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La Tunisie après la guerre

La Tunisie, sur le sol de laquelle s’acheva la lutte pour le dégagement de l’Afrique, est le pays de ce continent qui a le plus souffert de l’occupation et de la guerre.

Un effort vigoureux était indispensable pour le tirer d’affaire. Le général Mast, résident général de France à Tunis, l’a compris. Il a établi un plan, ou mieux une série de plans quinquennaux qu’il a soumis à l’approbation du gouvernement de la République.

L’un des premiers buts est la scolarisation de tous les enfants aptes à recevoir avec fruit un enseignement approprié à leur milieu ; l’effectif scolaire de la Régence doit passer de 90.000 enfants, en 1945, à 135.000 en 1949, pour arriver à 210.000 en 1954, et atteindre 760.000 en 1974. Le budget de l’Instruction publique ; en 1883, était de 1.800 francs. En 1945, il se monte à 248 millions de francs. Une place très importante est faite à l’enseignement professionnel, dont les résultats sont bien prometteurs.

En 1943, lors de la libération du pays, l’ennemi battu abandonna beaucoup d’armes et de matériel mécanique sur le terrain, en particulier plusieurs milliers de camions et véhicules automobiles. On fit appel aux élèves des enseignements professionnels et primaire supérieur pour venir dans les ateliers de réparation recevoir une formation rapide. Cet appel eut un plein succès, et, en peu de temps, le matériel réparé, remis en état, servait à augmenter la puissance des Forces françaises libres. De même, la population féminine se chargea de besognes importantes et urgentes.

Les populations sinistrées, nombreuses dans les centres urbains, devaient être relogées ; il fallait décongestionner les quartiers surpeuplés, procurer des logements sains à une population en plein développement démographique. Le Service de l’Urbanisme fut créé ; employant les méthodes les plus modernes, il constitua un « plan d’aménagement » pour chaque ville, prévoyant l’usage de matériaux normalisés et la standardisation des divers éléments utilisés afin d’accélérer l’exécution des travaux.

L’artisanat fait montre de réels talents dans les broderies, les poteries de Nabeul, continuant les traditions antiques, les cuirs incrustés, les cuivres ciselés et damasquinés, les tapis de haute laine de Kairouan, les couvertures de Gafsa et les tapis à poil ras à décor géométrique.

Lors de l’établissement du Protectorat, le gouvernement tunisien estimait la population à 1.500.000 habitants musulmans et 57.000 Européens. En 1945, on compte 243.170 Européens, 2.700.000 musulmans, 72.000 israélites, en tout, 3.015.170 habitants. Cet accroissement semble devoir se poursuivre à la cadence de 50.000 individus par an, et cela en partie grâce aux médecins de la Santé publique, à la construction d’établissements sanitaires et aussi à l’institution de visites médicales fréquentes dans les tribus par des groupes médicaux automobiles (sorte de petits hôpitaux mobiles), complétés par des infirmiers itinérants, montés, parcourant leur circonscription, appelant le médecin en cas d’urgence ; enfin, s’il y a lieu, l’évacuation sur les hôpitaux par l’avion sanitaire.

Pour nourrir cette population croissante, on ne peut penser qu’au « paysannat », combiné avec l’amélioration des méthodes culturales pouvant redonner à ce pays la fertilité et la richesse que la Byzacène a connues de l’époque romaine jusqu’à la défense contre les invasions des Vandales et Hilaliens. En un mot, reprendre en grand l’œuvre commencée, il y a cinquante ans, par Paul Bourde. Aujourd’hui, la photographie aérienne est d’un grand secours pour cette reconstitution des travaux et du cadastre romains. Elle décèle les citernes, canalisations et puits.

Le programme du paysannat convient particulièrement aux zones de steppes se trouvant au sud de la chaîne dorsale et la chaîne de la Byzacène. Bien souvent, il suffira de remettre en état les ruines romaines, de curer les puits et d’en creuser quelques autres joignant la même nappe phréatique, pour revivifier le pays.

Toute rénovation agricole est liée à l’eau, à l’extension de la vie sédentaire et à l’organisation de la vie nomade. Pour cela, il faut préciser le régime juridique du sol, créer ou étendre la législation des associations et celle du crédit permettant de donner aux paysans l’outillage nécessaire.

On peut appliquer ce programme dans ces steppes, procéder à la création de petits centres ruraux. (Il faudra peut-être racheter quelques grands domaines.) Selon l’endroit, il faudra faire de l’agriculture, de l’élevage, exploiter l’alfa, créer et étendre des plantations d’oliviers, d’oléastes, d’amandiers et de cactus inermes, développer des cultures sèches. Enfin, tout à fait au sud, faire l’élevage transhumant, en organisant des abreuvoirs permettant l’abreuvage rapide et simultané d’un grand nombre d’animaux.

Irrigation.

— Dans le Nord, la Medjerda et ses affluents roulent un volume d’eau considérable. Si quatorze barrages sont prévus pour l’utilisation de l’énergie hydro-électrique, deux seulement sont en construction. L’exécution du plan permettra l’installation de 79.000 CV, donnant 150.000.000 de kilowatts-heure. L’alimentation de Tunis en eau potable est insuffisante ; elle n’est que de 30.000 mètres cubes par jour. Il en faudrait le double ; ce sera fait en 1948.

Pour l’emploi des eaux d’irrigation, de nombreuses précautions sont à prendre. Il faut éviter les amas d’eaux stagnants, sources du paludisme, et, surtout dans les sols formés par les apports du vent et l’action du soleil, éviter une rupture d’équilibre général se traduisant par la remontée des sels et quelquefois la stérilisation du sol. Le plan d’irrigation ne sera mis au point que peu à peu après étude par des hydrauliciens, physiologistes, entomologistes, médecins et agriculteurs. Il sera alors possible d’irriguer 150.000 hectares.

Électrification.

— Les centrales thermiques actuelles font 38.000 CV, donnant 72 millions de kilowatts-heure ; elles seront portées à 87.000 CV et 105 millions de KWH.

Forêts.

— La forêt, détruite par le Bédouin et la chèvre, ne se reconstitue pas sans l’intervention de l’homme. À 800 mètres d’altitude le champ et la prairie disparaissent, il faut prévoir le reboisement total, enrayer l’érosion en barrant les thalwegs. Le pin maritime ou le chêne-liège, sur les grès du Nord, et le pin d’Alep, sur les calcaires, sont à recommander. Le plan prévoit un effort sérieux, qui sera apprécié dans vingt-cinq ans.

Pour former les cadres agricoles, l’enseignement a établi toute la gamme d’écoles utiles.

Chemins de fer.

— Des lignes impériales à voie large assurent la liaison Maroc, Algérie, Tunis, depuis Bizerte et Gabès. Des lignes à voie métrique relient les gisements phosphatiers, et une ligne de pénétration partant de Sousse va vers l’Ouest. Le réseau tunisien compte 2.100 kilomètres dont 250 sont à remplacer et 650 à modifier. La réparation des destructions de la guerre est très avancée.

Routes.

— Les routes sont en assez bon état d’entretien. L’autostrade de Casablanca au Caire, venant d’Alger par Ain-Beida et Tébessa, passe à Fériana, Gafsa, Gabès et Ben-Gardanne. Une variante part d’Aïn-Beida, passe au Kef, à Tunis, Kairouan, pour rejoindre la route principale à Gabès. Il existe 2.907 kilomètres de routes bétonnées ou bitumées, 3.096 kilomètres en macadam ordinaire, 618 kilomètres en gravier et argile, 1.225 kilomètres en terre amélioré et 4.070 kilomètres de pistes entretenues, soit au total 11.916 kilomètres. Le plan idéal doit comprendre 13.600 kilomètres bétonnés ou bitumés.

Aviation.

— De la centaine d’aérodromes laissés par la guerre, une quarantaine seront conservés, formant, de 100 kilomètres en 100 kilomètres, une véritable chaîne.

Ports.

— La Goulette et Sfax avaient été en grande partie détruits par la guerre. Les réparations effectuées permettent la reprise du trafic. Les transformations prévues les rendront aptes à recevoir les cargos de 10.000 tonnes type « Liberty ship » à fort tirant d’eau. L’outillage portuaire est modernisé. Bizerte et Sousse seront développés en proportion du trafic à prévoir.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°608 Juin 1946 Page 219