |
à
suivre :
l'art
gothique rayonnant |
le
gothique italien :
la
façade de St-Michel de LUCQUES
et
la tour de PISE
Pour aller aux autres exemples d'architecture gothique classique analysés
:
à la rosace de la cathédrale de LAON (cet exemple vous
envoit dans une autre partie du site)
aux piliers à colonnettes de la cathédrale de LAON
à l'élévation intérieure de CHARTRES
à la voûte sur croisées d'ogives de SENS
le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture
pendant le moyen-âge
les généralités sur les effets paradoxaux que l'on
trouve dans l'architecture gothique classique
Pour charger l'image de l'exemple analysé
: la
façade de l'église Saint-Michel à LUCQUES (Italie)
- commencée vers 1210 (s'ouvre en principe dans une
autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
Photographie extraite de l'ouvrage de Georges Duby - l'Europe des
Cathédrales - Skira / Flammarion - 1996
Trop souvent le passage du roman au gothique est expliqué de
façon simplette par le remplacement de l'arcade arrondie romane
par l'arc brisé ogival.
Cela vaut un peu pour la France dont l'évolution sert de référence
pour caractériser l'évolution du gothique dans toute l'Europe,
mais cela aboutit à des non sens dans des pays comme l'Italie où
l'évolution de l'architecture n'a pas du tout suivi la même
voie. Ainsi, cette façade de LUCQUES est très souvent présentée
comme "romane" parce qu'elle utilise l'arc en plein cintre réputé
typiquement roman. Cette façade est pourtant presque contemporaine
de la fin du gothique classique en France, et notre analyse va montrer
que, malgré un jeu de formes complètement original par rapport
au gothique français, ce sont bien les mêmes effets paradoxaux
que l'on y trouve à l'oeuvre.
Cet exemple montre que les notions que l'on utilise pour analyser les
oeuvres sont suffisamment pertinentes pour rendre compte du parallélisme
de l'évolution dans des pays voisins, malgré la très
grande différence apparente du langage des formes utilisées.
Il montre aussi que l'usage de l'arcade arrondie en Italie à
cette époque ne résulte pas d'un "retard" de ce pays qui
en serait encore au roman alors que la France est déjà passée
depuis longtemps au gothique, mais que cet usage illustre simplement une
filière différente d'évolution. Cette différence
ne cessera de se creuser, puisque au 15ème siècle avec le
style Renaissance les Italiens opteront pour un retour au vocabulaire de
l'architecture antique, alors que la France poursuivra la transformation
sur lui-même du style gothique, ce qui y mènera jusqu'au style
que l'on a coutume d'appeler le gothique flamboyant, style qui s'épanouira
pleinement au 16ème siècle.
Dans le même style exactement que cette façade de LUCQUES
que nous allons examiner, nous pouvons citer la façade de la Cathédrale
de PISE qui lui est antérieure, ainsi que la célèbre
tour de PISE commencée en 1173.
La tour de PISE étant bien connue il n'en sera pas donné
d'illustration, mais il y sera fait référence dans nos analyses.
On devra cependant s'abstenir de considérer son dernier étage
en retrait, étage qui n'a été construit qu'au 16ème
siècle.
Le
1er paradoxe : synchronisé / incommensurable
Les arcades sont organisées par rangées horizontales dont
la progression est difficile à évaluer l'une par rapport
à l'autre, parce qu'elles ne sont pas calées à leurs
extrémités, et parce que l'axe de symétrie de la façade
n'est pas marqué par un élément fort qui les croiserait.
Faute donc d'avoir une ligne verticale bien marquée en extrémité
ou au centre qui permettrait de lire toutes les lignes d'un seul coup par
référence à ce repère commun, nous devons les
lire une à une, et nécessairement nous devons abandonner
la lecture de l'une pour faire la lecture d'une autre en dessus ou en dessous.
Malgré cette difficulté à lire la progression
d'une rangée d'arcade par rapport à une autre (ce qui est
le sens de la notion d'incommensurabilité), nous constatons clairement
que leurs colonnes s'alignent impeccablement l'une sur l'autre, et que
le rythme de la progression des arcades sur toutes les rangées est
donc parfaitement synchronisé.
Il s'agit d'une expression analytique.
Dans la tour de PISE cette expression se manifeste de façon
analogue.
expression analytique du paradoxe synchronisé
/ incommensurable :
la progression des horizontales l'une par rapport
à l'autre n'est pas calée par des extrémités
ou par un axe de symétrie bien marqués qu'elle auraient en
commun, pourtant les colonnes parviennent à s'aligner impeccablement
les unes au-dessus des autres
On lit cette forme comme une grille formée du croisement de
rangées de corniches horizontales et de rangées de colonnes
verticales, donc comme une surface en 2 dimensions.
Mais on ne peut manquer non plus d'être attiré par une
autre façon de lire cette forme, cette fois par son contour extérieur,
car sa silhouette nettement dessinée attire notamment l'oeil par
le brusque rétrécissement des deux derniers niveaux et par
la brusque pente que prend sous ce rétrécissement la corniche
du second niveau.
Ces deux modes de lecture (par surface et par contour linéaire
extérieur) sont totalement incompatibles. Pourtant nous constatons
que la progression des colonnes qui permet la lecture par surface se débrouille
pour se synchroniser parfaitement avec les brusques décalages du
contour, de telle sorte que celui-ci emprisonne toujours un nombre entier
d'arcades. De leur côté les colonnes savent aussi se rétrécir
progressivement juste comme il faut aux extrémités du 2ème
étage ou sur tout le dernier étage, afin de s'accorder exactement
avec la pente que prend en ces endroits le contour de la façade.
Il s'agit d'une expression synthétique.
Dans la tour de PISE cette expression correspond à la façon
dont les cercles qui se superposent et s'élancent isolément
dans l'espace, parviennent cependant à se dérouler de façon
coordonnée pour former ensemble un cylindre parfaitement régulier.
expression synthétique du paradoxe synchronisé
/ incommensurable :
la façade se lit de deux façons
incompatibles, soit comme un réseau d'horizontales et de verticales
générant ensemble une surface, soit par la silhouette linéaire
de son contour. Etonnamment, les décrochements de la silhouette
s'accordent exactement avec les décalages des verticales du réseau
autres expressions synthétiques du paradoxe
synchronisé / incommensurable :
dans la façade de Lucques les colonnes
du réseau vertical savent aussi se rétrécir juste
comme il faut pour que la pente des arcades s'accorde parfaitement avec
les parties en pente de la silhouette (croquis de gauche).
A Pise (croquis de droite) des cercles indépendants
les uns des autres parviennent étonnamment à se superposer
exactemet pour générer ensemble un cylindre parfait
Le
2ème paradoxe : continu / coupé
Dans le sens horizontal les corniches forment des tracés continus,
tandis que dans le sens vertical les colonnes qui se superposent suggèrent
des alignements qui sont sans arrêt coupés.
Il s'agit d'une expression analytique.
Dans la tour de PISE cette expression se manifeste de façon
analogue.
expression analytique du paradoxe continu /
coupé :
les corniches forment des horizontales continues,
tandis que les alignements verticaux des colonnes sont sans arrêt
coupés
Les arcades de chaque étage forment des bandes continues dans
lesquelles chaque arcade marque une étape bien distincte coupée
de la précédente et de la suivante. Il s'agit d'une expression
synthétique.
Lorsque l'on perçoit la superposition de toutes ces loggias
il nous est suggéré l'existence d'un volume continu qui les
rassemblerait toutes, comme si les colonnes et les tympans des arcades
n'étaient alors que les barreaux d'une espèce de volière
gigantesque.
Comme nous ne pouvons séparer la perception de ce volume continu
virtuel de la perception des tympans et des corniches qui le découpe
en tranches superposées, il s'agit là aussi d'une expression
synthétique du paradoxe.
Une autre expression synthétique encore est dans la forme d'ensemble
de la façade, considérée cette fois depuis le sol,
qui se présente comme une surface continue remplie d'arcades. Dans
le déroulement de cette surface depuis le bas vers le haut, des
étapes se marquent nettement en se différenciant des autres
: d'abord un étage où les arcades sont de grande dimension
et sont juste collées sur le mur, puis une étape intermédiaire
où les arcades rétrécissent soudainement tout en se
détachant maintenant devant un volume de loggia, puis une dernière
étape qui se différencie de la précédente par
une brusque réduction de sa largeur.
Dans la tour de PISE ces expressions sont analogues, mais dans le dernier
cas seules deux étapes se marquent, celle du premier niveau aveugle,
et celle des niveaux en loggias. On doit cependant se souvenir que le projet
initial, contrarié par l'enfoncement irrégulier des fondations,
prévoyait de surmonter la tour d'une flèche, ce qui aurait
alors marqué une dernière étape bien distincte dans
sa progression verticale.
expressions synthétiques du paradoxe
continu / coupé :
chaque arcade forme une étape bien séparée
dans la frise continue des arcades de son étage (croquis de gauche).
Le creux derrière les arcades se lit comme
un volume continu qui rassemble les loggias de tous les étages,
mais cette perception génère simultanément la perception
des frontons et des corniches qui découpent ce volume en étages
séparés (croquis de droite)
autre expression synthétique du paradoxe
continu / coupé :
du bas vers le haut la façade se déroule
de façon continue comme une suite d'étages à arcades.
Mais des étapes se marquent nettement dans cette progression : d'abord
un socle à grandes arcades aveugles, puis l'étape intermédiaire
de deux étages à plus petites arcades en loggia, puis enfin,
une étape de façade très rétrécie en
largeur
Le
3ème paradoxe : lié / indépendant
Les frontons relient les colonnes, et chacune des colonnes marque bien
son indépendance en se séparant de la frise d'arcades par
un chapiteau très saillant.
Chaque étage se lit comme un volume de loggia autonome. Mais
ils adhèrent l'un à l'autre sur toute leur longueur, par
l'intermédiaire du tympan des colonnes et par sa corniche qui forment
simultanément le fronton de chaque étage et le socle du suivant.
Il s'agit de deux expressions analytiques.
Dans la tour de PISE ces expressions se manifestent de façon
analogue.
expression analytique du paradoxe lié
/ indépendant :
les frontons relient par des arcades des colonnes
bien isolées les unes des autres
autre expression analytique du paradoxe lié
/ indépendant :
chaque étage se lit comme une loggia indépendante,
bien détachée des autres,
mais ces loggias sont collées l'une à
l'autre par une frise d'arcades qui sert de fronton à l'une et de
socle à la suivante
L'ensemble de la forme se tient dans une silhouette bien marquée,
mais on peut aussi lire la forme comme la superposition de deux unités
indépendantes, l'une formée du volume principal que cerne
dans le haut la forme biaise des rampants, et l'autre formée d'un
volume autonome perché au sommet de la façade et comme détaché
du volume inférieur.
Il s'agit là d'une expression synthétique.
Dans la façade de la Cathédrale de PISE cet effet est
renforcé par le fait que les étages inférieurs de
loggia sont bouchés à leurs extrémités par
un massif plein qui cerne bien le volume du bas, tandis que le premier
étage de loggia du volume supérieur est le seul qui reste
libre en ses extrémités, ce qui clarifie l'impression d'indépendance
de la partie haute du bâtiment.
Dans la tour de PISE, cet effet est remplacé par l'emboîtement
très perceptible du noyau cylindrique plein à l'intérieur
du cylindre ajouré des arcades. Les deux cylindres sont liés
parce qu'ils se tiennent emboîtés l'un dans l'autre sur un
même axe, mais ils sont clairement indépendants puisque l'un
est un mur aveugle alors que l'autre est une dentelle de colonnes.
expressions synthétiques du paradoxe
lié / indépendant :
dans la silhouette bien unifiée et bien
lisible de Lucques, les deux derniers niveaux peuvent aussi se lire comme
décollés de la partie inférieure dont le contour se
referme (croquis de gauche).
A Pise (croquis de droite), le cylindre plein
du noyau est lié au même axe que le cylindre autonome des
arcades ajourées
Le
4ème paradoxe : même / différent
Chaque frise horizontale d'arcades est faite de la répétition
de différentes arcades qui sont toutes les mêmes, et la juxtaposition
de différents étages d'arcades forme une seule et même
façade.
Dans la tour de PISE, ces différentes arcades (par ailleurs
identiques) s'assemblent ensemble pour construire une même figure,
celle d'un cercle, et différents cercles (par ailleurs identiques)
s'empilent l'un sur l'autre pour faire ensemble un même volume, celui
d'un cylindre.
Dans tous les cas il s'agit d'expressions analytiques.
expression analytique du paradoxe même
/ différent :
différentes arcades se mettent ensemble
pour former une seule et même frise couronnant un étage.
A Pise (croquis de droite), ces différentes
arcades forment ensemble un même cercle
autre expression analytique du paradoxe même
/ différent :
différents étages forment ensemble
la même silhouette de façade à Lucques, et un même
cylindre à Pise
Sur toute la surface se répète une seule et même
forme : celle d'arcades portées par des chapiteaux saillants que
soutiennent des colonnes verticales.
Mais ces arcades ont des tailles différentes et sont dans des
situations différentes : elles sont amples au niveau bas qui les
plaque directement sur un mur, et elles sont plus resserrées aux
niveaux supérieurs qui les décollent du mur.
Ces arcades ont aussi des alignements différents : elles sont
parfois strictement alignées à l'horizontal, et elles sont
parfois décalées en pente pour suivre la forme des frontons.
Comme il est impossible de séparer la perception de l'aspect
de la forme qui les fait identiques de celui qui les fait différentes,
il s'agit d'une expression synthétique.
Dans la tour de PISE le 1er niveau est également formé
d'arcades qui sont différentes des arcades ajourées du dessus.
expression synthétique du paradoxe même
/ différent :
les frises d'arcades ont toutes la même
forme, mais les unes sont larges et collées au mur, tandis que les
autres, plus étroites, se découpent devant une loggia. En
outre, les unes sont horizontales tandis que les autres sont en pente