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phase du point paradoxe 3 |
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phase du classement paradoxe 1 |
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Le dessin ci-dessus
représente le mouvement d'une particule microscopique en suspension
dans l'eau. Il a été dessiné d'après les observations
faites en 1912 par le physicien Jean Perrin. À cette époque,
l'existence des atomes n'était pas encore établie de façon
certaine par les scientifiques, et l'observation et l'étude de ce
mouvement brownien ont été décisifs pour prouver la
nature atomique de la matière.
On a tendance aujourd'hui
à l'oublier, mais quand Albert Einstein a débuté sa
carrière l'existence des atomes était encore en question,
et ses premiers travaux ont précisément consisté à
conforter la théorie atomique de Jean Perrin en calculant, d'après
les particularités du mouvement brownien, la masse des atomes et
des molécules, et la valeur du nombre d'Avogado qui est le nombre
de molécules contenues dans une unité standard de matière.
C'est dire combien
le mouvement brownien est important en physique.
Mais voilà,
une fois que les atomes d'un liquide se sont mis à errer ainsi au
hasard, plus rien d'autre d'intéressant ne leur arrive. Tout ce
que l'on peut remarquer, c'est que leur mouvement devient de plus en plus
rapide au fur et à mesure que la température augmente. Mais
c'est vraiment tout ce que l'on peut en dire, car quelque soit sa vitesse,
il garde cette même allure erratique et aléatoire.
Nous allons donc abandonner
les atomes et les molécules qui nous avaient si bien aidé
jusqu'ici, et nous allons chercher une autre manière de considérer
le liquide dont la température augmente.
Pour trouver cette
nouvelle manière, il suffit en fait de se reculer un peu : au lieu
d'avoir le nez collé sur chaque atome, regardons simplement le résultat
d'ensemble du mouvement brownien incessant des atomes qui se mélangent.
Que se passe t'il
en effet quand on chauffe le liquide en un endroit, et que chacune des
molécules s'agite frénétiquement en tous sens selon
son mouvement brownien personnel ? Si on lui laisse suffisamment de temps
il advient que la température de l'eau s'égalise dans tout
le volume, et si on ne lui laisse pas le temps suffisant, l'eau se range
cependant en permanence de telle sorte que l'on trouve toujours une progression
régulière de température entre ses endroits les plus
chauds et ses endroits les plus froids.
Les physiciens appellent
"diffusion" ce mouvement de mélange automatique et en progression
régulière de la température dans un liquide. C'est
exactement le même phénomène qui se produit si l'on
met un colorant dans de l'eau : le colorant se répand régulièrement
et uniformise progressivement la couleur du liquide.
Dans le dessin reproduit
è
[autre fenêtre], est montré sur une courbe comment
varie régulièrement la concentration des particules d'un
colorant qui se répand par diffusion dans un liquide. On peut aussi
bien considérer qu'il représente la répartition de
la température quand un volume de liquide est chauffé à
l'une de ses extrémités. Que l'on considère un colorant
ou la température, le mouvement brownien des molécules mélange
constamment le liquide, de telle sorte que sa couleur ou sa température
varie toujours suivant ce même type de courbe régulière.
Régularité
ici, ne veut pas dire que la concentration du colorant ou la température
baisse partout à la même vitesse. On voit au contraire que
la variation est d'abord rapide, puis qu'elle ralentit de plus en plus
lentement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la source
de colorant ou de la source de chaleur.
Ce qui nous importe
ici ce n'est pas l'allure de cette courbe, ou la formule mathématique
qui sert à la décrire, mais beaucoup plus simplement le fait
qu'il s'agisse d'une courbe régulière, sans à-coups,
sans oscillations, sans bifurcations.
Ce n'est pas l'allure
du déplacement brownien de chaque molécule reproduit un peu
plus haut. Lui, est complètement irrégulier et plein d'à-coups.
Bien évidemment, c'est l'effet de la compensation statistique du
mouvement des milliards de molécules du liquide qui produit cette
égalisation, ce lissage perpétuel de la différence
de température en tous points du liquide.
Il est banal de constater
ce lissage statistique, mais il n'en constitue pas moins un fait nouveau
pour le liquide, un fait qui pour nous est remarquable.
L'augmentation de
température du réseau cristallin nous a fait abandonner un
état initialement bien ordonné, elle nous a montré
une agitation de plus en plus erratique s'en emparer, puis ses atomes finalement
se sont dispersés en tous sens dans un mouvement le plus irrégulier
et le plus imprévisible qui soit imaginable.
Or, nous constatons
maintenant que ce désordre le plus complet au niveau des atomes
débouche, à un autre niveau d'observation, sur une nouvelle
forme d'ordre. Il s'agit bien d'un type d'ordre tout différent,
puisque ce n'est plus un ordre de position que l'on peut résumer
en disant que toutes les positions sont fixes et régulièrement
agencées entre elles, mais c'est un ordre qui cette fois concerne
le rangement, le classement : il y a une progression régulière
de température qui s'établit à tout moment et en tout
endroit dans le liquide. Et jamais le liquide ne cesse de se mélanger
et de se remélanger dans toutes ses parties pour parfaire cette
progression, ou pour la rétablir si elle est dérangée
par un phénomène extérieur.
Ainsi, l'ordre le
plus parfait résulte du désordre le plus absolu, et la stabilité
du classement des vitesses ou du classement des concentrations dans le
liquide est la résultante inévitable de la complète
instabilité de position de chacune de ses parties.
Maintenant que les
atomes ne font plus qu'un mouvement aléatoire qui ne peut plus nous
servir à décrire ce qui se passe de remarquable, nous tenons
donc un nouvel "objet" à observer. Jusqu'ici, nous regardions chaque
atome individuellement et nous observions sa position : est-il fixe ou
en mouvement, en mouvement contraint ou en mouvement libre ? Maintenant
ce ne sont plus des positions (des points) que nous allons observer, mais
c'est l'état du rangement du liquide, la façon dont ses différentes
parties se classent les unes par rapport aux autres : ce classement est-il
continu ou contient-il des coupures brutales ? Est-il toujours graduel
ou des zones qui en perturbent la régularité viennent-elles
s'interposer ?
À cette première étape de la phase du classement, on peut cependant faire valoir que le mouvement brownien qui la caractérise était déjà présent à l’étape précédente où les
molécules, déjà, se dirigeaient en tous sens, selon qu’elles se faisaient très fugitivement et aléatoirement happer par tel ou tel
réseau, puis par un autre. Cependant, nous ne regardions alors que ce qui survenait aux molécules prises individuellement, tandis que, maintenant, nous
prenons du champ et nous considérons le divorce qui apparaît dans le fluide entre ce qui se produit à petite échelle (le désordre complet des vitesses) et ce qui se produit
à grande échelle (l'uniformité statistique des vitesse).
Abandonnons un moment
notre liquide pour revenir à la société occidentale.
À partir de
la seconde moitié du XVIIIème siècle, peut-on observer
de la même façon un reclassement systématique s'y opérer
?
Si l'on considère
que ce siècle a été appelé celui des lumières,
que son enjeu a été de supprimer les privilèges dus
au rang de naissance pour "remettre à plat" toutes les hiérarchies
et déclarer que désormais tous les hommes naissent égaux
en droit, alors oui, on peut bien dire que c'est un gigantesque reclassement
entre tous les humains qui s'est cherché dans toute l'Europe, débouchant
en France sur une révolution brutale et en d'autres pays sur des
révolutions plus en douceur. Ce mouvement de remise en cause des
privilèges de naissance revenait à déclarer que la
société ne laissait pas à chacun sa juste place, qu'elle
était donc "mal rangée", qu'il fallait donner d'avantage
d'importance au classement et reclassement permanent selon le mérite
et l'effort personnel, abandonner le classement immuable selon le seul
rang hérité des ancêtres.
Pour cette période,
la philosophie des lumières et la période révolutionnaire
jouent le même rôle révélateur que le mouvement
de Réforme et Contre-réforme pour le XVIème siècle
: la Réforme réclamait de débloquer l'autonomie de
chacun face au corset des liens sociaux, la Révolution cette fois
réclame de refaire complètement le classement entre personnes,
certaines ayant une place privilégiée imméritée,
d'autres une place injustement défavorisée.
Qu'y a
t'il de paradoxal dans le mouvement brownien ?
Puisque l'effet du
mouvement brownien est de classer statistiquement le fluide de telle sorte
que la vitesse (ou la température ce qui revient au même)
de l'ensemble de ses molécules soit toujours rangée en ordre
bien progressif, il permet que les molécules se suivent toujours
en bon ordre de vitesse. Mais puisque ce classement statistique n'est obtenu
que par le mélange hasardeux perpétuel, le dérangement
perpétuel du classement des molécules entre elles qui ne
cessent de se brasser, il implique donc aussi que les molécules
ne se suivent jamais en bon ordre de vitesse. Dans cette situation donc,
toujours ça
se suit sans se suivre.
Traduction
dans l'art et la musique du paradoxe "ça se suit sans se suivre"
Pour une raison que
nous expliquons ailleurs [ F
voir cette explication] ce n'est qu'à l'étape suivante
de l'évolution de la société que ce paradoxe sera
le paradoxe caractéristique de l'architecture. Il correspond au
fonctionnement de la société occidentale de l'époque
révolutionnaire de la fin du XVIIIème siècle, mais
il ne sera le paradoxe dominant dans l'architecture qu'au cours du XIXème
siècle, dans le style que nous qualifierons pour simplifier et pour
paraphraser Garnier l'architecte de l'opéra de Paris : le style
Napoléon III.
è
architecture deux exemples d'architecture du
milieu du XIXème siècle :
Garnier : l'escalier de l'Opéra de Paris
Labrouste : la salle de lecture de la Bibliothèque Nationale à
Paris
è
musique les expressions
caractéristiques de cet effet
Et l'architecture
de l'époque révolutionnaire ?
Comme indiqué
au début du paragraphe précédent, le paradoxe en jeu
dans l'architecture d'une époque est toujours en retard d'une étape
sur l'évolution des paradoxes en jeu dans la dynamique même
de la société.
La dynamique en cours
avant la période révolutionnaire de la fin du XVIIIème
siècle est celle de la société du début du
XVIIIème siècle, fondée sur le paradoxe "fermé
/ ouvert".
On peut :
è
aller voir l'explication de la cause de cette situation paradoxale
que l'on peut aussi appeler celle du "libre / prisonnier"
car on y est à la fois totalement libre de ses mouvements
et prisonnier en permanence de liens sociaux multiples
è
voir directement des exemples d'architecture de l'époque révolutionnaire
(Boullée : projet d'opéra pour la place du Carrousel à
Paris
et Soane : le Breakfast Parlour du musée Soane de Londres)
dernière mise à jour de ce texte : 18 octobre 2007
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