Quel bonheur de voir enfin, cette saison, un épisode brillamment écrit et interprété par William Davis, alias CSM (L'Homme à la Cigarette) !
Quelle intelligence et quelle finesse dans cette histoire écrite par l'acteur qui nous en apprend plus sur son personnage (imaginé et jalousement gardé par Chris Carter !) dont sept saisons de mystères tous plus épais voire contradictoires les uns que les autres avaient un peu brouillé l'image.
Dès le début des X-Files, Chris Carter avait déclaré que CSM était le Diable ; il fallait le prendre au pied de la lettre et dans son sens biblique. Cet épisode génial nous le prouve de la plus belle manière.
1°) Le séducteur :
Voilà un homme malade et vieillissant qui réussit le tour de force d'emmener Scully en voyage, de l'inviter au restaurant et de lui offrir une robe de soirée dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne laisse rien ignorer de ses "atouts" physiques !
Mais le plus fort c'est que Scully identifie bel et bien CSM comme LE menteur, LE mystificateur, bref LE tentateur en personne : son éducation catholique lui a appris à reconnaître le visage du Mal même quand il prend l'apparence du Bien.
Mais si le Christ lui-même sut repousser la tentation au désert ou sur la croix à la veille de sa mort (car qui suggéra à Jésus de demander à son Père d'éloigner le "calice", sinon Satan ?), Scully n'est pas aussi vertueuse ; la perspective de détenir ni plus ni moins que le secret de la vie éternelle brise sa résistance. La similitude avec le Docteuyr Faust se fait plus évidente lorsqu'elle songe presque à un pacte :
Or dans la Bible, l'arme la plus efficace du Tentateur est toujours l'illusion qu'il donne que sa "victime" deviendra l'égale de Dieu : omnisciente, omnipotente et immortelle. |
2°) L'ange déchu du Paradis :
La Genèse et l'Apocalypse consacrent une place à part à Lucifer, l'un des anges célestes les plus proches de Dieu, qui, par orgueil (pêché capital envers le très jaloux Jehova), voulut égaler son "protecteur" et s'arroger le droit de décider ce qui est bien ou mal ; il fut puni et chassé du Paradis, mais il garda ses attributs divins (ou angéliques), c'est-à-dire ses "pouvoirs magiques" et ses connaissances sur-humaines. Le lieu de son exil fut l'Enfer et la Terre dont les occupants devinrent l'enjeu d'une gigantesque partie de poker entre le Bien et le Mal.
Or, Lucifer, qui n'est pas la moitié d'un imbécile, comprit vite que l'Homme n'attendait que deux choses de l'existence : ne pas souffrir et ne pas avoir peur. Et comme il ne possède la solution ni à l'un ni à l'autre de ses problèmes, il est prêt à s'en remettre au premier "mieux-disant" qui passe : c'est ainsi que Lucifer marque ses points !
3°) Le bourreau :
Rappelons, pour mémoire, le dialogue de 3X24 Talitha Cumi entre Jeremiah Smith et CSM :
CSM : (...) Who are you to give them hope ? SMITH : What do you give them ? CSM : I give them happiness and they give us authority. SMITH : The authority to take away their freedom under the guise of democracy. CSM : Men can never be free... because they are weak, corrupt, worthless and restless. The people believe in authority. They've grown tired of waiting for miracle and mystery. Science is their religion. No greater explanation exists for them. (...) |
(...) Qui êtes-vous pour leur donner de l'espoir ? Et vous, que leur donnez-vous ? Je leur donne du bonheur et ils nous donnent l'autorité. L'autorité de leur ôter leur liberté sous couvert de respecter la démocratie. Les hommes ne seront jamais libres, parce qu'ils sont faibles, nuls et agités. Les gens croient en l'autorité. Ils ont fini par se lasser d'attendre miracles et mystères. La science est leur religion. Il n'y a pas de plus grande explication pour eux.(...) |
CSM a maintes fois prouvé qu'il avait droit de vie et de mort sur les êtres humains (Melissa Scully, Bill Mulder, Cassandra et Jeffrey Spender sont morts par SA volonté ; d'autres sont tombés malades et/ou ont été enlevés ; d'autres enfin furent "sauvés"). Il est, au sein du Syndicat (désormais démantelé) l'exécuteur des hautes (ou basses) oeuvres, celui qui fait appliquer la sentence.
Mais William Davis nous révèle aussi une dimension plus positive de son personnage, décidément plus ambivalent qu'il n'y paraît, surtout depuis qu'il approche Scully...
4°) Le serpent et la femme :
Dans le cas présent, CSM rappelle à Scully qu'il peut guérir du cancer (archétype moderne de la maladie incurable) un enfant, une vielle femme de 118 ans, une agent du FBI, bref tout être humain qu'il lui plait de "sauver".
Ce secret de la guérison miraculeuse est bel et bien le plus grand des secrets ; CSM le qualifie de "Graal" de la connaissance. Et cette connaissance , il l'offre à Scully, la scientifique. William Davis nous rejoue la scène du pêché originel ; c'est presque trop beau pour être vrai, mais ce n'est pas si simple ! |
Le véritable détenteur du "secret de la vie éternelle" n'est autre qu'un mystérieux scientifique qui se fait appeler Cobra.
Or, le cobra n'est pas un symbole purement biblique. L'Uraeus provient de la culture égyptienne, où il est un serpent ambivalent représentant à la fois la lumière divine de Ré (le dieu soleil des égyptiens), la fécondité d'Isis et le feu purificateur dont disposait les pharaons. L'informateur Cobra détient donc le pouvoir divin entre ses mains !
CSM est lui aussi un serpent "fécondeur" (voir l'épisode double 2X05 Duane Barry / 2X06 Ascension, où des expériences de grossesse sont menées sur Scully) et c'est donc à DEUX serpents que l'agent du FBI est présentée : quoi de plus normal puisqu'elle est médecin et que le caducée (deux serpents enlacés autour d'un bâton) est son symbole !
Enfin, et la boucle est bouclée, Eve (titre d'un épisode de la première saison - 1X10 Eve) est la première femme et le premier humain qui accède à la Connaissance par l'entremise du Serpent d'Eden.
Tout concourt donc à faire de Scully la détentrice des secrets ultimes de la sagesse de l'humanité (cf. 7X01/02 The Sixth Extinction où elle "découvre" la carte du génome humain).
5°) Les petits "plus" qui font les grands épisodes :
On ne saurait conclure sans évoquer une fois encore le grand talent d'acteur de William Davis. Celui-ci confère à son personnage une dimension humaine qui apporte une profondeur et une justesse de ton idéales : car, bien sûr, CSM n'est qu'un homme ! Il a certes de nombreux attributs "diaboliques" mais il est d'abord un jeune homme passionné et avide d'aventure qui, dans l'immédiat après-guerre, se plonge à corps perdu dans une mission à laquelle il a cessé de croire quarante-trois années plus tard. Et c'est l'acteur, par son jeu sobre et intense, qui nous persuade (et Scully avec nous) de la sincérité de son revirement.
Plus anecdotique mais révélateur du souci de détail dont a fait preuve le réalisateur ici, les costumes échangés par les trois Lone Gunmen lorsqu'ils débarquent chez Mulder : Langly porte un bonnet tribal afro style Frohike, tandis que ce dernier est sapé comme un Byers en costard cravate, lequel porte, en revanche, une tenue négligée comme les affectionne Langly. Cette auto-dérision est la bien venue dans cet épisode au propos plutôt sombre.
Enfin, tirons un nouveau coup de chapeau à Mark Snow pour une musique originale radicalement différente des épisodes habituels. Là où des nappes de synthés (ou de cordes synthétiques) enveloppent et habillent généralement la majorité des séquences d'Aux Frontières du Réel, ici ce sont les cuivres qui annoncent en fanfare le changement de ton, comme les bibliques trompettes firent tomber les murs de Jéricho.
Graal : On se souvient que dans 2X25 Anasazi, Mulder appelait le dossier MJ (sensé contenir les secrets de l'arrivée des E.T. sur Terre) le "Saint Graal".
Matthieu's commentary |