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Extraits
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1
Épouser le monde...
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.Les défunts.
Ils remontent parfois la nuit
sur les tréteaux
Et feignent encore de vivre À leurs genoux
Les animaux des fables Théâtre de campagne
Mimant pour des inconnus un âge oublié
L’eau profonde des puits et le tabac roulé
Dans un jardin en bas cardons et rhubarbes
La vie égale à traverser sans
espérance Sa poudre amère diluée en secret
Dans un alcool grossier qui les saisit tout vif
Et ils fuient chaque soir le monde en alambic
À travers neiges et canicules
Jusqu’à
rouler
De l’estrade
crasseux
enflés de sang
Se gagnant le court empan de terre où s’ouvrent
À Varassieux parmi les noyers sombres
Les seuls cieux
qu’un peu encore une Marie Attisant un dernier sentiment veillera
Un enfant mort-né desséché dans le
sein
Seule à garder les murs et craindre au-delà
La terre si vaste où tant de prodiges
Et de désastres naissent
que disent
Les pélerins du siècle…
(avec
Francis Jammes)
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.L'éphémère.
Œil plissé
lèvre fendue
non
La beauté pure
mais l’imparfaite
Non cette peinture qui défie la mort
Dont aucun de nos sens n'apaise le désir
Effigie d'un bonheur à jamais refusé
À notre courte étreinte
mais celle
Qui allie les deux natures à qui fut
di
Sois féconde et souffre...
qui fructifie
Et passe plus poignante
d’être troublée
Comme l’esprit du vin où se dissout un grain
De cassis Les mèches lentement consumées
Sous les décoctions de fruits noirs Une mouche
Engluée sur la joue qui croît et la ronge
Celle que noue à la terre une saison rapide
Que meurtrissent les passions le doute la joie
Les songes Prodiguant cette beauté
mêlée
Qui depuis toujours est notre nourrice
Et ce qui l’outrepasse n’est rien
effigie
Et peinture...
(avec Georges Brassens)
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2
Faire de soi sa
discipline...
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.Contemplation.
Infirme ce matin
lourd et noué
À l’instar de ces femmes
étroites
Qui n’ont pas de menstrues et qui étouffent
De leurs sanies elles s'en délivrent
En liant sous leur ventre une gerbe d’anis
Et dans un baquet d’eau accru de bouillon-blanc
S’assoient nues dans la lumière
longtemps
Tant qu’enfin se déploie la tige
étoilée
Et que la chair s’ébranle entrouvrant son
pertuis
Le soleil et le vent dont l’herbe a fait son suc
Rayonnant à l’envers lentement
s’insinuent
Et ce qui est figé se met en mouvement Elles prient jusqu’au soir et à nul ne se donnent
Ni rien ne doit franchir leurs lèvres
sinon
Des louanges cinq fois le jour à pleine voix
Car les mots sont lourds englués dans la chair
Ils veulent beaucoup d’air pour se libérer
Et emporter le sang dont ils sont imbibés
Ainsi immobile
embrasser le jardin
Où les herbes plient sous la rosée
Et m'effuser dans la lumière...
(avec Hildegarde de Bingen)
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.Méditation. De la ville populeuse rien ne
reste Rien
Des bois de myrte et des champs de moutarde
Où sous la longue vergue des chevriers
Paissaient jadis des diables entravés
Seule a duré la mort un souffle vêtu d'herbe
Quelques arpents entre deux longs remparts
Qu'à peine
bossèlent renversées contre terre
De courtes barques
juifs communistes
Et des Anglais bavards ensevelis
Dans la montagne d’écailles qu’aux veilles
De carême y jetaient les tenanciers du Tibre
Et ceux qui ne savaient du ciel que les saisons
Rendent aux éléments le peu qui les formait
Leur substance dispersée dans les coques
Réduite à une poudre noire
Indifférents
Au ciel qui dérive entre les murs Au visiteur
Qui déchiffre les pierres fendues O ye
Fountains... et dans les allées
abandonnées
Contemple sa mort Les Cendres dans la main
De Gramsci...
(avec Keats et Pasolini)
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3
Cultiver ses
vices...
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.La nostalgie.
Mieux rêver que
jouir
Chroniques
Des Trois Royaumes
Le
prince de Wu
Prétendant quitter l'ancienne capitale Pour s'établir sur les lacs du
Yang-Tsê
Le peuple s’offusqua Plutôt
l’eau de Nankin
Que les brèmes de Wu-Ch’ang...
Des lazzi colportés sur les marchés flottants
Et des épigrammes savantes
plutôt
L’ombre de la gloire que de pauvres délices
Dix-sept siècles plus tard
jaloux du passé
Le Président Mao traverse en longues brasses
Les restes du déluge
Allons Chine Rouge !
Allons !
avalant à pleine gorge
Le Yang-Tsê
tout un peuple à sa suite
De paysans-soldats
Mais tous ici-bas Ne vivent pas de songes
l'Histoire Une table tournante
où les fils des
héros
Dévorent les maos du voyageur d'affaires
Qui les yeux perdus boit le grand ciel de Wu
En
rêvant malgré lui aux Cent Fleurs
Et aux Trois Royaumes...
(avec le Président Mao)
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.La duplicité.
Celui qui hier
robe et
ceinture étroite
Le front penché sous l'aile poudreuse
Du bombyx des nuits
remâchait son passé Et déjà
enfermé dans son mur
se voyait
Toucher l’hiver
le voici à la table prolixe
Dans ces collines qui gonflent sous les pins
Et le vent rouge de Libye
un monde
De sept couleurs où tout flatte et contente
Le proche et le lointain La morue à l’humide
Et le ciel léger des tumulus romains
Celui qui allait solitaire le voici
Près d’un être en chignon fille de
l’Étrurie
Une sirène mouchetée en sorte de serpent
Chancelant
l’œil et la langue aux abois
Et la chair à l’agonie
Comment
Réconcilier ces deux qui font leur personnage
Ce sera le labeur de nombreuses années
Un mur de chaux et de courtes
pages
Où enferme femme et tombeaux et flatter
Tantôt la chair insatiable tantôt
L'ombre du passé...
(avec Paul Valéry)
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4
Donner sens au
chaos...
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.La dévoration du monde.
Sauvages nous sommes Hurons
Iroquois
Dans nos sombres cabinets où bruisse à
l’aube
La forêt des livres Non moins qu’au-delà
Des mers les Bois-brûlés des
pays primitifs
Qui sans répit arpentent l’inconnu
Oreilles lacérées membres frottés de
sang
La tête haute ornée de somptueux panaches
Et ceux qui les joues gonflées
d’envoûtements
Leur révélent l’Éternel et
dans
une
tranche
De pain Le
transfigurent Ils se les approprient
Et s’en nourrissent avidement Robes Noires
Archevêques suspendus dans la fumée
Comme venaisons Farcis d’aromates
Le cœur et le foie grésillant Et le gras
Des cuisses à rôtir sur des braises odorantes
Non moins qu’eux dans leurs bois de baumiers
Nous courons à l'aventure dans la pénombre
De nos cabinets
dépeçant les poètes
Et nous en rassasiant...
(avec Paul Louis Rossi)
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.La philologie sentimentale.
On se fait de rien un roman
deux folios
Collés sur les plats d’un vieux cartulaire
Des mots de la main gauche et des vers inversés
Sur quoi s’opiniâtrer
une loupe
Et un miroir
rétablir les lettres
angoisse
Et merveille plus loin
la langue a
passé
Mais reste ce chant qui nous jette bas
De nos manies
[Dé]lectable
est l'amour...
Et nous restons à rêver
éperdus
Enveloppés dans l’éclat d'un
âge où personne
N’avait encore inventé la prose
un brasier
Entre les bras qui déchire
en joie
Vont les amants
et ne consume pas Au-delà de l’enclos le monde turbulent
Un instant apaisé
un instant
Puis le temps nous reprend comme un sanglot
Et ceux qui louaient désignent du doigt
La terre noire où cent péchés
conduisent Où nous serons jetés la chair
désirante
Et la moelle des os...
(avec Thomas)
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5
Hasarder tous
les sentiments...
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.L'âge travesti en
épicurien.
Hasarder tous les
sentiments
se donner
À ce qui passe
Fantaisie fille folle
À présent conduis-moi
Au diable l'âge
Et cette sœur pensive aux membres atrophiés
Qui me servait de maître
Qui peu a bu
Peu connu
et aimé d'un seul tenant
Peut-il sans regret effacer de sa paume
Tant de formes aimables
Je veux désormais
Déloger de moi
mon
sang bouillonne
Le monde est neuf troublant
comme jamais
Courir la jambe
estropiée
et la raison
Butant à chaque pas riant mauvaisement
Devant la
beauté non
pas ce cœur tari
Qui s’apaise et appelle la terre
Mais un éloge éclatant
Qu'on serve
Les blancs-mangers les vins les plus troublants
À celui que sa faim trahit
qu’une fille
Au souple talon frappe l’estrade qu'elle chante
L’amour aux hanches étroites
et me soit
Toute une longue nuit
pour l’oreille
Et pour l’œil
une libation...
(avec Shakespeare)
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.Du désir ainsi
que d’un fruit.
Je ferai mon poème
en forme de citron
qu’il roule sous la main
qu’il offre aux lèvres
sa pointe charnue
j’ai
des anciens sultans
la faim terrible
et l’œil égaré
et je vois
sous le volet
ma favorite
un souple rameau
aux
fruits aigrelets
Le cloître est sombre
seize
vierges
dans leurs cages
chantent en
bas latin dans
l’aurore je
vois
à la branche vernie
pendre un astre
froid
ce citron
est
mon cœur
un soleil au dehors
triomphant
disgracié au-dedans
et gorgé
d’amertume
Le ciel paraît
la terre est un
jardin seul
sur un banc
écarté
j’appelle mon amie
et j'aigris
suscitant
dans l’éclat du
verger
un simulacre
louant en silence
celle qui se dérobe
un citron
pour la bouche
et pour la main
une ombre...
(avec Ibn Zaydûn)
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6
Multiplier les
formes...
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.Bacchanale au spectre.
L’âme
dit le vicomte est
économe
Et le corps dépensier
le banquet
Peut-il finir
nuit d'octobre
miettes
Et trognons
la nappe maculée un cercle
De vin noir et la trace au bord du verre
D'une bouche épaissee
qui suis-je
Devenu
sur le cristal flotte Un spectre indolent le menton lourd
Et l'œil
gonflé
raillant mauvaisement
Celui que je croyais être
loin le temps
Où je m'épargnais
si loin
le corps
Avare
non moins que l’âme
À rêver sous mon mur des vertus austères
Que rien n'a pu manifester
ni les folles
Promesses du communisme ni la littérature
Mais foin du vicomte et du cabinet noir
Mieux aujourd’hui bien mieux me plaire
Des chants et des vins de Nuits
le corps
Est prodigue et veut se répandre
de là
La propriété privée
et
les tourments
De la littérature...
(avec Chateaubriand)
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.Palinodie de
la résurrection.
Ils disent La vie est un
banquet Ils disent
Notre vin est
l’instant et de longues années penchés dans l'ombre sur leurs courtes pages ils se travaillent les dents serrées secs émaciés célébrant un
festin
qui mieux mécontente qu'il ne réjouit des vers élimés par l'étude et pour vin un lait
aigre qui agace la bouche
Puis la nuit les emporte et les rats se font les dents sur leurs folles agapes
Mais les jeunes gens les jeunes gens des siècles qui toujours comme nous auront des songes vains butant une nuit par inadvertance sur les débris de leur tombe les réveillent et ils ressuscitent dans leur corps de gloire pourpres luisants lèvres tachées de
vin la main interdite glissée sous la nappe défaillant près d’un ange au regard
trouble qui chante à mi-voix dans une langue ancienne
La vie est un banquet...
(avec Omar Khayyâm)
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