Journal imaginaire d’une jeune femme pleine
d’illusions
Au départ de la vie, j’étais une petite fille qui
rêvait du prince charmant. L’adolescence est venue,
avec mes espoirs d’histoires d’amour douces et
pures. Et puis j’ai rencontré un jeune homme. Il
était gentil et moi je voulais lui faire plaisir. Nous nous
sommes même fiancés. Dans mes rêves, il n’y avait pas
de sexe, seulement de l’amour. Alors, quand
j’étais dans les bras de mon amoureux, je me
blottissais contre lui, j’aimais qu’il passe sa
main dans mes cheveux qu’il me caresse doucement.
Nous nous embrassions, et parfois sa main passait sous mes
vêtements. J’aimais cela, ces sensations qui me
donnaient des frissons, comme des petites décharges
électriques. Moi, ça me suffisait. Maintenant que je voyais
ma vie avec lui, il fallait construire notre foyer, notre
avenir. Il fallait de l’argent, un travail, pour
partir de chez nos parents respectifs. Le chemin était
tracé, trouver un emploi, ne pas faire de dettes, mettre de
coté les économies nécessaires pour payer les premiers
loyers et de quoi meubler notre nid. Ensuite il me
demanderait en mariage, et une fois bien installé, il me
ferait un enfant…
Je ne sais pas quand les choses ont dérapé, mais rien de
tout ceci ne s’est produit. Nous avons trouvé chacun
un travail, mais lui, il dépensait tout son argent. Bien
sûr, il m’offrait plein de cadeaux, des choses dont
je n’avais pas besoin, mais comment refuser un
présent. Et parfois, il n’avait pas assez
d’argent alors il me demandait de l’aider. Nous
étions un couple, je devais l’aider, c’est
normal d’affronter les épreuves ensemble ; même
si c’était lui qui les provoquait.
Et puis il y avait le sexe. Moi je voulais attendre le
mariage, mais il y avait les copains, et les copines. Je
voyais bien que ça ne lui suffisait pas les caresses, alors
je suis allez plus loin parce que je l’aimais et que
je voulais tout lui donner. Je n’étais plus rien sans
lui. Ça a commencé comme ça, par une fellation, et puis
j’ai fini par lui offrir ma virginité. Nous étions
fiancés, le monde moderne est comme ça, les traditions
appartiennent au passé, et puis le mariage n’était
même pas prévu, alors… Il était content au départ,
et puis le sexe, ça devenait glauque, toujours pareil. Il y
avait de moins en moins de caresses. Je lui donnais mon
corps, pour dix minutes de son plaisir, toujours le même,
en levrette. Parfois on me parle d’orgasme, mais je
ne sais pas si j’en ai déjà eu un, on ne m’a
jamais dit comment ça devait être. J’ai voulu lui
faire plaisir alors j’ai regardé les films
qu’il regardait avec ses copains, les films X !
Là j’ai vu les filles, ce qu’elles faisaient.
J’ai compris que je ne faisais rien de tout ça. Alors
les fois suivantes, quand je sentais qu’il en avait
envie, je faisais des trucs nouveaux. Mais ça ne durait
qu’un temps. Et un jour, je l’ai surpris avec
une autre fille. En fait, ce n’est pas ce que je
faisais qui n’allait pas, c’était moi tout
simplement, qui n’allais pas, enfin, qui
n’allais plus. Il a essayé de revenir vers moi, pour
me récupérer. Il a voulu se racheter, ou plutôt
m’acheter, avec pleins de cadeaux, qu’il a
fallu que je paie, parce que lui aussi se faisait des
cadeaux.
Un jour, j’en ai eu marre qu’il se moque de moi
et qu’il m’utilise. Je ne voulais plus être à
sa disposition. Alors, je suis partie, j’ai pris mon
appartement, toute seule. Plus personne ne profitait de
moi, mais j’étais seule, c’est le prix à payer.
À mon travail, j’ai rencontré des copines, je suis
sortie avec elles, on s’amusait bien. Un soir,
l’une d’elle s’est retrouvée serrée
contre moi, car on manquait de place. J’ai retrouvé
cette chaleur, ces sensations que j’aimais quand on
me caressait. Je n’ai pas bougé, je voulais que ça
dure toute la nuit comme ça. Elle a dû le sentir. Elle
aussi, elle ne bougeait pas. Parfois elle posait sa main
sur ma cuisse. J’aimais ça. Pour la première fois,
j’avais envie de sexe. Tout me grisait, son parfum,
le contact de sa peau, sa douceur. C’était ça surtout
que j’aimais, la douceur. La soirée s’est
terminée normalement, je suis rentrée chez moi. Mais je me
posais pleins de questions. Ce n’était pas possible
que j’aie envie de sexe avec une femme. Je ne suis
pas une homosexuelle. Une fille, ça va avec un garçon, ce
n’est pas autrement. Je trouverai bien un garçon
doux. Pourtant, j’avais envie d’elle. Le
lendemain, elle me téléphonait, elle voulait venir me voir
chez moi. J’étais perdue entre mon envie d’elle
et mes principes. Je n’avais aucune raison à lui
donner pour qu’elle ne vienne pas. Je ne dormais
plus. Pourquoi avais-je envie d’une fille. Je
regardais les garçons, ça me plaisait. Je me souviens
encore, il y a quelques années, avant que je ne rencontre
celui qui devait être l’homme de ma vie. Je les
trouvais beaux, je LES trouve beaux. Ce n’est pas du
passé, j’aime les garçons.
Le samedi soir de sa visite, j’étais nerveuse, elle
sonnait à la porte et j’ouvrais comme si
j’avais commis un crime. Elle était belle et je la
trouvais merveilleuse. La soirée se déroulait bien, mais ma
nervosité a fini par la faire parler. Elle savait ce qui
n’allait pas et elle m’avouait qu’elle
aussi était nerveuse. Elle est venue près de moi et je me
suis abandonnée à elle. Je crois que c’est là que
j’ai eu mon premier orgasme. Tant de douceur, elle
savait ce que j’aimais, ce n’était pas à sens
unique, c’était un échange, l’une à
l’écoute de l’autre. Nous avons passé la nuit
ensemble. Ma plus belle nuit depuis longtemps, très
longtemps. C’était ça que j’aimais, mais est-ce
que ça voulait dire qu’un homme en était
incapable ? Étais-je condamnée à être une
lesbienne ? Je voyais cela comme une maladie
incurable. Impossible pour moi d’admettre que
j’aimais le sexe avec une fille, et pourtant,
j’aimais ça. Aujourd’hui, je suis toujours
seule, j’ai un chat, lui aussi est très doux.
L’homme de ma vie est toujours dans ma vie, mais de
loin, sauf quand il a besoin d’argent. Les années
passent, je me consacre entièrement à mon travail, comme
ça, je ne pense pas au reste. Peut-être qu’un homme
doux rentrera dans ma vie, mais j’ai peur
qu’ils soient tous pareils. Il y a aussi des femmes
qui croisent ma route de temps en temps, parfois je me
laisse allez, c’est si bon.
Dix
ans ont passé.
J’ai besoin de remettre à jour mon journal.
Mes rêves de petite fille ont fini par se réaliser.
J’ai rencontré un homme formidable, il est doux,
aimant, je suis comblée. Avec lui, je suis tombée enceinte,
d’une petite fille. Elle est née il y a trois ans.
Elle est adorable. Ma vie est redevenue ce que je voulais
qu’elle soit. Dommage que l’homme de ma vie
n’ait pas été le bon dès le départ. Mais si je
reprends mon journal aujourd’hui, c’est pour
parler d’une autre vie. Celle que je garde secrète,
enfin plus ou moins. Il y a deux ans, j’ai revu cette
femme, celle qui a ouvert mes sens, et m’a donné tant
de plaisirs. Avec elle, j’ai commis un adultère. Je
ne sais pas si on peut parler d’adultère. Une femme
qui trompe son mari avec une autre femme. Le dictionnaire
dit que oui…
Je me suis décidée à l’avouer à mon mari.
Bizarrement, ça seule réaction a été de me demander si
j’aimais cette femme, si j’avais des sentiments
pour elle. En fait, je ne m’étais jamais posé la
question. Il est certain que j’ai des
sentiments, mais ils sont liés à l’intimité du
moment. C’est le plaisir sexuel qui m’attire,
c’est même la différence sexuelle que je recherche.
J’aime quand mon mari me fait l’amour, il est
parfait pour un homme, mais c’est différent.
C’est comme la nourriture. Il y a des plats qui sont
divinement bons, mais parfois il y a des mets plus rares
qu’on apprécie encore plus, et pourtant, on ne se
voit pas en manger tous les jours à tous les repas.
C’est sûrement cela qui les rend meilleurs.
Mon mari a compris, mais il m’a demandé pour
l’avenir à être au courant « avant ». Il
était un peu gêné, mais il m’a dit que si je voulais
bien, il aimerait pouvoir me voir durant mes relations
« extraconjugales ». Un comble. C’est moi
qui prends tout le plaisir et c’est lui qui est gêné
de me demander si ça m’embête ! Voilà, je
n’aurai pas vu le conte de fée de mes rêves tourner
ainsi. Pourtant, j’estime avoir de la chance, car
j’aurais pu rester avec un homme qui me considérait
comme un objet sexuel, qu’il aurait fini par
abandonner, j’aurais pu devenir une homosexuelle,
écoeurée par le comportement des hommes, j’aurais pu
aussi finir vieille fille, incapable de choisir entre homme
et femme. J’aurais aussi pu ne pas avoir la chance
d’avoir un mari compréhensif.
D’ailleurs, je me demande comment j’aurais pris
la chose, d’apprendre que mon mari aimait coucher
avec d’autres hommes…
Phyleas - 2006