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:
généralités sur le gothique rayonnant |
suite
:
les chapiteaux et le triforium |
Pour aller aux autres exemples de gothique rayonnant analysés :
à transformation des chapiteaux et du triforium, de gothique classique
en rayonnant
à la flèche de la cathédrale de SENLIS
à la rose du croisillon nord de Notre-Dame de PARIS
à la façade de la cathédrale de WELLS
le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture
pendant le moyen-âge
les généralités sur les effets paradoxaux que l'on
trouve dans l'architecture gothique rayonnante
Contrairement au passage bien marqué qui s'est fait entre le style roman et le style gothique, celui entre le gothique classique et le gothique rayonnant a été beaucoup plus discret, au point que ce style rayonnant est le plus souvent présenté comme le simple épanouissement du gothique initial, atteignant à cette occasion la plénitude de l'expression purement "gothique".
On peut évoquer deux raisons à cette absence de radicalité
dans la rupture des formes.
D'une part, dans l'organisation même des corporations de bâtisseurs,
dont l'éducation de maître à apprentis favorisait la
transmission conservatrice des recettes, et donc des formes déjà
éprouvées.
D'autre part, et cela est certainement beaucoup plus essentiel, la
conservation des effets paradoxaux en jeu entre une époque et la
suivante.
Ainsi que nous l'analyserons, ce sont bien quatre nouveaux effets paradoxaux
qui sont à l'oeuvre dans le gothique rayonnant, mais en plus des
quatre paradoxes dont nous présentons l'évolution, il existe
d'autres niveaux de paradoxes que nous avons décidé par simplicité
de ne pas traiter dans la présentation actuelle du site.
Or il se trouve que, parmi ces autres paradoxes du gothique classique,
trois se retrouvent parmi les quatre paradoxes que nous allons découvrir
dans le gothique rayonnant : le un / multiple, le regroupement réussi
/ raté, et le fait / défait.
Ayant déjà eu à s'adapter à l'expression
de trois des quatre paradoxes fondamentaux du gothique rayonnant, les formes
du gothique classique étaient donc bien préparées
pour n'avoir que quelques modifications à supporter pour s'adapter
au nouveau style.
Pour l'essentiel, la nouveauté viendra de l'abandon du paradoxe
continu / coupé, qui impliquait des ruptures brutales dans les continuités
que le nouveau style évitera, et de l'introduction du paradoxe intérieur
/ extérieur qui impliquera des subtilités de relations internes
que ne connaissait pas le gothique classique.
Pour mieux faire ressortir l'originalité de chacun des deux styles
et la façon dont le gothique rayonnant a recyclé les formes
issues du gothique classique pour les incorporer dans de nouvelles relations,
nous allons voir comment se transforment les éléments d'architectures
employés de façon répétitive, tels que les
fenêtres, les chapiteaux, et le triforium.
Nous commençons par les fenêtres.
Longtemps le gothique classique s'est contenté de la forme en
ogive pour ses fenêtres.
La fenêtre à remplage que nous envisageons apparu pour
la première fois dans la chapelle axiale du choeur de la cathédrale
de REIMS, cathédrale qui relève dans cette partie de la période
classique du gothique.
La chapelle fut édifiée de 1211 à 1220, et le
dessin reproduit ici est celui qu'en fit Villard
de Honnecourt qui visita le chantier de Reims vers 1220/1230.
[source de l'image : "l'art gothique" de W. Worringer, dans la colletion "idées/arts" de chez Gallimard -1967] Dans ce dessin extrait de son célèbre album, les fenêtres
à remplage sont vues depuis l'extérieur (il en a fait une
autre vue, cette fois depuis l'intérieur), et si l'on compare aux
fenêtres réelles, on peut seulement noter que les chapiteaux
sur lesquels s'appuient les ogives sont un peu plus discrets dans la réalité,
y tranchant à peine la continuité de la colonne qui se continue
pour former l'ogive.
Puisque nous n'avons pas analysé ce type de fenêtre dans la partie consacrée au gothique classique, nous l'analysons brièvement maintenant. |
Le paradoxe synchronisé
/ incommensurable (expression analytique) :
Une forme qui se trace en rond, parvient à s'intercaler impeccablement
entre des ogives qui se tracent verticalement.
Le paradoxe continu
/ coupé (expression analytique) :
La fenêtre forme une lance verticale continue de bas en haut,
et la rosace marque dans cette progression une nette coupure, une étape
qui s'intercale entre les ogives du bas et la grande ogive du haut.
Le paradoxe continu
/ coupé (expression synthétique) :
La rosace forme une couronne continue d'alvéoles, dans laquelle
chacune de ces alvéoles marque une étape bien coupée
de ses voisines.
Le paradoxe lié
/ indépendant (expression analytique) :
Les alvéoles de la rosace forment des petits ronds bien indépendants
les uns des autres, mais ils sont attachés tous ensemble par la
nervure ronde qui les cerne.
Le paradoxe lié
/ indépendant (expression synthétique) :
Les ogives du bas, la couronne arrondie et l'ogive du haut, sont des
formes complètement autonomes les unes des autres, qui sont attachées
les unes aux autres sur une partie de leur parcours.
Le paradoxe même
/ différent (expression analytique) :
Il faut différentes alvéoles (par ailleurs toutes les
mêmes) pour faire une seule et même rosace.
Le paradoxe même
/ différent (expression synthétique) :
Les petites ogives et la grande ogive ont la même forme en ogive,
mais elles sont de tailles très différentes, puisque l'une
est le double des deux autres.
Pour charger l'image de l'exemple analysé : les fenêtres du croisillon nord de l'église abbatiale de SAINT-DENIS (France) - 1231 à 1241 (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)
Source de l'image utilisée :
"le gothique rayonnant" dans la collection "Architecture Mondiale"
chez TASCHEN
De façon générale il peut d'ailleurs être
signalé que cet ouvrage propose une iconographie de très
bonne qualité et très pertinente.
Le
1er paradoxe : intérieur / extérieur
Nous trouvons la même forme de rosace/ogive, parfois en position
intérieure à l'autre (puisque la petite est incluse dans
la grande), parfois en position extérieure de l'autre (puisque la
grande est au-dessus de la petite).
Il s'agit là d'une expression synthétique.
Il existe plusieurs expressions analytiques de cet effet.
Les alvéoles d'une rosace définissent un intérieur
(de la rosace) qui laisse au dehors (de la rosace) des morceaux de verrière.
Remarquez que l'on peut dire aussi que ces morceaux laissés à
l'extérieur sont par ailleurs à l'intérieur de l'arrondi
qui cerne la rosace, mais il s'agit cette fois d'une expression synthétique,
car sous cet aspect ces portions de verrière sont inséparablement
en situation intérieure et en situation extérieure.
À plus grande échelle on retrouve le même principe
: les ronds qui enveloppent les rosaces marquent des creux bien affirmés
qui suggèrent la notion d'intériorité fermée,
mais ils laissent au dehors des portions de verrière (dont on peut
également dire que, par un autre aspect, ils sont aussi à
l'intérieur de la grande ogive).
Enfin, à ces formes arrondies qui suggèrent la notion
d'intériorité du fait de leur caractère clos, s'opposent
les ogives du dessous qui proposent des arrondis qui sont ouverts par le
dessous. Il y a donc une opposition entre des arrondis qui se referment
sur un intérieur, et des arrondis qui s'ouvrent sur un extérieur
à eux.
Sa disposition est tout à fait semblable aux fenêtres de
SAINT-DENIS que nous étudions, sauf précisément pour
ce qui concerne le trilobage des ogives de la rangée inférieure,
ce qui a pour effet principal d'enrichir la participation de ce premier
paradoxe de l'intérieur / extérieur.
Comme une ogive simple, cette forme se présente comme une forme
non close, ouverte sur l'extérieur en dessous d'elle. Mais comme
elle est décomposée en arcs de cercle qui rappellent les
arcs de cercle des rosaces au-dessus, cela donne l'occasion d'inclure visuellement
ces ogives trilobées dans le groupe de formes en arcs de cercle
que suggèrent ces rosaces.
Ainsi, dans un ensemble unifié de formes en arcs de cercle,
se séparent un groupe qui organise ces arcs en formes qui se referment
de façon close sur un intérieur, et un groupe qui organise
ces arcs en formes ouvertes sur leur extérieur.
La forme même d'un trilobe est remarquable, puisque par un aspect
le lobe central est suffisamment refermé pour suggérer un
espace intérieur qui lui soit interne, et puisque par un autre aspect
ses branches restent suffisamment écartées l'une de l'autre
pour laisser cet espace interne largement ouvert sur son extérieur.
C'est donc un espace inséparablement intérieur et extérieur.
Ces deux effets apportés par l'ajout de trilobes dans les ogives
du bas, sont des effets de nature synthétique.
Chaque rosace dessine une forme centrée bien unitaire : elle
est cernée d'un rond et elle est centrée sur un rond que
souligne le dessin des vitraux. Simultanément, elle est faite de
multiples alvéoles bien séparées les unes des autres.
De la même façon, chaque bande de vitrage formant la moitié
inférieure de chaque grande fenêtre forme précisément
"une bande" qui s'étale uniformément sur toute la surface,
mais simultanément on repère aisément que cette bande
est faite de l'assemblage de multiples rectangles verticaux qui se détachent
l'un de l'autre dans leur partie haute, là où ils se séparent
pour chacun former une ogive distincte.
Ces deux expressions sont analytiques.
Une expression synthétique correspond à l'impossibilité
que l'on a de percevoir une rosace sans être attiré simultanément
par la perception du groupe de trois rosaces étroitement accolées
auquel elle appartient. "Un" groupe de "trois" rosace : nous percevons
nécessairement en même temps le un et le multiple.
Plus essentielle à remarquer comme expression synthétique,
est l'organisation comportant une "auto-similarité d'échelle".
Cette notion d'auto-similarité d'échelle est une notion mathématique
fréquemment évoquée depuis quelques années
à propos des formes dites "fractales". Elle se réfère
à des formes dont la forme d'ensemble se retrouve dans chacune des
divisions de cette forme. [nota : cette
notion est expliquée avec des exemples dans la partie mathématique
du site - ce lien s'ouvre en principe dans une autre fenêtre]
Ici, si nous considérons la forme d'ensemble, nous pouvons la
définir comme une grande ogive (celle qui est à la limite
entre la fenêtre et la voûte) comportant sous son sommet une
rosace, et se divisant en deux ogives accolées sous cette rosace.
Si nous considérons maintenant chacune de ces deux divisions de
la grande ogive, nous voyons que chacune des deux ogives qui la composent
comporte à son sommet une rosace, et qu'elle se divise elle-même
en deux ogives accolées sous cette rosace.
Cet effet relève du "un / multiple", car il implique que les
multiples divisions du "un", c'est-à-dire de l'ensemble, ne soient
pas différenciables de ce "un" d'ensemble.
Cet effet n'a pas été évoqué à l'occasion
du paradoxe intérieur / extérieur, mais on aurait pu l'évoquer,
car ce type de forme "auto-similaire" (car similaire à elle-même
dans ses propres parties), signifie qu'à l'intérieur de la
forme on retrouve la forme extérieure, que l'on retrouve donc l'extérieur
à l'intérieur.
Le
3ème paradoxe : regroupement réussi / raté
Comme on l'a évoqué pour le paradoxe un / multiple, les
trois rosaces parviennent à former ensemble un groupe visuellement
très évident. Mais comme on l'a évoqué cette
fois pour le paradoxe intérieur / extérieur, ce groupe ne
parvient pas à rassembler toute la surface de la partie haute du
vitrage, et il laisse en dehors de lui des "restes" de verrière
qui "comblent les trous".
De la même façon, chaque rosace se forme par le rassemblement
réussi de multiples alvéoles en couronnes, mais la forme
de ces alvéoles laisse entre elles des restes de verrière
qui n'ont pas réussi à s'agglomérer à l'intérieur
de la rosace. Pourtant, ces restes qui ont raté leur rassemblement
dans la rosace, réussissent à se faire voir amalgamés
à elle, puisqu'avec elle ils sont cernés par un rond qui
empaquette l'ensemble de façon bien serrée.
Abandonnant les surfaces vitrées, on peut aussi se concentrer
sur les remplages en pierre qui cernent les vitrages : les ogives du bas
se lisent accolées aux rosaces, donc regroupées avec elles,
mais en même temps on ne les ressent pas comme appartenant au groupe
des trois rosaces.
Tous ces effets ont un caractère synthétique, car pour
percevoir le ratage il faut faire surgir l'effet de groupement, et c'est
la perception de ce groupement réussi qui simultanément le
fait voir partiellement raté.
L'effet analytique s'appuie également sur la forte impression
de regroupement des trois rosaces, mais le ratage de ce regroupement se
perçoit d'une autre façon : chaque rosace se lit comme partie
du paquet de trois qu'elle forme avec ses voisines, mais elle se lit aussi
comme partie d'une ogive dont elle occupe le sommet. Si on la lit dans
son ogive propre, nécessairement on la sépare de son groupe,
et dans cette lecture elle n'est donc plus groupée avec les autres.
Le
4ème paradoxe : fait / défait
La compréhension de ce paradoxe nécessite d'avoir à
l'esprit "ce qui se fait". Ici, ce qui se fait, c'est une organisation
de formes, et l'on peut rappeler que dans cette étape on est précisément
dans l'une des "étapes
de l'organisation" du "cycle de l'organisation" [ce lien s'ouvre
en principe dans une autre fenêtre].
Or, une forme organisée, c'est une forme qui présente
en son sein des différences qui jouent les unes par rapport aux
autres. Par exemple, elle peut présenter l'organisation d'une hiérarchie
interne de tailles (des petites qui se différencient des grandes)
ou l'organisation d'une hiérarchie d'inclusion : certaines formes
se distinguent des autres parce qu'elles les contiennent.
L'analyse de tous les paradoxes précédents nous a montré
l'importance ici de cet effet de hiérarchie de tailles et d'inclusion,
et c'est précisément cela qui "se fait" dans cette forme.
Défaire cela, c'est par conséquent supprimer tout effet de
hiérarchie de tailles ou d'inclusion, et de façon générale
supprimer toute la complexité des effets d'arrondis qui servent
à faire voir cette organisation de formes. Ce qui se fait c'est
donc la hiérarchie d'effets courbes imbriqués qui se différencient
les uns des autres par leurs tailles, la défaire c'est donc faire
des formes monotonement rectilignes, monotonement de la même taille,
et monotonement simplement juxtaposées les unes à côté
des autres.
Ainsi, une complexe organisation de formes se fait dans la moitié
supérieure de la fenêtre, tandis qu'elle se défait
complètement dans sa moitié inférieure : c'est de
façon très uniforme que les ogives descendent verticalement
(ou montent, selon le sens de notre lecture), dessinant des traits verticaux
sans aucune modulation ni de trajet ni d'épaisseur, et de façon
très uniforme aussi que les ogives se répètent horizontalement
les unes à côté des autres, sans aucune variation de
taille ni de forme.
Ce qui est essentiel ici ce n'est pas la rectitude, c'est l'uniformité
de l'usage qui est fait des traits verticaux et de la répétition
en bande horizontale. Car l'uniformité peut aussi s'exprimer par
une forme courbe, dès lors par exemple qu'il s'agit d'un rond "uniformément
rond", comme celui qui entoure chaque rosace : à la complexité
de l'assemblage des petits pétales arrondis bien marqués
qui se regroupent autour d'un plus grand rond seulement suggéré,
il oppose son "simple rond uniforme". Le rond qui cerne chaque rosace défait
donc la complexité qui se fait à son intérieur.
Tous ces effets relèvent d'une expression analytique, car on
peut clairement séparer les formes qui font et celles qui défont.
Par différence avec l'expression analytique, dans l'expression
synthétique de ce paradoxe c'est la même forme qui fait et
qui défait.
En l'occurrence, il s'agit de la forme des rosaces, et l'on revient
à nouveau sur l'effet de leur "groupement à trois" réussi,
et sur le ratage de ce groupement dès lors que l'on considère
non plus le groupe qu'elles forment mais l'ogive dans laquelle chacune
se blottit.
Il s'agissait de l'effet analytique du paradoxe regroupement réussi
/ raté, et dans le cas du paradoxe fait / défait ce groupe
intervient au contraire dans l'expression synthétique. L'effet provient
ici de la presque égalité de tailles entre les trois rosaces,
que renforce la perception de leur "mise en groupe". Celle du haut étant
presque de même taille que ses voisines du dessous, lorsque l'on
perçoit leur groupe de trois on néglige cette légère
différence, et l'on voit "un paquet de trois ronds similaires contenant
des pétales". Quant au contraire on oublie ce paquet qu'elles font
et qu'on lit chaque rosace avec l'ogive qui l'abrite, alors une claire
hiérarchie se lit entre elles, car celle du haut appartient à
une ogive qui est deux fois plus large que les deux autres, une ogive qui
de plus "contient" les deux autres. Dans cette lecture la rosace du haut
devient la rosace majeure qui domine les deux autres, et celles-ci deviennent
des rosaces subordonnées qui appartiennent à une sous division
de la forme à laquelle appartient la grande rosace.
Si on lit donc les rosaces dans les ogives, l'organisation des relations
hiérarchiques entre elles est faite, mais dès qu'on lit les
rosaces "en paquet", cette organisation de relations se défait,
et on ne lit plus que trois rosaces similaires "platement" côte à
côte.
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