Tout d’abord, est-ce que le monde, l’univers dans lequel nous vivons, est plein ou vide ? En d’autres termes, quelle est la nature de l’espace au sein duquel évoluent les astres et notre propre Terre ?
a- Un monde plein fini
L’assurance de Descartes de résider dans un monde plein prend
sa source très loin dans le temps. Dans son ‘Poème
de la Nature’ rédigé il y a 2500 ans, le Grec Parménide
d'Elée nous met en garde : nos sens nous trompent, ce que nous percevons
n’est qu’une apparence, derrière laquelle se cache la
réalité qu’il nous faut découvrir par le biais
de la réflexion, de la raison. Ainsi, il décrit un monde,
je le cite, « inengendré et impérissable, universel,
unique, immobile et sans fin… nulle part rien ne fait obstacle à sa
continuité ; tout est plein de l’être… la puissante
nécessité le retient et l’enserre dans les bornes de
ses liens… Son nom est Tout, tout ce que les mortels croient être
en vérité et qu’ils font naître et périr, être
et ne pas être, changer de lieu, muer de couleur. Mais, puisqu’il
est parfait sous une limite extrême, il ressemble à la masse
d’une sphère arrondie de tous côtés, également
distante de son centre en tous points… Ainsi,… il est néanmoins
dans des limites… Mais puisque tout a été nommé lumière
ou nuit, et que, suivant leurs puissances, tout se rapporte à l’une
ou à l’autre, l’univers est à la fois rempli
par la lumière et par la nuit obscure ; elles sont égales
et rien n’est en dehors d’elles… Au milieu de toutes
est la Divinité qui gouverne toutes choses ; elle préside
en tous lieux à l’union des sexes et au douloureux enfantement...
Elle a conçu l’Amour, le premier de tous les dieux… ».
Dans ce monde ordonné si abstrait, uniquement composé de
lumière et d’obscurité, il introduit avec élégance
l’émergence de la vie dans toute sa diversité. Selon
Parménide d’Elée, donc, le monde est plein, cela ne
fait aucun doute.
A cette époque, les Grecs imaginent qu’au-delà de l’épaisseur
d’air qui recouvre la Terre se trouve une substance mystérieuse,
l’éther, à laquelle ils attribuent des qualités
diverses. Quoiqu’il en soit, son existence paraît si certaine
qu’Aristote le présente comme un cinquième élément
composant l’Univers, une sorte d'air plus subtil et plus pur, par
opposition aux quatre Éléments physiques classiques (Terre,
Eau, Air, Feu) qui, traditionnellement, étaient sensés composer
le monde. Pour Aristote non plus, le vide n’existe pas. Cette vision
perdurera bien au-delà de l'Antiquité et sera reprise à la
fois par les métaphysiciens, les alchimistes et les magiciens.
b- Un monde vide infini
Dans tout ce beau concert s’élève une voix d’avis contraire : Démocrite, qui s’accorde avec Parménide sur l’existence d’une réalité cachée, non perceptible par nos sens, prétend, lui, que l’être (l’univers) n’est pas un, mais composé d’innombrables corpuscules (les atomes) qui tourbillonnent dans le vide. Ces mouvements constituent les modifications des choses sensibles, engendrant des mondes périssables, qui croissent et disparaissent, ou bien entrent en collision et se détruisent. Il semble avoir la prémonition des galaxies, nuages intergalactiques et exoplanètes que nous observons aujourd’hui à travers nos télescopes. Sa vision matérialiste de la nature sera très généralement rejetée par la société grecque et ne sera véritablement prise en considération qu’au XXe siècle de notre ère. Pour Démocrite, donc, le vide existe au sein même du monde.
c- Un Monde plein, créé par Dieu
Jusqu’à la Renaissance, le ciel reste inconnu et inaccessible. Mystérieux, considéré comme fondamentalement distinct du monde d’ici-bas, il n’est pas séparé du ciel religieux où résident les dieux et les anges, ni du ciel imaginaire que peuplent la mythologie, les arts, la littérature, la poésie. Au VIIe siècle de notre ère, Isidore de Séville introduit le terme de "microcosme" ou petit monde : au sens allégorique, on peut dire que l’homme est le monde, cosmos en grec, parce qu’il est fait des quatre humeurs comme celui-ci est formé des quatre éléments. Cette pensée se développe durant l’Antiquité et le Moyen Âge, qui l’incorpore au christianisme. La médecine et l'astrologie reflètent la manière dont le ciel s'inscrit dans l'homme, influençant ses humeurs et sa destinée.
d- Un Monde plein infini
Dans cette lignée, Giordano Bruno considère l’espace comme un corps vivant, dont l’âme se manifeste dans toutes ses parties. Sa pensée opère précisément la fusion des questions concernant l’homme et celles concernant l’univers. Evoluant par rapport à Copernic, il abolit la sphère des étoiles fixes et décrit l’espace immense parsemé d'étoiles à l’infini. Pour la première fois dans l'histoire de la pensée humaine, le ciel acquiert une profondeur. Plus exactement, c'est la notion même de ciel qui s'évanouit, pour laisser place à celle d'espace, homogène, c'est-à-dire identique à lui-même dans toutes les directions.
e- Les plénistes
René Descartes (1596-1650) nie l'existence de l'atome comme celle du vide, concepts auxquels il oppose les théories géométriques, réduisant l'espace à une pure et simple étendue, la matière n'étant qu'une modification de sa forme. Il explique que le mouvement des planètes est dû à de grands tourbillons d'éther (matière subtile composée de minuscules globules transparents) qui remplissent l'espace, les emportent et les maintiennent sur leurs trajectoires. On retrouve cette même idée chez Gottfried Wilhelm von Leibniz (1646-1716), contemporain de Newton, lorsqu’il énonce que le mouvement des planètes autour du Soleil est dû à la circulation harmonique d’un éther fluide qui emporterait les astres. Sa métaphysique lui interdit de concevoir un espace vide, car ce serait, dit-il, « attribuer à Dieu une production très imparfaite », un avis partagé par les partisans de Descartes. Roger Cotes, mathématicien anglais proche d’Isaac Newton, désignera cartésiens et leibniziens sous le terme de ‘plénistes’, que l’on retrouve dans le texte de Voltaire lorsqu’il évoque le monde plein.
f- Newton était-il ‘pléniste’ ?
Newton réfute la théorie des tourbillons de Descartes vers 1680, après avoir étudié le mouvement des corps solides et liquides dans les milieux résistants. Il élabore ensuite sa théorie de la gravitation universelle où la force gravitationnelle se transmet instantanément d'un corps à l'autre, sur des distances quelconques et à travers l'espace. Bien que satisfait de l'efficacité de sa théorie, il est gêné à l’idée qu’une force se transmette à travers le vide. Ainsi conçoit-il une « espèce d'esprit très subtil qui pénètre à travers tous les corps solides », ajoutant que « c'est par la force, et l'action de cet esprit que les particules des corps s'attirent mutuellement ». Cet éther est donc le médiateur de l’attraction mais n'y est pas soumis, et semble soustrait aux caractéristiques et principes physiques énoncés dans les Principia. Newton soutient son existence à partir de considérations théologiques, disant que l'espace est le sensorium Dei, l'organe sensoriel de Dieu qui Lui permet de transmettre les influences d'un corps à l'autre.
g- Les propriétés du vide
En lieu et place de l’espace absolu, rigide et immuable de Newton, défini parallèlement à un temps absolu et universel, Einstein instaure un univers fini et cependant non limité, sphérique, compris comme une courbure de l’espace-temps refermé sur lui-même sous l’effet de sa propre masse. Si en 1905, Albert Einstein pense que l'existence de l'éther n'est pas utile pour expliquer la théorie de la relativité, il changera d'avis et le fera savoir tout au long de sa carrière. Le texte le plus représentatif de sa conception est celui d'une conférence faite à l'Université de Leyde le 5 mai 1920, intitulée ‘L'éther et la théorie de la relativité’, dont voici la conclusion. « D'après la théorie de la relativité générale, l'espace est doué de propriétés physiques ; dans ce sens, un éther existe. Son absence est inconcevable, car non seulement la propagation de la lumière y serait impossible, mais il n'y aurait même aucune possibilité d'existence pour les règles et les horloges et par conséquent aussi pour les distances spatio-temporelles dans le sens de la physique. Cet éther ne doit cependant pas être conçu comme étant doué de la propriété qui caractérise les milieux pondérables, c'est-à-dire comme constitué de parties pouvant être suivies dans le temps : la notion de mouvement ne doit pas lui être appliquée. » Au XXIe siècle, les chercheurs découvrent des propriétés déconcertantes du vide (énergie du vide, énergie sombre) qui contribuent à aller dans le sens d’Einstein et renouvellent la notion d'éther.
Introduction - 1/ Le monde plein ou vide - 2/ Les causes du mouvement - 3/ La lumière - 4/ L’âme - 5/ La matière - Conclusion
Exposé de Cathy Constant-Elissagaray devant les membres de l'association Astronomie Côte Basque | Un univers réel ou un monde imaginé ? Sur Descartes et NewtonCommentaire de la 14ème Lettre philosophique de Voltaire |
5 mars 2010 |