Yoko Kume

RENCONTRE YOKO KUME Par Alexandrra Bourré Photographe Stéphane Grangier

Yoko Kume


<Interview>


Pratique des Arts : Pourriez-vous nous raconter brièvement votre rencontre avec la peinture ?

Yoko Kumé : Adolescente, mes préférences allaient à la musique et plus particulièrement au piano. C’est à la suite d’un accident de voiture où paralysée pendant plusieurs mois que  j’ai commencé à réfléchir à une autre forme d’expression artistique. L’écriture a vite déçu mes attentes, la peinture et le dessin, au contraire correspondaient exactement à la nature de mes sentiments. Mon intérêt pour la peinture n’a fait que s’amplifier avec l’étude des techniques de peinture à l’huile à l’Ecole des Beaux-Arts de Tokyo. Et la découverte de cette technique, synonyme d’une tradition artistique occidentale, allait inévitablement tisser des liens durables avec la culture européenne.


PDA : Pour être en osmose avec cette culture occidentale, il ne vous suffisait pas de la connaître à travers les arts. Vous êtes allée physiquement à sa rencontre, pour finalement ne plus vraiment la quitter.

Y. K. : Un des paramètres essentiels de la formation artistique est d’aller voir ce qui se fait ailleurs, surtout si l’on est né et que l’on vit sur une île ! Mon projet initial était de m’installer quelques temps aux USA, après avoir fait un tour de l’europe. Mais la lumière des paysages français m’a piégée ! J’ai finalement arrêté là mon périple avec l’énorme de chance d’être élève de Leonardo Cremonini aux beaux-Arts de Paris. Grâce à ce grand peintre, j’allais maîtriser les notions de clair obscur, de valeurs et aiguiser mon sens de l’observation.

>>J’aimerai que vous enleviez cette phase, car, je ne veux pas insister ma vie d’élève, si possible…


PDA : Comment à travers la richesse de cet enseignement a surgi les traits de votre personnalité artistique ?

Y. K. : Il est vrai que ces sept années de formation n’ont pas été sans heurts, désaccords et doutes. Au bout de queques années cependant, commençaient déjà à germer les signes de ce qui allait devenir mon propre style. Très encline à représenter l’intime, les scènes du quotidien, le rapport affectif à l’objet, je doutais néanmoins des moyens de représentation. Jusqu’au jour où Cremonini m’a suggérée de laisser plus d’espace à ma propre culture dans ma création. D’un point de vue technique, j’allais trouver ma voie par la combinaison de la peinture à l’eau et de la peinture à l’huile. La rencontre et la conciliation de la peinture occidentale et orientale.


PDA : Pourriez-vous nous définir ce qui de l’esprit japonais ressort comme valeur essentielle de votre art ?

Y. K. : Je ne crois pas que l’esprit japonais soit perceptible dans mon travail pour un occidental. Imperceptible pour l’œil étranger, la « notion » japonaise s’inscrit dans le faire, en amont d’une finalité plastique. Ainsi, la force japonaise qui régit mon œuvre résulte d’une osmose avec la nature. Au Japon, le concept de nature renvoie à un sentiment d’absolu et de perfection. Tout ce qui intervention humaine nuit et déforme cet état. Pour l’artiste, le défi est d’accomplir son œuvre en travaillant beaucoup afin de surpasser son ego.  La calligraphie, que j’ai beaucoup pratiquée,  est une des voies qui permet d’acquérir une gestuelle naturelle (spontanée ?), d’être libre dans la création pour aller au-delà de soi-même.


PDA : Concrètement, qu’est-ce qui caractérise votre travail que vous décrivez plus haut comme le résultat de la rencontre des traditions orientale et occidentale de la peinture ?

Y. K. : Je dirais que je suis parvenue à réconcilier deux techniques qui appartiennent respectivement à ces deux cultures : la peinture à l’eau pour l’Orient et la peinture à l’huile pour l’Occident. Symboliquement parlant, la peinture à l’huile, par sa présence, sa densité et son éclat n’est autre que l’affirmation de l’individu alors que la peinture à l’eau, légère et évanescente a tendance à se rapprocher de l’idée de communauté. Dans mon travail, j’ai cherché l’équilibre entre les deux, la légèreté et la transparence de la tempéra ou de l’aquarelle  est toujours contrebalancée par la vivacité et l’opacité de la couleur à l’huile. L’emploi des deux techniques conjuguées influence mon attitude même en peinture : l’une m’aide à prendre du recul, à me ressourcer à mes origines tandis que l’autre affirme dans chacun de mes tableaux, ma présence et ma personnalité.


PDA : Quels sont les artistes ou les mouvements que vous admirez ?

Y. K. : Au départ, comme beaucoup de japonais qui découvrent la peinture à l’huile, j’étais absolument fascinée par les impressionnistes, en particulier Monet. Mais des peintres comme Bonnard, Vuillard m’ont par la suite donnée de vraies leçons de couleurs. Les peintres français m’ont appris un sens de la liberté que je ne connaissais pas encore en art. Arrivée en France très jeune, j’avais appris l’idée du dépassement du geste par la calligraphie, mais ma pratique restait conditionnée par la technique. Aux Beaux-Arts à Paris, les étudiants de 1er année  >> car, les autres élèves de 2,3,..années sont forts techniquement  maîtrisaient moins la technique mais ils savaient ce qu’ils voulaient faire. C’est le concept que j’allais découvrir, une liberté que je lisais dans la peinture européenne, même dans le quattrocento italien.


PDA : Vous avez brièvement évoqué votre attachement aux thèmes intimistes. Comment décrire vos natures mortes ?

Y. K. : Pour cette idée de l’intime dans la nature morte, mes références sont directement japonaises. Je pense notamment aux récits de Sei Shonagon : Makuranososhi, poétesse et écrivain du siècle, qui décrit par fragments le monde de son quotidien à la cour de l’Empereur. Je peux à l’instar de ces écrits, me focaliser sur des objets très ordinaires, un pot de peinture, une bouteille en plastique, ce qui compte sera le regard posé sur l’objet. Dépasser la banalité de la vie pour ajouter du vivant en toute chose. Un autre écrivain japonais, Tanizaki dans son œuvre l’Eloge de l’ombre anime personnages et objets avec le filtre lumineux qui sculpte les ombres. Mentalement, j’ai besoin de cette dualité ombre/lumière, elle est une précieuse alliée dans les rendus des métaux, des verres, des surfaces patinées. L’intime se définit alors comme le témoignage d’une évolution, ce qui vit et va mourir. Une parabole de la vie que la peinture sait si bien représenter.


PDA : Et le paysage ? Comment manifeste la notion d’intimité ? Abandonnez-vous cette idée au profit d’un détachement sur le monde qui vous entoure ?

Y. K. : Tout comme la nature morte, j’ai besoin de me familiariser avec le site, avec la nature. S’approprier un espace en peinture, c’est en deviner, avec l’œil d’un artiste, c’est-à-dire à travers les ombres, les volumes, les lignes, les plans, l’histoire du lieu, du paysage. Car le rôle de la peinture n’est autre que conter, certes d’une autre façon, une histoire. Si j’aime les panoramas, les vues de villages et de campagne, sujets de prédilection en aquarelle, je reviens toujours vers les scènes du quotidien. Les intérieurs de café, la place d’une église peuplée au sortir d’une messe sont les décors de vie. Tout comme mes tableaux qui n’ont d’autres intérêt que celui de recréer l’émotion humaine.