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transformation des fenêtres |
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la flèche de SENLIS |
Pour aller aux autres exemples de gothique rayonnant analysés
:
à la transformation des fenêtres, de gothique classique en
rayonnant
à la flèche de la cathédrale de SENLIS
à la rose du croisillon nord de Notre-Dame de PARIS
à la façade de la cathédrale de WELLS
le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture
pendant le moyen-âge
les généralités sur les effets paradoxaux que l'on
trouve dans l'architecture gothique rayonnante
À l'occasion de l'analyse du gothique classique il a été
examiné la disposition des chapiteaux
à colonnettes de LAON d'un stade encore balbutiant du gothique,
puis il a été examiné la
nef de la cathédrale de CHARTRES dans laquelle on trouve les
chapiteaux classiques sous leur forme "canonique".
On renvoie à ces deux textes directement accessibles par les
liens ci-dessus, et on analyse maintenant la façon dont les chapiteaux
se sont transformés à l'époque rayonnante.
Les chapiteaux de la dernière partie de nef réalisée
dans la cathédrale de REIMS (ceux les plus proches de la façade
occidentale) relèvent de ce style. Cette partie de nef a été
réalisée après 1255, à l'époque où
le maître d'oeuvre de la cathédrale était Bernard de
Soissons.
Pour ne pas négliger cependant le gothique qui s'est créé
hors de France, nous allons plutôt examiner les chapiteaux de la
nef centrale de l'église Sainte-Elisabeth de MARBOURG en Allemagne,
église dont la construction commença vers 1235.
À la différence de REIMS et de la plupart des cathédrales
françaises, les chapiteaux de MARBOURG n'étaient pas placés
en position basse, mais ils étaient directement au pied des voûtes,
très en hauteur. Pour ce qui concerne la forme même des chapiteaux,
ceux de MARBOURG sont très semblables à ceux de REIMS, sauf
qu'ils n'ont que deux rangées superposées de feuillages sculptés,
alors qu'à REIMS il y en a six.
Pour charger l'image de l'exemple analysé : un des chapiteaux de la nef centrale de l'église Sainte-Elisabeth de MARBOURG (Allemagne) - après 1235 (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
"Le gothique" dans la collection "l'Architecture en Europe"
chez HACHETTE - 1965
Le
1er paradoxe : intérieur / extérieur
Les creux très profonds sculptés entre les feuilles, forment
une zone d'ombre située à l'extérieur de la surface
du chapiteau, mais à l'intérieur même de son volume,
puisque derrière son feuillage.
On peut aisément voir la différence entre cette disposition
de creux profond sous le feuillage, et celle des chapiteaux du gothique
classique où les feuilles se contentaient de faire émerger
en cadence leurs pointes en surface, sans générer simultanément
un volume creux qui soit lisible.
Il s'agit là d'une expression synthétique, puisque le
creux derrière les feuilles est indémêlablement intérieur
et extérieur au volume du chapiteau.
On perçoit la paroi cylindrique externe du gros pilier central,
et on perçoit que ce pilier est prisonnier à l'intérieur
de la cage que forment les petites colonnes externes. L'extérieur
du pilier est donc à l'intérieur de la couronne des colonnes
qui l'entourent.
C'est une expression analytique : les deux termes du paradoxe sont
parfaitement réalisés, mais cette disposition n'a en elle-même
rien de paradoxal.
Le
2ème paradoxe : un / multiple
La frise de feuillage est uniforme, unitaire, et pour cela elle est
faite de multiples feuilles en quantité innombrable.
C'est une expression analytique.
On peut nettement ressentir qu'il n'y a qu'un seul chapiteau à
feuillage d'allure très horizontale pour coiffer l'ensemble des
fûts cylindriques, celui du pilier central et celui des colonnes
périphériques.
Mais dans cette couronne de feuilles on peut également repérer
distinctement la protubérance qui correspond à chacune des
colonnes externes, de telle sorte qu'on lit alors le chapiteau décomposé
comme les fûts qu'il surmonte : un grand chapiteau au centre et de
petits chapiteaux périphériques accolés.
Ces deux perceptions sont instables et se remettent en cause l'une
par l'autre, il s'agit donc d'une expression synthétique.
Le
3ème paradoxe : regroupement réussi / raté
La tranche horizontale que forme le chapiteau à feuilles réussit
à fusionner, à regrouper dans un même volume uniforme
et indifférencié, le cylindre du pilier central et ceux des
colonnes externes.
Mais cette lecture horizontale n'est pas assez forte pour faire oublier
que l'on peut aussi lire chaque portion de chapiteau dans la continuité
verticale du fût cylindrique qu'elle surmonte. Dans cette lecture
l'unité du chapiteau se défait, les feuilles ne se lisent
plus regroupées en deux frises horizontales superposées,
elles se lisent séparées en paquets, chacun surmontant une
colonne distincte.
Il s'agit d'une expression analytique.
Toutes les feuilles sculptées sont regroupées dans une
frise uniforme.
Mais l'uniformité de la frise n'empêche pas de repérer
la dissymétrie entre l'arrondi du bord inférieur de la frise
et la découpe anguleuse de son bord supérieur. Puisque la
rangée du bas accompagne un arrondi et que celle du haut borde une
découpe anguleuse aux reliefs plus prononcés, il reste une
part d'indépendance entre ces deux rangées qui ne sont donc
pas parfaitement regroupées de façon uniforme.
Surtout, la rangée du haut est déformée par la
présence d'un décrochement supplémentaire qui vient
faire comme un grumeau, une verrue, un accident qui se marque à
la surface du chapiteau et qui contrarie l'homogénéité
de la frise de feuillages.
Il s'agit dans les deux cas d'une expression synthétique.
Le
4ème paradoxe : fait / défait
Sur la hauteur des fûts cylindriques, une hiérarchie entre
leurs tailles respectives est bien établie : il y a au centre un
gros pilier cylindrique, et il y a sur ses flancs des colonnes de même
forme cylindrique mais de taille beaucoup plus petite.
Cette hiérarchie ce défait dans le chapiteau qui fusionne
ces volumes dans une même frise indifférenciée. La
distinction même entre ces différents volumes se défait,
car leur claire lecture se brouille dans le mélange qu'opère
la frise uniforme des feuilles.
Il s'agit d'une expression analytique.
Une autre expression analytique utilise un jeu de formes très
différent : le contraste entre les tracés bien nets (bien
faits) des moulures qui bordent le chapiteau en haut et en bas, et le désordre
que forme le papillotement des feuilles, faites de découpes irrégulières
et difficiles à suivre dans le détail.
La frise de feuillages se présente donc comme un papillotement
de formes qui se dispersent en tous sens, de façon irrégulière
et quelque peu brouillonne. Mais de façon inséparable, on
lit très bien la régularité des rangées horizontales
de feuilles, la régularité de l'espacement des feuilles entre
elles, et la régularité de leur forme qui est toujours semblable.
Cette frise se présente donc inséparablement comme un
motif à la régularité bien faite, et un motif à
la régularité défaite par son papillotement irrégulier.
Il s'agit donc là d'une expression synthétique du paradoxe
fait / défait.
Dans l'analyse de la nef de la cathédrale de CHARTRES, nous avons
vu que le triforium y marquait une profonde coupure horizontale dans le
mouvement vertical des jets de colonnes et d'ogives.
Le continu / coupé disparaît dans le gothique rayonnant,
et tout naturellement le triforium qui jouait un rôle essentiel dans
cet effet subit une profonde mutation, au point même de changer de
nom et de devenir "claire-voie".
Pour cela, il gagne en hauteur et en profondeur, afin de devenir un
volume à part entière et non plus seulement une saignée
dans le mur. Surtout, il s'éclaire en se munissant de vitraux comme
les grandes verrières qui le surmontent. Dernière mutation
: au lieu de se découper sur un mur nu qui tranche avec les faisceaux
de colonnes qui montent du sol à la voûte, un réseau
de fines colonnes verticales et de bandeaux horizontaux le recouvre maintenant
pour mieux l'intégrer au réseau général des
colonnes de la nef.
L'exemple que nous allons analyser est celui du croisillon nord de l'abbatiale
de Saint-Denis, remanié entre 1231 et 1241 en même temps que
le choeur de l'église.
À l'occasion de l'analyse de l'évolution des fenêtres,
nous avons déjà vu
ce croisillon, réalisé précisément à
l'époque d'émergence du style rayonnant.
Parmi les autres claires-voies de même disposition, on peut citer
le choeur de la cathédrale de Cologne en Allemagne (construit à
partir de 1248), ou encore le choeur de la cathédrale d'Amiens en
France (1258 / 1269).
Pour charger l'image de l'exemple analysé
: le
croisillon nord de l'église abbatiale de SAINT-DENIS (France) -
1231 à 1241 (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
"le gothique rayonnant" dans la collection "Architecture Mondiale"
chez TASCHEN
Le
1er paradoxe : intérieur / extérieur
Grâce à l'agrandissement de son volume par rapport à
celui de l'ancien triforium, la claire-voie prend une ampleur suffisante
pour participer au volume interne de la nef et n'est plus seulement une
zone d'ombre derrière des arcades. Cet effet est renforcé
par la présence des vitraux qui font suite aux vitraux de la grande
verrière au-dessus, de telle sorte que l'on ressent bien que la
claire-voie est à l'intérieur de la paroi externe du volume
de l'église.
Mais ce volume est en retrait, et ses vitraux sont en retrait de ceux
des grandes fenêtres, de telle sorte que l'on peut négliger
sa présence et ressentir que la paroi externe de la nef ne suit
pas le décalage des vitraux et laisse à son dehors le volume
de la claire-voie.
Selon la perception que l'on a de la position de la paroi externe,
la claire-voie est donc considérée à l'intérieur
ou à l'extérieur du volume de la nef.
Il s'agit d'une expression analytique.
La présence de vitraux en paroi extérieure de la claire-voie
implique un effet plus subtil encore :
- elle en fait un lieu en relation directe avec l'extérieur
de l'église, puisqu'il baigne dans la lumière du soleil et
change d'apparence au moindre nuage qui passe ;
- pourtant, par contraste avec l'immensité de la nef,
cette paroi lumineuse n'empêche pas la claire-voie d'être ressentie
comme un lieu confiné, un lieu qui exprime la notion d'intimité
close, par sa proportion et par la proximité des parois qui l'entourent.
En résumé, la claire-voie est un lieu privilégié
de l'ambiguïté : dedans / en rapport avec le dehors, espace
refermé en interne / espace lié à l'externe, elle
est donc un lieu privilégié du paradoxe intérieur
/ extérieur.
L'ambiguïté de cet effet, implique qu'il corresponde ici
à l'expression synthétique de ce paradoxe.
Le
2ème paradoxe : un / multiple
À l'intérieur de la nef unique, on trouve donc comme de
petites nefs en miniature, des parties de la nef qui sont semblables à
son tout.
Il s'agit d'un effet synthétique, qui permet de retrouver l'unité
de l'ensemble dans les morceaux qui le divisent.
L'ensemble de la claire-voie forme une galerie unique continue que l'on
voit filer derrière les faisceaux de piliers.
Mais ces faisceaux de piliers, précisément, la découpe
en tronçons multiples.
Il s'agit d'une expression analytique, et si l'on considère
individuellement chacun de ces tronçons, on retrouve à plus
petite échelle cette même expression : chaque travée
est faite de quatre ogives, et les colonnes de ces ogives divisent la claire-voie
sans nuire à l'unité du volume que l'on devine derrière
elles.
Le
3ème paradoxe : regroupement réussi / raté
La nef regroupe l'ensemble de son volume de façon unitaire à
l'intérieur de la paroi qui monte jusqu'aux grandes fenêtres.
La claire-voie échappe à ce volume, elle refuse que son volume
soit amalgamé au volume principal de la nef, qui échoue donc
à regrouper tout le volume de l'église.
C'est une expression synthétique.
Par différence avec les triforiums du gothique classique dont
les ogives trouent un mur massif nu, ici un réseau de nervures et
bandeaux recouvre la surface du mur pour regrouper dans le même type
de texture l'ensemble de la surface murale de la nef.
Mais les arcs des ogives se démarquent de ce réseau orthogonal,
réseau qui ne parvient donc pas à regrouper tous les tracés
en relief de la paroi.
C'est une expression analytique.
Le
4ème paradoxe : fait / défait
Comme dans les grandes verrières des fenêtres hautes, la
partie haute des baies de la claire-voie articule un contraste de formes
en arcade bien différenciées les unes des autres et bien
hiérarchisées, alors que la partie basse défait cette
organisation pour ne proposer qu'une morne uniformité de colonnes
de tailles semblables et dont le profil reste le même sur toute la
hauteur de la colonne.
C'est une expression analytique.
En sens inverse, on peut lire la trame des colonnes verticales et des
moulures horizontales comme une trame "bien faite", parce que facilement
visualisable en tant que thème continu unifiant la surface, tandis
que par comparaison les arceaux des ogives proposent des courbes de toutes
tailles et qui partent dans tous les sens. Ces arcs provoquent un effet
de perturbation visuelle qui contrarie la lecture purement orthogonale
des autres reliefs, ils défont par leur désordre cette lecture
qui se voulait simple et limpide.
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