Episode 9X13 : Improbable

Dieu t'aime © Fox

Quand Chris Carter en personne revient seul aux commandes de SA série, il nous livre un chef d'œuvre télévisuel ! Improbable est le testament esthétique de Carter dans les X-Files. Le CRÉATEUR - incarné dans le personnage sans nom que joue avec beaucoup d'élégance Burt Reynolds - se penche avec tendresse et indulgence sur sa création.
"J'avais", dit Carter, "l'idée un peu folle d'un épisode de X-Files sur Dieu et l'Univers, mais il me manquait le point de départ. Et puis, la même semaine, j'apprends que Burt Reynolds souhaite tourner dans la série, j'entends la magnifique musique de Karl Zéro et j'ai mon accroche : je pense que Dieu raffolerait de ces deux artistes."
DIO TI AMA signifie DIEU T'AIME (en italien).
La Numérologie, pseudo-science dont se réclame Monica Reyes pour résoudre cette énigme, est dérivée de la KABBALE qui est elle-même l’art de coder et/ou décoder un texte, un signe écrit ou une musique, pour en masquer ou en comprendre le sens obscur et caché.
Des mathématiciens comme Pythagore ont dit que les nombres "exprimaient" l’Univers et Saint-Augustin que les nombres permettaient de comprendre les écritures. Autrement dit, les nombres seraient ce que l'homme a trouvé de plus proche du langage de Dieu lui-même. Déchiffrer serait donc une démarche religieuse tendant à comprendre la langue et la volonté de Dieu. Ici, il s'agit des agissements d'un serial killer...

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1°) Un improbable tueur en série :

Le personnage du serial killer est devenu un personnage récurrent - en série ! - des séries. Triste phénomène de société qui effraie la police et la population mais fascine les gens du spectacle (presse audio-visuelle et cinéma), le serial killer reste pour l'homme de la rue l'incarnation du Mal Absolu et inexplicable. Seuls les psychologues criminologistes - les profile(u)rs - ont acquis une certaine science du comportement de ces criminels multirécidivistes.
Or, le seul fait patent qui les caractérise est la série. D'où la tentation de voir une logique - consciente ou inconsciente, humaine ou sur-humaine - à l'origine de leurs agissements. Le tueur en série devient la "clé" quasi kabbalistique de la Volonté divine. Le tueur dans les séries reflète l'éternelle interrogation de l'homme sur les impénétrables voies du Seigneur.
Comprendre pourquoi un homme agit de façon aussi odieuse c'est approcher le mystère de la Prédestination. La question répétée à longueur de séries est : Dieu choisit-il certaines personnes pour leur imposer des épreuves et/ou des tentations ? Ou bien l'homme est-il seul responsable de ses actes ?
Le tueur de Improbable a une personnalité si falote que le spectateur se demande en effet quelle est sa part de responsabilité dans l'accomplissement de ses actes. Le fait qu'il fume des Morley lui confère bien une parenté avec feu (?) le CSM, mais son regard est si vide que l'on s'interroge sur le niveau de son QI. Alors que M. Burt - l'homme sans nom en chemisette bleue (Burt Reynolds) - lui pétille de malice et d'intelligence !

Et comme toujours dans les bons épisodes de X-Files, la réponse au "pourquoi ?" n'est pas univoque. Les théories de Scully et Reyes sont certes antinomiques, elles n'en sont pas moins toutes deux plausibles voire compatibles. Une Affaire Non Classée c'est finalement une Affaire Non Tranchée. Comme le dit M. Burt au tueur Mad Wayne (Wayne le Cinglé) :

MR. BURT: You know your problem, my friend? It's not the cards. It's playing the hand you were dealt. Plenty of guys get a bad deal. It's all in what you do with it. Tu sais quel est ton problème, mon ami ? Ce ne sont pas les cartes. C'est de jouer la main qu'on t'a donnée. Plein de gens reçoivent une mauvaise main. Tout dépend de ce que tu en fais.

2°) Dieu : un personnage improbable :

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Qui est donc M. Burt, le personnage joué par Burt Reynolds ? Un joueur (cartes, dominos, dames), un chanteur et un beau parleur. Un mystificateur et un prestidigitateur (il joue au bonneteau). Un manipulateur et un plagiaire (il a des centaines de CD copiés dans son coffre). Ni bon ni mauvais, il est toujours au bon endroit au bon moment mais n'intervient pas. En revanche, il tire une carte d'un paquet (as de pique) ou un domino d'une série (six-zéro) et le cours des événements en est (peut-être) changé.
Car tout est justement dans cette ambiguïté : a-t-il ou non une influence sur ce qui arrive ? Est-il témoin ou acteur de ce drame ? Einstein a dit "Dieu ne joue pas au dé" et Mallarmé avait écrit avant lui "jamais un coup de dés n'abolira le hasard". Il est évident que Chris Carter se situe entre les deux. Dans Improbable, il n'y a ni déterminisme absolu comme le suggérait Einstein ni libre arbitre absolu comme l'aurait voulu Mallarmé.
Voici un échantillon emblématique de la vision "cartérienne" de Dieu jouant-à-regarder-jouer les hommes :

REYES: What if we're his next victims?
MR. BURT: You?
REYES: The seventh victim was a blond.
MR. BURT: But neither of you are blondes.
REYES: He kills in threes. Blond, redhead, brunette. The next victims will be a redhead and a brunette.
MR. BURT: Amazing-- from a game of checkers.
(SCULLY looks suspiciously at MR. BURT. She suddenly pulls her gun out on him.)
SCULLY: Who are you?
MR. BURT: Obviously someone you are very lucky to have run into.
SCULLY: No. No. You're part of this.
MR. BURT: How do you figure that?
REYES: No, it's all in the numbers. It makes perfect sense. The numbers led us to the killer the killer led us to the garage and now all we've done is recognize the killer's real serial pattern.
MR. BURT: So you're saying I didn't have anything to do with it.
SCULLY: Hey, keep your hands up.
MR. BURT: Why?
SCULLY: I don't know.
(SCULLY puts her gun down. MR. BURT puts his hands down now.)
MR. BURT: What's this about numbers?
SCULLY: (raises her gun on him again) Will you just... ?
MR. BURT: I'm very good with numbers.
(SCULLY puts her gun down.)
REYES: The killer is driven by an impulse we believe is numerological.
MR. BURT: Of course. He's a serial killer.
SCULLY: No, that's not what she means. She thinks that his acts are determined by a calculation of numbers.
MR. BURT: So the killer's not in control of his actions the numbers are?
REYES: Yes.
MR. BURT: Well, are the numbers helping you catch him or are they helping him not get caught?
REYES: That's a good question.
MR. BURT: So, it's a kind of a game.
SCULLY: No, it's not.
REYES: No, maybe it is. Maybe that's what this is about-- who wins the game.
MR. BURT: I think she's onto something.
SCULLY: Agent Reyes, you can't reduce a complex factor as physical and psychological into a game.
REYES: You're a scientist, Agent Scully. Your world is ruled by numbers: Atoms, molecules, periodicity.
MR. BURT: Wow!
REYES: And wouldn't it follow that everything made from those things is ruled by numbers, too: Genes, chromosomes, us, the universe.
MR. BURT: Go, girl.
SCULLY: Agent Reyes, that is utter nonsense, okay? It would mean that all we are are checkers on a checkerboard being moved around by some forces completely outside and unbeknownst to us.
REYES: What did Einstein say?
MR. BURT: Einstein-- now there's a winner.
REYES: "God does not play dice with the universe."
SCULLY: Nor does he play checkers. Look, Agent Reyes, you can't reduce all of life all creation, every piece of art architecture, music, literature into a game of win or lose.
REYES: Why not? Maybe the winners are those who play the game better; those who see the patterns and connections like we're doing right now.
MR. BURT: (snaps his fingers) Free will.
REYES: (realizing now) Maybe we're not the next victims. Maybe we're here because we saw the numbers and read the patterns and we're here to catch the killer.
SCULLY: But the killer is outside, killing ... and we are stuck in a parking garage.
REYES: What if he's not? What if we didn't look hard enough? What if the killer's still down here?
(REYES draws her weapon. A shadowy figure lurking behind a car withdraws quickly into the shadows. SCULLY looks perturbed. MR. BURT smiles.)

Et si nous étions ses prochaines victimes ?
Vous ?
La septième victime était blonde.
Mais aucune de vous deux n'est blonde !
Il tue par trois. Une blonde, une rousse, une brune. Les prochaines victimes seront une rousse et une brune.
Étonnant ! Tirer tout ça d'un jeu de dames !
(Scully le regarde d'un air suspicieux. Elle pointe soudain son arme sur lui.)
Qui êtes-vous ?
Manifestement quelqu'un sur qui vous avez eu la chance de tomber.
Non non. Vous êtes impliqué là-dedans.
Comment ça ?
Non, tout est dans les nombres. C'est parfaitement clair. Les nombres nous ont conduites au tueur, le tueur au garage et maintenant tout ce que nous avons à faire c'est de le véritable schéma sériel du tueur.
Alors vous dites que je n'ai rien à voir dans tout ça ?
Hé ! Gardez les mains en l'air !
Pourquoi ?
Je n'en sais rien.
(Scully baisse son arme. Il descend ses mains.)
C'est quoi cette histoire de nombres ?
(Levant à nouveau son arme vers lui.) Allez-vous vous...
Je suis très fort avec les nombres.
(Scully rebaisse son arme.)
Le tueur est guidé par une pulsion que nous croyons être numérologique.
Évidemment puisqu'il est un tueur en série.
Non. Ce n'est pas ce qu'elle voulait dire. Elle pense que ses actes sont déterminés par une combinaison numérique.
Alors ce ne serait pas le tueur qui contrôlerait ses actes mais les nombres ?
Oui.
Et les nombres vont vous aider à l'attraper ou l'aider à vous échapper ?
C'est bonne question.
Donc il s'agit d'une sorte de jeu.
Non pas du tout.
Si peut-être bien. Peut-être qu'il s'agit bien de cela : qui va gagner la partie.
Je crois qu'elle tient quelque chose là.
Agent Reyes, vous ne pouvez pas réduire à u jeu un phénomène physique et psychologique aussi complexe.
Vous êtes une scientifique Agent Scully. Votre monde est régi par les nombres : atomes, molécules, périodicité.
Ouah !
Ne découle-t-il pas que tout ce qui est fait des ces éléments est aussi régi par les nombres : les gènes, les chromosomes, nous, l'Univers ?
Vas-y gamine !
Agent Reyes, c'est du pur non-sens, OK ? Ça voudrait dire que nous ne sommes que des pions déplacés sur un plateau de jeu par des forces extérieures qui nous sont inconnues.
Et qu'a dit Einstein ?
Einstein ! Ça c'est un battant !
"Dieu ne joue pas aux dés avec l'Univers."
Et Il ne joue pas aux dames non plus. Écoutez, Agent Reyes, vous ne pouvez pas réduire toute la vie, toute la Création, chaque oeuvre d'art, d'architecture, de musique, de littérature à jeu de qui perd gagne.
Et pourquoi pas ? Peut-être que les gagnants sont ceux qui jouent mieux, ceux qui distinguent les schémas et les liaisons comme nous le faisons en ce moment.
(Claquant dans ses doigts.) Le libre arbitre !
(Comprenant tout à coup) Peut-être que nous ne sommes pas les prochaines victimes. Peut-être que nous sommes ici parce que nous avons reconnu les nombres et que devons attraper le tueur.
Mais le tueur est dehors, en train de tuer... et nous sommes coincés dans ce parking.
Et s'il n'était pas dehors ? Et si nous n'avions pas bien fait le tour ? Et s'il était encore ici ?
(Reyes sort son arme. Une silhouette épiant derrière une voiture s'éclipse rapidement dans l'ombre. Scully a l'air perturbée. M. Burt sourit.)

Malgré son apparente légèreté saugrenue, ce dialogue retrace, avec humour, les querelles religieuses du Moyen-Âge qui opposèrent les partisans du déterminisme divin (catholiques) aux tenants du libre arbitre (luthériens). Les premiers voyaient Dieu dans toute chose, le monde étant une création divine que l'homme avait pour tâche de déchiffrer ; les seconds défendaient l'idée que l'homme est toujours libre de choisir et d'agir, qu'il n'est pas prédestiné.
C'est cette option que défend semble-t-il Chris Carter par la bouche de M. Burt. Dans cette grande scène du garage, M. Burt n'intervient pas, MAIS il est là du début à la fin et PROPOSE aux personnes présentes (Scully, Reyes et le tueur, tapi dans l'ombre) de JOUER aux dames. Comme le devine confusément Monica, chacun est LIBRE d'accepter l'offre, mais seules celles qui sauront bien jouer gagneront la partie. Refuser de jouer avec M. Burt peut donc s'avérer fatal !
Cependant, le jeu "burtien" n'est pas un marché de dupes. Si la vie des passants n'est pas menacée - pas encore en jeu (!) - ils sont conviés à une partie de bonneteau (opposition arnaque contre argent facile à gagner) ou de dominos (opposition hasard du tirage contre stratégie du joueur) ; mais lorsque Scully et Monica risquent leur vie, il propose un jeu (les dames) où n'entre aucun hasard. Un plateau symétrique, un nombre égal de pion, des règles si simple qu'un enfant les comprend en cinq minutes, telles sont les Dames, véritable métaphore de la Vie selon Carter ; un jeu dont les règles sont élémentaires et qui offre une infinité de combinaisons...

3°) The X-Files TV series : une improbable vision du monde :

Dans Improbable, M. Burt regarde le Monde en souriant et Chris Carter explore sa propre Weltanschauung, sa vision philosophique du monde. Cette interrogation est aussi une réflexion esthétique du créateur sur sa propre création. A l'instar de M. Burt, Carter aura été à la fois l'instigateur, le grand architecte et le catalyseur des X-Files. Puis, en laissant d'autres scénaristes s'emparer de sa création, il en est aussi devenu un spectateur certes omniprésent mais extérieur. Son univers s'est développé sous ses yeux, des enchaînements se sont créés sans lui, tels les dominos qui tombent en cascade sur la table de M. Burt.

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Le monde selon Carter est donc pourvu d'une orientation générale - comme les règles du jeu de dames - mais pas d'un schéma prédéterminé ; ainsi, la série n'a-t-elle jamais suivi de "bible" écrite à l'avance (sauf la saison 5 qui devait conduire aux événements racontés dans le film Fight The Future). En bon démiurge, Carter a voulu un univers, comme le Dieu de la Genèse a voulu le Monde tel qu'il est ; mais ensuite ses créatures ont "cru et multiplié" sans qu'il n'ait à intervenir.

Cet épisode nous brosse en 42 minutes le tableau d'un monde où l'on chante (plusieurs scènes), danse (avant dernière scène), travaille (les ouvriers tapant en rythme), joue (aux cartes, aux dominos, aux dames et la comédie), bâtit des villes (ultime plan aérien), procrée (William), etc.
Dans ce monde, certains croient en la présence d'un force suprême dictant les lois de l'univers (Mulder, Reyes), quelques autres les constatent à leur corps défendant (Scully, Doggett), d'autres enfin les refusent (le tueur, les agents du FBI local). Quant à M. Burt, il se contente d'être là, d'exister sous le regard (improbable) de tous et parfois, il offre en souriant l'opportunité de jouer avec lui, ce qui n'est que la version "cartérienne" de la grâce divine. Quand Burt Reynolds, tel une bonne fée se penche sur votre berceau, ne laissez pas passer votre chance ;o))

Improbable est aussi le manifeste/testament esthétique de Chris Carter. Son dernier opus mêle tous les arts nobles (peinture, sculpture, architecture, danse, chant, théâtre, poésie) en un tourbillon éblouissant de virtuosité dissimulé sous une légèreté et une désinvolture teintée d'auto-ironie. L'œuvre ambitieuse - parler de Dieu et de l'univers - se mue en un hymne à la vie.
Le caractère décousu (improbable) de cette histoire n'est qu'un condensé de toute la série donc certaines incohérences ont fait gloser d'innombrables x-philes au cours des saisons. Si vous n'avez rien compris à cet épisode, tant mieux ! Bienvenue dans l'Univers des X-Files !

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De retour chez elle, Scully téléphone à Monica pour savoir :

REYES: Hello?
SCULLY: All right, I need to know.
REYES: What?
SCULLY: What my numerology is, and what my number ... whatever you call it. What am I?
(REYES smiles at the curiosity.)
REYES: You're a nine.
SCULLY: Which means what?
REYES: Nine is completion. You've evolved through the experiences of all the other numbers to a spiritual realization that this life is only part of a larger whole.
(SCULLY sits silently. She's really affected by this.)
REYES: Dana, are you there?
SCULLY: There's something else that's bugging me.
REYES: What's that?
SCULLY: Who was that man?
REYES: God knows.
Bon. J'ai besoin de savoir.
Quoi ?
Quel est ma numérologie, mon nombre... peu importe comment vous appelez ça. Que suis-je ?
(Reyes sourit de sa curiosité.)
Vous êtes un neuf.
Ce qui veut dire quoi ?
Neuf est l'accomplissement. Vous avez évolué par toutes les expériences de tous les autres nombres pour aboutir à la réalisation spirituelle que cette vie n'est qu'une partie d'un tout plus grand.
(Scully reste silencieuse. Elle est troublée par cette révélation.)
Dana, vous êtes là ?
Il y a autre chose qui me chagrine.
Qu'est-ce que c'est ?
Qui était cet homme ?
Dieu seul le sait.

Ce n'est ni la première (cf. déjà 1X12 Beyond The Sea/Le Message ) ni la dernière fois que Scully veut savoir l'inconnaissable. D'ailleurs, 9X19/20 The Truth/La Vérité reprendra - sur un mode beaucoup plus dramatique - le même thème...

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Note de Matthieu :

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Il en est aussi devenu un spectateur : Je ne peux m'empêcher, à la vue de cet épisode, d'entendre raisonner "je ne suis pas une numéro, je suis un homme libre". The X-Files, ou l'histoire d'un homme devenu prisonnier d'un monde qu'il avait lui-même créé. Ainsi, Carter , en abandonnant son "bébé" à d'autres plumes ou d'autres intérêts, s'est retrouvé piégé par sa propre série, contraint d'y réinsuffler artificiellement une ambiance qu'il avait mis six ans à bâtir. Improbable constitue son ultime évasion, prouvant que c'est quand il s'échappe des X-Files que Carter est le meilleur (cf. 6X03 Triangle ; 6X06 How the ghosts stole Christmas / Les amants maudits).

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