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la flèche de SENLIS |
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la façade de WELLS |
Pour aller aux autres exemples de gothique rayonnant analysés
:
à la transformation des fenêtres, de gothique classique en
rayonnant
à transformation des chapiteaux et du triforium, de gothique classique
en rayonnant
à la flèche de la cathédrale de SENLIS
à la façade de la cathédrale de WELLS
le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture
pendant le moyen-âge
les généralités sur les effets paradoxaux que l'on
trouve dans l'architecture gothique rayonnante
Pour charger l'image de l'exemple analysé : la rose du croisillon nord de Notre-Dame de PARIS - 1245 à 1250 (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
"Le gothique" dans la collection "l'Architecture en Europe"
chez HACHETTE - 1965
Dans les analyses précédentes nous avons envisagé
les fenêtres hautes et la claire-voie du transept nord de l'église
abbatiale de Saint-Denis reconstruit à partir de 1231 au tout début
du style rayonnant. La rose de ce transept mérite aussi d'être
mentionnée, puisqu'elle a servi de modèle préfigurant
notamment les roses des deux croisillons de Notre-Dame de Paris, et puisque
c'est précisément ce type de vitrage "rayonnant" qui a donné
son nom au style de cette époque.
C'est la rose du croisillon nord de Notre-Dame que nous allons examiner.
Elle est due à Jean-de-Chelles qui agrandit le transept correspondant
entre les années 1245-1250.
Le
1er paradoxe : intérieur / extérieur
Les petites rosaces qui occupent les deux angles inférieurs sont
à l'intérieur de la verrière, mais elles sont extérieures
au cercle de la rose.
Les formes trilobées qui ceinturent la rose sont toutes à
l'intérieur d'une couronne bien marquée de formes trilobées
jointives qui se lit en suivant des yeux le périmètre de
la rose. Mais si on lit la rose "rayonnant" depuis son centre, on s'aperçoit
qu'une sur deux de ces formes trilobées reste à son extérieur,
coincée entre les pétales.
Dans ces deux situations, de petites formes se lisent à l'intérieur
d'une grande forme, et elles se lisent laissée simultanément
à l'extérieur d'une autre grande forme. Il s'agit d'expressions
analytiques du paradoxe.
L'expression synthétique se sert du fait que lorsque l'on s'appuie
sur quelque chose, ce quelque chose nous est nécessairement extérieur.
Ainsi, avec nos pieds on s'appuie sur le sol extérieur.
De la même façon, les pétales de la rose prennent
leur départ en s'appuyant sur l'anneau du centre. Or cet anneau,
qui pour cette raison est ressenti extérieur aux nervures des pétales
de la rose qui le quittent et s'en écartent, se trouve à
l'intérieur même de la rose. Cette situation "d'appui extérieur
à l'intérieur de la forme qui s'appuie sur lui" n'aurait
pas existé si la forme avait était parfaitement rayonnante,
c'est-à-dire si elle avait rayonné à partir d'un point
central au lieu de rayonner à partir d'un anneau central.
Autre effet similaire : la première couronne d'ogives est certainement
ressentie à l'intérieur de la grande rose, mais ses sommets
servent d'appui extérieur aux petites ogives qui se groupent par
deux pour former les grandes ogives de la rose. La grande rose utilise
donc cette première couronne comme appui extérieur à
l'intérieur d'elle-même.
Pour revenir à l'analogie de nos pieds qui s'appuient sur le
sol extérieur, on peut comparer cette situation avec ce qui se passe
lorsque l'on se sert d'un de nos pieds comme appui pour l'autre pied :
ce pied sur lequel on s'appuie est à l'intérieur de notre
corps, mais il nous semble extérieur lorsque l'on s'attache à
ressentir comment l'autre l'utilise.
Indépendamment de cet effet d'appui, la première couronne
intervient d'une autre façon dans l'expression paradoxale de l'intérieur
/ extérieur : cette couronne reprend à l'intérieur
de la rose la forme d'ensemble en couronne de la rose, ce qui permet donc
de retrouver la forme extérieure de la rose à l'intérieur
de la rose.
On peut aussi ne considérer qu'une ogive : à l'intérieur
de chaque grande ogive on retrouve la forme extérieure de cette
grande ogive, mais cette fois on ne trouve pas seulement une mais trois
petites ogives, celle qui appartient à la couronne intérieure
et celles qui appartiennent à la couronne externe. Ce qui nous introduit
directement au second effet paradoxal, celui du un / multiple.
Le
2ème paradoxe : un / multiple
Les pétales de la rose se décomposent en ogives qui ont
la propriété d'être auto-similaires, c'est-à-dire
que leur forme de grande échelle se décompose en formes d'échelle
inférieure qui ont la même forme que la forme d'ensemble :
la grande ogive que forme chaque pétale possède un étranglement
à sa pointe et se subdivise latéralement en deux départs
d'ogives, et dans chacune de ces subdivisions se trouve une plus petite
ogive qui possède elle aussi un étranglement à sa
pointe et se subdivise latéralement en deux départs d'ogives.
À cela on peut ajouter que la partie basse de chaque pétale
est aussi occupée par une troisième ogive : les trois divisions
de chaque grande ogive sont donc l'occasion de retrouver la même
forme en ogive que la forme d'ensemble.
Cette particularité d'auto-similitude fait que l'unité
de la forme est contenue dans ses propres divisions, qu'une même
forme d'ogive se retrouve dans les multiples divisions de la forme, qu'elle
la maintient unifiée malgré ces divisions et grâce
à l'effet même de ces divisions.
Il s'agit d'une expression synthétique du paradoxe.
[nota : la notion d'auto-similarité
est expliquée avec des exemples dans la partie mathématique
du site - ce lien s'ouvre en principe dans une autre fenêtre]
Il s'agit indiscutablement "d'une seule et même" rose qui rayonne
dans toutes les directions à partir de son centre unique.
Mais à l'évidence cette rose est faite d'une "multitude"
de pétales.
Autre expression analytique similaire : la couronne qui ceinture la
rose forme "une" couronne bien lisible, faite d'une "multitude innombrable"
de petites formes trilobées accolées les unes aux autres.
"Chacun" de ces trilobes est bien entendu lui-même fait de "trois"
lobes.
Le
3ème paradoxe : regroupement réussi / raté
La rose regroupe tout le vitrail dans un immense rond . . . tout, sauf
les coins du bas qui restent, comme on l'a vu pour le premier paradoxe,
extérieurs à ce rond hégémonique.
Pour son expansion, qui va regrouper toute la surface de la rose dans
un même rayonnement, la rose s'appuie sur un anneau central . . .
qu'elle laisse nécessairement derrière elle, et ne peut donc
regrouper dans son rayonnement.
La couronne de petites formes trilobées qui ceinture la rose
a réussi à regrouper dans une même frise circulaire
tous les trilobes qui la forment. Mais bien que regroupés avec les
autres, les trilobes qui forment les sommets des pétales veulent
aussi qu'on les lise comme appartenant aux pétales, et cette lecture
là les sépare visuellement des trilobes restés entre
les pointes des pétales. Une lecture (en rond) réussit donc
à rassembler tous les trilobes dans une même forme de couronne,
et une autre lecture (rayonnante) montre que ce rassemblement a échoué,
que les trilobes restent séparés par leur appartenance ou
non aux pétales de la rose.
Ces trois expressions sont de nature analytique.
Le rayonnement qui part du centre réussit à regrouper
toute la surface de la rose dans le même effet d'éclatement,
d'éclosion, de dispersion dans toutes les directions jusqu'au bord
circulaire qui cerne la rose.
Mais en chemin une partie de cet éclatement reste en rade, refuse
d'éclore au-delà d'une première couronne d'ogives.
Le regroupement de toutes les ogives dans un rayonnement général
est donc à la fois réussi et partiellement raté.
Il s'agit là d'une expression synthétique, puisque c'est
la lecture de la réussite même du rayonnement qui fait voir
qu'une partie de lui reste en chemin.
Le
4ème paradoxe : fait / défait
La rose est faite de la superposition de deux systèmes de formes
qui se détruisent mutuellement lorsqu'on les lit : un système
rayonnant à partir du centre, et un ensemble de ronds qui recoupent
ce rayonnement à mi-parcours et en extrémité.
Le rayonnement est "bien fait" puisqu'on parvient aisément à
le lire, et le rond de la couronne centrale et celui de la couronne périphérique
sont également "bien faits" puisqu'on les repère facilement.
Mais si on lit le rayonnement des pétales à partir du centre
on doit pour cela oublier (et donc défaire de sa vision) la couronne
centrale qui contrarie cette lecture rayonnante. Inversement, si on veut
lire la forme de cette couronne, on doit abandonner et donc défaire
la vision de l'expansion du rayonnement au-delà de cette couronne.
Il en va de même de la couronne externe qui regroupe les petits
trilobes : pour la lire, il faut oublier la lecture des pétales
qui enlève la moitié des trilobes de la couronne et défait
donc sa lecture, et pour lire les pétales jusqu'au bout, il faut
s'efforcer de négliger la présence des trilobes intercalés
entre leurs extrémités et qui ne demandent qu'à être
lus ensemble, défaisant du même coup la lecture de la forme
des pétales.
La façon dont ces deux systèmes de formes superposés
se détruisent mutuellement correspond à une expression synthétique,
puisqu'il faut "faire" la lecture d'une forme pour "défaire" celle
de la forme contradictoire superposée.
Dans le cas de la couronne externe on peut repérer un autre effet
synthétique qui est lié à la destruction mutuelle
de la lecture par pétales et de la lecture en couronne.
En effet, lorsqu'on lit "par pétales", on lit l'articulation
de formes différenciées et réparties sur diverses
échelles de lecture : on lit une grande ogive et deux plus petites
ogives à l'intérieur, et on lit des trilobes regroupés
autour d'un rond central qui se différencient des trilobes des ogives
qui s'ouvrent de façon très dissymétrique sur un de
leurs côtés. Si par contre on lit les trilobes "en couronne",
on ne lit alors qu'une frise monotone de trilobes tous identiques, seulement
positionnés tête-bêche l'un par rapport à l'autre.
La première lecture, par pétales rayonnants, fait donc
apparaître une organisation hiérarchique et complexe de formes,
et la seconde lecture, en couronne, défait cette complexité
et ramène l'uniformité.
Cet effet paradoxal est ici de nature synthétique, puisque c'est
en faisant une lecture que l'on défait l'autre. On va retrouver
maintenant ce même effet mais dans une expression cette fois analytique,
puisque la complexité "faite" et la complexité "défaite"
seront supportés par des parties différentes de la forme
que l'on pourra lire indépendamment l'une de l'autre.
En effet, à la complexité et à la hiérarchie
des formes que l'on trouve dans les extrémités des pétales
de la rose, s'oppose la monotonie régulière des nervures
qui dessinent le rayonnement menant du centre à la périphérie.
Cette monotonie est d'ailleurs dans les deux sens de lecture : les
nervures gardent la même épaisseur et le même trajet
rectiligne sur tout leur parcours, et c'est de façon régulière
et sans aucune complexité de relation que des pétales identiques
s'accolent les uns à côté des autres pour remplir toute
la surface de la rose.
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