Cathy et Jean-Louis
Galice
Vendredi 25 juillet au 22 août 2012

Pour revenir à nos propres pérégrinations, nous remarquons que, dans les "huertos" (jardins potagers) des villages et de leurs proches alentours, et en association curieuse avec quantités de grands choux, la vigne qui subsiste encore reprend parfois sa liberté. Dans les espaces désormais en friche, elle part à l'ascension des pins ou des chênes à sa portée, ou envahit allègrement les murets qu'elle franchit en s'allongeant au-dessus du chemin. Lorsqu'elle est encore taillée, les piquets qui la soutiennent sont reliés à l'horizontale à deux mètres de hauteur. Je me demande comment s'effectuait la récolte autrefois : juché sur une charrette tirée par un boeuf ou sur un escabeau que l'on déplaçait à mesure, les bras et mains prolongés de sécateurs douloureusement tendus vers le haut ? Il faut dire que les champs sont minuscules, la polyculture règne dans un paysage de bocage bordé de haies et ponctué de bosquets. Chaque récolte devait donc être assez rapide et le paysan variait sa position en fonction des plantes et de la saison. Pas de risque de maladie professionnelle sans doute ! Ce que nous remarquons toutefois, c'est la petitesse des gens de la campagne. Cela me rappelle l'obsession de ma grand-mère qui nous passait sous la toise à chaque anniversaire. Elle estimait que les générations suivantes devaient être plus grandes que la sienne ou celle de ses propres parents, mon arrière grand-mère ayant été en effet très petite (dans mon souvenir en tout cas). Il me semble bien aussi que, lorsque j'étais jeune, les Espagnols et Portugais qui venaient travailler au Pays basque étaient en règle générale plus petits que la moyenne française, alors que la différence entre citadins européens n'est plus aussi nette pour nos enfants. Une grande taille est-elle une preuve de meilleure santé ? Cela reste à démontrer. - Photos : Vigne derrière les murets - Grenier à maïs. -

L'emblème de la Galice pourrait être figuré par ses petits greniers à maïs de pierre, de facture différente selon les endroits, mais invariablement surélevés et extérieurs, attenants à la maison ou au jardin (lorsqu'il est sur une parcelle éloignée). J'aime particulièrement ceux qui sont montés sur pilotis de pierre et isolés des envahisseurs terrestres (je suppose les rats ou les mulots) par de gros disques de pierre de la taille de petites meules. L'autre inquiétude, c'était l'humidité, les piliers ou murets permettant d'isoler la récolte, du moins d'infiltrations montantes ou d'inondations (c'est ce qu'un villageois m'a expliqué). Quant à l'humidité ambiante, il fallait bien s'en accommoder, et les fermetures à claire-voie de bois ou de pierre, ou encore composées de briques creuses plus au nord, offraient sans doute une ventilation suffisante pour que le grain sèche et ne pourrisse pas. - Photo : Greniers à maïs et vigne en pergola sur la route de campagne. -

Le village de Lobios est situé près d'un lac de retenue (Embalse de Lindoso) dont le barrage est implanté au Portugal ! La longue vallée est en fait barrée deux fois à quelques kilomètres d'intervalle, et un deuxième lac immense (Embalse de las Conchas) l'inonde au nord-est. Le troisième jour, nous empruntons la Via Nova en sens inverse à partir du village, traversons les rues d'un quartier périphérique qui ne sont que de simples routes étroites de campagne bordées de "huertos" (jardins potagers). Après avoir dépassé l'église, nous descendons sans cesse dans un paysage qui se convertit en forêt mélangée de pins et de chênes, atteignons la limite du lac inférieur et longeons en la remontant la petite rivière qui l'alimente et s'étale en un vaste marécage.

Quelle tristesse ! Une ancienne maison construite avec de grosses pierres taillées, décapitée, surmonte le lac dont le niveau est très bas en cette saison estivale. Je reconnais les vestiges d'un moulin qui conserve ses meules entourées de murs en ruines. Les murets des jardins et chemins parcourent encore tout le fond de vallée et s'enfoncent dans l'eau fangeuse où se dressent, squelettes noircis aux membres dressés vers le ciel, figés dans une dernière supplique aux dieux, les arbres sommairement sciés à hauteur d'homme. Sur le flanc de la colline subsiste un village avec son église, dont les habitants contemplent chaque jour le spectacle lamentable des meilleures terres arables inondées et envahies par les joncs. - Photos : Maison détruite et souches d'arbres au lac de retenue de Lobios. -

J'ignore si les pourtours de ces lacs ont subi le même sort qu'en Aragon, et si l'administration s'en est emparée en exproprant les villageois pour convertir les champs en forêts de façon à prévenir l'éventualité d'effondrements de terrain, d'envasement et de comblement de l'ouvrage. J'ignore aussi l'impact sur la vie locale qui, en Aragon, avait été totalement démantelée, le reste de population réduit à émigrer en ville, toute activité sociale ayant été détruite. Aux "Fragas do Eume", réserve naturelle en amont d'une ria, qui comprend un grand tronçon de rivière (l'Eume), les berges et les flancs du ravin qu'elle a creusée, nous trouvons bien peu de vie. Deux ou trois pêcheurs lancent leur ligne dans les segments d'eaux vives, sans doute en quête de truites qui ne semblent pas pressées de mordre. Dans les espaces d'eau calme et transparente, je n'aperçois en tout et pour tout durant toute la journée qu'un seul poisson. Pratiquement pas de libellules, peu de papillons, quasiment aucun oiseau. Un panneau indique qu'il faut prendre garde aux changements brusques de niveau de l'eau, indice de la présence d'un barrage hydroélectrique en amont, qui semble beaucoup perturber le milieu aquatique. En fait il y en a deux qui se succèdent, l'Embalse del Eume et en amont, l'Embalse de la Ribeira au-dessus de As Pontes de Garcia Rodriguez. Le contraste est frappant entre nos impressions d'un milieu vide d'animaux et les listes d'espèces qui sont sensées s'y trouver et sont énumérées sur les panneaux d'interprétation très nombreux à l'attention des visiteurs. - Photos : Murets qui se terminent dans le lac de retenue. - Fleur mystérieuse aux Fragas do Eume. -

L'un d'eux rappelle l'inquiétude qu'avait causée la baisse dramatique du nombre de saumons au XIXe siècle. Des barrages de pierre percés de trois passages par où jaillissait l'eau du torrent servaient de pièges mortels aux poissons migrateurs qui remontaient le flux et sautaient directement dans des nasses. Envoyés par courrier express (à cheval), ils étaient vendus très cher à Madrid. A ce propos, la sauvegarde des saumons ne semble toujours pas être un souci primordial encore aujourd'hui, puisque nous apercevons à mi-trajet un petit barrage dont nous ne comprenons pas l'utilité et qui n'est pas équipé de passe à poissons. Lorsque nous redescendons de l'ancien petit monastère (Mosteiro de Caaveiro) situé au sommet du ravin, nous découvrons des pentes ravagées par un grand incendie, avec des arbres aux troncs noircis et gravement brûlés à leur base qui réussissent malgré tout à avoir quelques feuilles. Bien qu'il soit très plaisant de s'y promener et qu'elle soit très fréquentée par les locaux et les touristes, c'est une réserve naturelle qui me paraît plutôt sinistrée. Le chemin que nous parcourons en suivant le cours de l'eau est magnifique, mais, comme partout où nous nous rendons en Galice, l'eucalyptus domine, une vraie plaie pour l'environnement, selon les termes même d'une naturaliste galicienne. - Photos : Panneau de la réserve naturelle des Fragas de Pontedeume. - Barrage sans passe à poissons sur l'Eume. -

Je trouve sur le site en langue anglaise Galiza Today des assertions effrayantes à propos des incendies. Un article du 5 janvier 2012 publie des données fournies par le mouvement "Ecoloxistas en Acción" (Ecologistes en action). L'extinction des incendies serait plus profitable en terme de publicité que la prévention, les administrations, dont la Xunta de Galiza, préférant investir dans du matériel de lutte et replantant des espèces qui favorisent l'extension des feux, au détriment d'une planification rationnelle à long terme. Qui plus est, sur la dernière décade, la Galice à elle seule totaliserait la moitié des surfaces brûlées en Espagne et 40% du nombre d'incendies ! Ils seraient imputables principalement à trois causes, les brûlis pour l'agriculture, ceux pour étendre les pâturages, et enfin ceux qui servent les intérêts immobiliers. Quelques uns des plus grands incendies de ces dernières années auraient favorisé la requalification de ces terres pour les rendre constructibles. L'article suivant du 26 avril analyse les conséquences de l'incendie qui a ravagé durant quatre jours à partir du 31 mars, 1850 acres (750 ha) de la réserve naturelle des Fragas do Eume, provoquant un désastre écologique immense. Les experts craignaient en outre que la pluie entraîne les cendres dans la rivière et la polluent, ce qui explique la fonction des drôles de boudins (des barrières de fibres végétales) que j'avais remarqués et qui étaient placés de loin en loin en travers de la pente afin de prévenir sans doute une érosion trop forte. - Photos : Des arbres dont la base des troncs est gravement brûlée aux Fragas do Eume. -

Un autre article paru le 7 mai dans El Pais annonce que la Xunta remplacera les eucalyptus et les pins "qui ont brûlé comme de la paille" par des espèces autochtones, premier stade d'un plan de régénération du parc qui sera effectué "là où ce sera possible". Cette décision est motivée par le fait que les eucalyptus favorisent les départs de feu en produisant des vapeurs inflammables. En plus, leur meilleure résistance au feu empêche les autres espèces d'envahir leur habitat : ce sont des pyrophytes actifs. Pour certaines espèces de pins comme le Pin d'Alep, le Pin noir d'Autriche et le Pin tordu, les effets du feu sont antagonistes : modéré, il favorise l'éclatement des pignes, la dispersion des graines et le nettoyage des sous-bois. Intense, il détruit ces arbres résineux. Ce sont des pyrophytes passifs. - Photos : Papillon et criquet sur la Via Nova (Lobios). -

Le quart du parc est peuplé d'espèces extérieures plantées pour leur valeur commerciale : 838 ha de pins et 1 217 ha d'eucalyptus. La difficulté de mise en application de la décision de renoncer à ces essences arboricoles provient du fait que la propriété des terres est répartie entre cinq municipalités et 200 individus, sans l'accord desquels rien n'est possible. Il faut aussi une véritable volonté des instances provinciales. Un article de "La Opinion Coruña" du 18 juillet signale que la "Conselleria de Medio Ambiente" (environnement) permettra l'exploitation de l'eucalyptus en zones Natura 2000, sans toutefois qu'il soit possible d'en étendre la surface, de même qu'elle y maintient les mines, piscicultures, hydroélectricité, etc. Par ailleurs, il faut savoir que, pour lutter contre un insecte prédateur, le Gorgojo de l'eucalyptus, cette culture destinée à l'industrie papetière s'accompagnait de pulvérisations de "flufenoxuro", produit préjudiciable notamment aux abeilles et interdit par l'Union européenne à partir de ce mois d'août. Le 19 septembre 2008, la Fédération "Ecoloxista Galega" a rédigé une lettre de protestation à l'attention du gouvernement de la Province de Galice dans laquelle elle décrit en détail tous les dégâts occasionnés par cette monoculture de l'eucalyptus depuis une cinquantaine d'année, autant sur le plan social qu'économique et environnemental. - Photos : Signalétique du sentier des Muiños. - Ci-dessous : Poissons et moules dans la ria de Noia. -

Portés en exergue dans les discours européens actuels comme des équipements "durables" exploitant une source d'énergie renouvelable, les barrages hydroélectriques associés aux lacs de retenue sont loin d'être exempts de nuisances à l'égard de l'environnement. Contrairement aux moulins qui ponctuaient les cours d'eau en quantités innombrables sans perturber les mouvements migratoires, créant de multiples lieux de vie et accroissant la biodiversité, ces grosses usines entraînent de profonds dommages. Elles empêchent les poissons migrateurs de remonter les rivières pour venir y frayer. En modifiant brutalement tout au long de l'année le niveau d'eau et le flux, elles perturbent la faune et la flore qui n'ont plus de repère saisonnier. A Noia, un riverain se promène en observant, comme moi, les oiseaux de la ria qui profitent de la marée basse pour picorer la manne de mollusques et crustacés. - Photo : Partout l'eucalyptus domine, en nombre et en hauteur. -

Il proteste contre l'Europe qui n'a pas accordé de fonds à sa ville pour draguer cet étroit bras de mer où confluent plusieurs rivières. Lorsqu'il s'est marié, cinquante ans auparavant, des bateaux d'un joli tonnage pouvaient remonter assez loin en amont. Désormais, même un homme seul sur une barque est obligé d'en descendre pour la pousser et franchir les bancs de vase ou de sable. Ce qu'il ignore, c'est que l'énorme retenue d'eau sur le rio Tambre (Embalse Barrié de la Maza) en a réduit considérablement la puissance du flux, le barrage lisse l'effet des intempéries en supprimant presque totalement les crues. Du coup, la ria s'envase et s'ensable. L'activité portuaire ne peut désormais perdurer que grâce à de gros travaux d'aménagement, comme nous le constatons à Cedeira qui s'énorgueillit d'équipements tout neufs cofinancés par l'Europe et dont nous n'avons pas, à ma connaissance, l'équivalent sur la côte basque : une digue, une usine de froid (entrepôt frigorifique, conditionnement en surgelés ou congelés ?), des locaux pour le matériel de pêche et pour que les pêcheurs se changent. La désertification des campagnes avec pour corollaire la concentration des populations dans les villes a pour conséquence le développement d'activités gourmandes en énergie et onéreuses pour la société. A ce titre, l'agglomération de Ferrol que nous traversons rapidement en bus nous paraît exemplaire. Elle encadre une ria étroite et longue qui a dû être un biotope extraordinaire. Celui-ci a été entièrement détruit en développant un port aux équipements démesurés. Il se prolonge à l'intérieur en une banlieue artisanale et industrielle qui s'étale comme une lèpre, avec des bâtiments d'une laideur navrante. Le centre ville d'une densité effrayante est à l'avenant : il se compose d'immeubles affreux qui créent un lieu de vie cauchemardesque. - Photo : Des fonds européens pour compenser l'envasement des rias dû à la présence de barrages sur les rivières et permettre l'accès aux bateaux de tonnage important pour la pêche et le commerce maritime. -

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