Coincé ou libéré ?

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À l’origine de l’Homme, le sexe avait pour unique rôle d’assurer la reproduction de l’espèce. On peut se poser la question du plaisir sexuel, mais la réponse est évidente. En libérant certaines substances chimiques dans notre cerveau, en provoquant cette sensation de plaisir durant l’acte sexuel, la nature nous incite à reproduire cette source de bien-être et ainsi favorise la multiplicité des rapports sexuels pour garantir la reproduction. Le système est efficace, puisque notre espèce est toujours présente sur Terre, merci dame Nature !
Avant même le rapport sexuel, nos cinq sens sont mis à contribution pour être réceptifs aux élans de séduction de notre partenaire, ainsi que notre intelligence pour répondre et séduire à notre tour. Rapidement, cette belle intelligence va nous permettre de jouir du plaisir de la sexualité en la dissociant de l’acte de reproduction.
Au début de l’humanité et de ses sociétés, la liberté est totale, mais une société étant comparable à un système autonome, elle s’autorégule en favorisant l’apparition de normes. Des codes comportementaux vont s’établir pour encadrer cette sexualité jusque-là débridée. La pudeur, la morale, la religion vont jusqu’à reléguer le plaisir de la chair au rang de satanisme, et durant plusieurs siècles de dictats, la sexualité va devenir l’un des principaux tabous de notre société. À chaque époque, le sexe va trouver une voix marginale pour s’exprimer, l’argent, les clubs privés vont répondre aux attentes des nombreux amateurs d’interdits. Des cercles spécifiques vont se créer et aborder des thèmes, comme la zoophilie, le sadomasochisme, l’homosexualité. Les personnes, souvent aisées, qui vont pouvoir accéder à ces cercles très fermés vont devoir afficher une vie mondaine pleine de vertus, pour ne rien laisser paraître de leurs déviances une fois la nuit venue et les rideaux tirés. Bien souvent également, ces plaisirs sont réservés à une élite intellectuelle, ce qui nous amène naturellement, à l’accès aux médias.

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Le premier média à avoir traité de sexe est l’écrit, par le texte ou le dessin. Les plus grands auteurs, sous un pseudonyme le plus souvent, ont laissé leur empreinte avec des récits enflammés et plus qu’explicites. N’oublions pas le fameux Kâmasûtra, écrit vers le cinquième siècle. Ensuite, la photo, le cinéma, l’image ont permis de montrer. Ce qui était réservé à l’élite, se démocratise, mais reste toujours tabou, même si la tolérance réintroduit et classifie ce qui est montrable et dans quelles conditions.
Les lieux spécialisés avec pignon sur rue apparaissent, les revues, les films, les videos, il est désormais possible de voir ce qu’on s’interdit de faire. On peut choisir de regarder ou de lire ce qui correspond à nos envies. Il est toujours difficile pour la plupart d’entre nous de faire la démarche d’aller dans une librairie pour acheter une revue XXX, mais je ne connais pas beaucoup de personnes, qui si elles avaient l’occasion de pouvoir consulter une de ces revues sans être vue, ne le feraient pas. Bien sûr, il ne s’agit la plupart du temps que de curiosité liée à l’interdit qui entoure le sexe. Ensuite, de nouvelles technologies ont, à leur tour, été détournées pour servir nos besoins charnels. D’abord le téléphone avec les numéros roses, suivi par le minitel et ses messageries spécialisées.
Le plus amusant, c’est qu’au début du téléphone, il y a eu de nombreux débats de la part des politiques à propos des risques que cela pouvait provoquer. On imaginait que l’épouse modèle, femme au foyer, allait pouvoir accéder au monde de l’adultère avec une grande facilité, alors que son cher mari, lui aussi modèle, se trouvait loin de la maison, en train de gagner le salaire de la famille. Rien ne dit si dans les débats, on parlait des risques liés au fait de mettre de charmante secrétaire à la disposition de ces hommes qui travaillaient si dur (sic) ! Il y a peu, on a de nouveau eu le même genre d’inquiétude avec l’arrivée d’internet et de sa trop grande liberté d’échange.

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Internet introduit une grande nouveauté, il rassemble tous les médias connus et en plus, il permet d’interagir, de se rencontrer virtuellement, il permet même d’avoir une autre identité, voire plusieurs.
Plus besoin de se montrer, ou d’associer son image officielle à ses mœurs, on peut rester chez soi, et devenir celui ou celle qu’on se sent être au fond de son lit. Tous les fantasmes deviennent réalisables, on peut tester, et trouver des partenaires qui partagent les mêmes goûts. On a moins peur, on se sent protégé derrière notre masque, notre pseudonyme. On se prend à vouloir essayer à notre tour, à vouloir explorer cette sexualité, on surfe, on découvre des pratiques bizarres, on se rend compte de l’impressionnante contribution que font les autres, les pages web défilent, les visages ne sont jamais les mêmes. On imagine trouver des photos de personnes payées pour cela, mais on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’amateurs et des gens comme vous et moi. On se demande si notre sexualité n’est pas un peu trop convenable, basique.
À force de grandir dans ce schéma simpliste du papa et de la maman, de découvrir la sexualité avec les films pornos et les magazines en ce disant qu’ils représentent l’excès et la vulgarité, on finit par oublier qu’il y a autre chose entre le missionnaire du samedi soir du couple modèle et le trash du film porno. Certains sites web, certains salons de chat nous refont découvrir le plaisir de la séduction, de l’érotisme, et de fil en aiguille on se laisse aller à l’expérience.
Tout le monde essaye au moins une fois le cybersexe, une grande majorité de ces expériences ne seront pas renouvelées, car on a trop souvent tendance à vouloir les comparer avec nos liaisons charnelles, bien réelles, celle-ci. En fait, le parallèle avec la vie réelle explique pourquoi, on n’est pas satisfait. C’est simplement parce qu’on ne rencontre pas le bon partenaire et que les attentes sont différentes. Nombreux sont ceux qui y trouvent leur compte en considérant qu’il s’agit de masturbation assistée. Et forcément, des hommes, pour la plupart, avilissent leur partenaire, et ne cherchent qu’à satisfaire leur propre plaisir. Les pervers existent partout, surtout sur le net, malheureusement…

Il y a une autre façon d’aborder la sexualité sur internet, c’est de se dévoiler au grand jour et de jouer la carte de la franchise. Il s’agit de blog, ou de site perso, qui ressemblent à un journal intime, où l’on peut trouver des photos, des vidéos, des fantasmes, les récits croustillants d’expériences personnelles. Il y a ce besoin de partager, et de trouver des lecteurs pouvant partager leur vision de l’érotisme et de la sexualité.
Cette transparence pose un paradoxe intéressant, d’une part, l’expression de son impudeur dresse dans « le monde réel » un obstacle quasiment infranchissable à la communication (car l’impudeur enfreint les règles de la sociabilité, de la bonne conduite, des bonnes mœurs, et elle tend à entraver la fluidité des échanges) alors que, d’autre part, à l’inverse, le dévoilement de sa propre intimité peut constituer sur internet, un moyen d’établir le contact et d’entamer le dialogue avec des personnes qui n’y perçoivent aucun dérapage. On aurait envie de dire qu’on a une double vie, une réelle, où la pudeur est de mise et une autre, « virtuelle » où les barrières tombent. En fait, il n’en est rien, il n’y a pas deux vies, car les expériences menées dans les deux environnements profitent à la même personne et en fin de compte, les obstacles éliminés virtuellement, le sont peu à peu également dans la vie réelle.

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Pourquoi vouloir explorer sa sexualité, n’est-elle pas suffisante comme cela ?

Quel est l’intérêt de vouloir s’extérioriser ?

Chacun vit sa sexualité comme il l’entend, mais j’ai une nature créative et curieuse. Je ne m’imagine pas me satisfaire de ce que j’ai, alors qu’il y a peut-être un potentiel formidable qui sommeille en moi. Comment savoir ce que j’aime ou non, si je n’y goûte pas ? Un jour sur une plage, je me suis rendu compte que j’aimais ressentir la chaleur du soleil sur ma peau et être caressé par le vent, mais que mon maillot de bain me serrait et me gênait. J’ai recherché une plage naturiste et j’y ai pris goût. Suis-je un pervers pour autant ? Je ne crois pas, j’aime simplement être nu pour bronzer, peu importe si on me regarde, ma démarche n’est pas de me montrer, c’est simplement une démarche « sensuelle » vis-à-vis du soleil et du vent. Le sexe passe par les cinq sens, il est donc normal pour moi d’attacher de l’importance à mon apparence, à ce que je dis, à ce que j’aime entendre, à ce que je mange, et aux matières qui m’entourent. Quand on dit sexe, on pense organes génitaux, mais c’est avant tout de la sensualité, une certaine culture du plaisir.
Récemment, j’ai demandé à une amie rencontrée sur le net, ce qu’elle pensait d’une série de photo érotique de ma personne. Plus particulièrement, je lui ai demandé si cela provoquait un certain désir. Elle m’a répondu oui, mais ce n’était pas moi l’objet de son désir. En fait, en me voyant sur ces photos, elle imaginait son compagnon dans la même situation en train de se faire prendre en photo, et cette vision a provoqué du désir en elle. Je n’ai pas de meilleur exemple pour expliquer ma démarche.
Est-ce que cela fait de moi un meilleur amant ? Je ne sais pas, mais ma libido ne s’en porte que mieux et il est sûr que les échanges que je peux avoir sur le net enrichissent mon potentiel sexuel.

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Un deuxième aspect de cette exploration des sens et de la sexualité, est de voir si elle est la même pour tous. En dialoguant et en comparant mes points de vue, je peux découvrir et comprendre d’autres sensibilités. L’avantage de pouvoir dialoguer avec plusieurs personnes de milieux et d’ages différents, c’est que l’on peut aborder un même sujet avec un vécu différent à chaque fois. J’éprouve une certaine fascination en voyant le comportement global des gens vis-à-vis du sexe, les préjugés imbéciles, la méconnaissance, les partis pris sur ce qu’on ne connaît pas en fait.
Il y a un réel obscurantisme autour de la sexualité, provoquant par ce manque de dialogue, des déviances aux conséquences dramatiques. La pédophilie en est un des exemples les plus graves. Je ne prône pas la luxure à tout crin, mais une plus grande ouverture d’esprit et une réelle prise en compte de la sensualité. Combien de couples dialoguent sans retenue sur ce sujet, trop peu à mon avis, il suffit pour s’en convaincre de voir le succès de certains livres comme « Les femmes viennent de Venus et les hommes de Mars ». Plutôt que d’aborder le sujet avec leur partenaire, on préfère suivre les conseils génériques d’un bouquin. C’est déjà un premier pas pour répondre à ses questions, mais bien souvent, ce sont les femmes qui s’y intéressent, plus sensibles à cette sensualité qui leur fait souvent défaut au sein de leur relation. Mais le savoir s’arrête là, et les hommes ne se soucient guère de ce genre de chose, en général, il n’y a que les performances qui comptent pour eux.
La sensualité, l’harmonie, et la beauté, sont l’apanage des femmes, et dans notre société de plus en plus androgyne, où l’on peut voir une féminisation de l’homme, on peut se demander s’il ne serait pas bon de réintroduire un peu de virilité et de testostérone chez les « mâles ». Cette phrase est provocante pour plusieurs personnes, car elle attribue des caractéristiques imposées à chacun des genres. La nature a doté nos physiologies respectives de certaines spécificités, plutôt que de vouloir les gommer, nous devrions être plus à l’écoute de nous-mêmes et de l’autre, faire cette introspection pour découvrir notre part de féminité et de masculinité. Nous ne sommes pas 100% homme ou femme et cela influe sur nos goûts, c’est pour cela qu’il n’y a pas de recettes miracles pour obtenir le Nirvana.
En fait, il y a un chemin : le dialogue, l’apprentissage, la curiosité sont autant d’étapes sur ce parcours. C’est ce que j’ai choisi de faire, et après plusieurs années à lire, apprendre, je suis passé au stade de l’échange, pour m’enrichir de l’expérience des autres, et enfin, j’ai décidé de devenir acteur de ce processus, en offrant ce que j’ai acquis.
Ce que je fais apparaît sûrement comme de l’exhibitionnisme, mais autant, je n’éprouve pas le besoin de me montrer nu, autant l’exhibitionnisme au sens figuré définit mes actes. J’agis en provocateur afin d’aborder un sujet habituellement confidentiel. Je montre qu’il n’y a rien de vulgaire à s’exposer aux regards des autres et que l’érotisme, la sensualité et la sexualité peuvent être abordés sans tabous. Je ne me pose pas en référence de LA sexualité, mais j’émets des réserves au fait que chacun d’entre nous soit parfaitement épanoui et exprime entièrement ses goûts intimes.
Beaucoup se cache derrière le grand paravent de l’intimité, mais avec quelles motivations ? Pour ma part, l’intimité représente la notion de privilège. Lorsque je dévoile mon image, j’accorde ce privilège à ceux que j’invite à me voir. Libre à eux de décliner l’invitation. Pourtant, ils n’auront pas le privilège de découvrir d’autres pans de mon intimité sans que je les y invite.

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Il y a deux termes révélateurs que l’on utilise à propos de la sexualité : coincé et libéré.
Lorsque nous avons une sexualité « libérée », cela signifie-t-il que les autres sont emprisonnés et qu’il reviendrait à dire qu’ils sont « coincés » par des barrières ? Il est certain que la population ne se classe pas en deux catégories, les libérés et les coincés, il s’agit plutôt d’un état d’esprit pour naviguer entre ces deux extrémités. Soit nous prenons le parti de nous satisfaire de nos expériences acquises à une période de notre vie, soit nous faisons le choix d’explorer chaque jour un peu plus ce continent secret.
À quoi bon nous imposer ce manque de liberté quand nous sommes nos propres gardiens ?
Nous avons passé trop de temps dans cette prison de moral et de tabou, et il est compréhensible que certains d’entre-nous ne conçoivent pas la vie autrement, mais, il n’y a aucun mal à vivre le plaisir et pourquoi le garder pour soi alors que pour le partager, il ne nous coûte qu’un peu de courage pour surmonter notre timidité ?

Phyleas - 2006

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