a- Origine et nature
Considérons maintenant la
question de la lumière. Son apparition
primordiale, sa nature, son rôle font l’objet des premières
interrogations humaines. Le mythe grec des origines transcrit dans le poème
d’Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.) ‘Théogonie’,
en distingue deux sortes, le jour et l’éther. Elles se fondent
en une seule, dont le rôle se trouve magnifiquement sublimé dans
la doctrine d’Héraclite d’Ephèse (576 av. J.-C.,
480 av. J.-C.) qui ne voit partout que multiplicité et changement.
Rien dans le monde ne demeure un seul instant identique à lui-même
: tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment. C'est ce
qu'il exprime par ces formules demeurées célèbres
: ‘Tout coule’ et ‘on ne se baigne pas deux fois dans
le même fleuve’. Aucune chose n'est à proprement parler
: tout devient, tout passe d'un contraire à l'autre et c'est un
même être, toujours fuyant, qui revêt tour à tour
les formes les plus opposées et fait naître l'harmonie du
monde qui éclate à nos yeux. «Le monde, dit Héraclite,
n'a été créé par aucun des dieux ni par aucun
des humains : il a toujours été, il est et il sera un feu, éternellement
vivant, s'allumant et s'éteignant selon la loi. » Cette force
organisatrice et divine qui anime le monde le gouverne de l’intérieur,
elle est « un feu artiste et raisonnable qui amène méthodiquement
toutes choses à l'être ».
Platon renouvelle ce concept en faisant coïncider la lumière
avec l'idée du Bien, de l'Etre et de la Connaissance et donne
le point de départ à une métaphysique de la lumière.
De plus en plus, la lumière symbolisera Dieu et les ténèbres
le néant dans la pensée grecque tardive et au cours du
Moyen-âge.
b- Propriétés : Réflexion et réfraction
Parallèlement, les penseurs étudient les propriétés de la lumière et le rôle qu’elle joue dans notre perception du monde. C’est par le biais de l’observation de ses interactions avec la matière que la question de sa nature se reposera au deuxième millénaire de notre ère en des termes plus argumentés. La perception est d’abord comprise en supposant que les yeux sont de même nature que la lumière du jour et forment avec elle une substance unique et homogène qui transmet les mouvements jusqu'à l'âme. Une autre hypothèse établit que les objets émettent des particules qui reproduisent leur forme de manière réduite (des simulacres) dans notre oeil. Une troisième hypothèse suppose que c’est notre oeil qui émet un “quid” et permet la vision, ce qu’Aristote juge irrationnel. Il estime que la lumière est une propriété des objets, mais pas un mouvement. Son interprétation fera autorité dans le monde chrétien jusqu'au XVIe siècle à travers les commentaires de St Thomas d'Aquin.
C'est dans le monde musulman du XIe siècle que le problème est posé sous sa forme moderne, en séparant nettement, d’une part, la propagation de la lumière avec ses propriétés de réflexion et diffraction, et d’autre part, la vision des objets. Dans le monde chrétien, l’opinion la plus répandue à la fin du Moyen-âge est que la lumière est une action qui se propage à une vitesse infinie et dont l'intensité, comme un effet de surface, décroît suivant l’inverse du carré de la distance.
c- Propriétés : Vitesse
Cette question de la vitesse de la lumière préoccupe Galilée (1564-1642) qui procède à une petite expérience. Il se place sur une colline avec une lampe couverte. Un de ses élèves se tient avec une lanterne semblable sur une colline voisine. Galilée dévoile sa lanterne et, dès qu’il aperçoit la lumière, son élève en fait autant. Galilée mesure le temps qu'il faut à la lumière pour revenir vers lui : l’expérience n’est pas concluante, mais il juge que, si la vitesse de la lumière a une valeur finie, elle est très grande, et la propagation quasi instantanée à notre échelle. En revanche pour Descartes (1596-1650), la lumière n'est pas un véritable mouvement, mais une «tendance au mouvement», une pression, une action au sein d'un milieu éthéré. Mettant à profit une remarque de Descartes à propos de l’expérience de Galilée, Ole Roemer trouve le premier l'ordre de grandeur de la vitesse de la lumière. Pour ce faire, il utilise les éphémérides des satellites de Jupiter récemment découverts par Galilée, et prédit pour une émersion de Io un retard de 10 minutes par rapport aux calculs, qui sera effectivement constaté.
d- Propriétés : Particule
Dans son ouvrage ”La théorie de l’émission”, Newton suppose que « la lumière est constituée par des grains de nature non précisée lancés à très grande vitesse par l’objet lumineux et qui frappent le fond de l’œil ». Il fait passer la lumière du Soleil à travers des prismes et conclut au caractère composite de la lumière blanche, et à l’inégale réfrangibilité des rayons de couleurs différentes. En 1666, il établit que les couleurs "ne sont pas des qualifications de la lumière provoquées par la réflexion ou la réfraction sur les corps naturels", comme on le croyait jusqu’alors, mais "des propriétés originelles et spécifiques", différentes pour les différents rayons. Il propose une analogie entre les sept notes fondamentales de la gamme musicale et les couleurs primaires (pour cette raison, il ajoute l’orange et l’indigo), et incorpore à sa théorie la périodicité de la lumière, associant chaque couleur à une longueur d’onde. Il préfère toutefois voir en celle-ci des corpuscules de différentes vitesses et ne se prononce pas sur la raison profonde de ce lien. Il hésite, quant à la nature de la lumière, entre une conception purement corpusculaire et une théorie vibratoire de l’éther, puis abandonne cette dernière pour une théorie des "accès de facile réflexion et transmission".
e- Propriétés : onde
Le physicien néerlandais Christiaan Huygens (1629-1695) réfute le modèle de Newton et propose un modèle ondulatoire dans lequel la lumière serait une perturbation d’un milieu, comme le son ou les vagues. Dans l’espace, il suppose que la lumière se propage à travers l’éther. Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que sa théorie soit démontrée. Cependant, l’expérience de Michelson et Morley en 1887 établit que l’éther n’existe pas. La lumière est bel et bien une onde, mais non matérielle, qui correspond à une perturbation du vide lui-même, le vide étant entendu comme une absence de matière, pas d’énergie qui se manifeste sous la forme de champ électromagnétique.
f- Propriétés : particule associée à une onde
Le 14 décembre 1900, Max Planck postule l'idée
originale selon laquelle les échanges d'énergie
entre la lumière
et la matière ne peuvent se faire que par paquets
discontinus, que l'on appellera les quanta. Cette notion
radicalement nouvelle de "lumière
quantique" sera reprise en mars 1905 par Albert Einstein
qui soutiendra que l'énergie de la lumière
est en quelque sorte "granuleuse" en
se basant sur l'effet photoélectrique. Il réunit
les deux conceptions corpusculaire et ondulatoire en établissant
que la fréquence
de la lumière, c’est à dire le nombre
d'oscillations de l'onde lumineuse par seconde, est liée à l'énergie
des photons selon une formule qu’il établit.
Le 20 juin 1905, il met en cause notre conception de l'espace
et du temps dans sa théorie
de la relativité restreinte basée sur le postulat
de la vitesse finie de la lumière, qui constitue une
limite infranchissable pour tout ce qui se meut dans l’univers.
Il la complète en établissant
une correspondance entre la masse et l’énergie
dans sa célèbre
formule E = Mc2, où l’énorme facteur
de conversion est la vitesse de la lumière élevée
au carré.
En 1913, Niels Bohr publie un modèle de la structure
de l'atome, qu’il représente sous la forme d’un
noyau autour duquel gravitent des électrons qui ont
la possibilité de passer
d'une couche à une autre en émettant un quantum
d'énergie
qui sera dénommé en 1926 le photon, d'autant
plus énergétique
et donc de fréquence d'autant plus élevée
que le saut est grand.
À
l'échelle astronomique, la formule E = Mc2 explique ainsi comment
les étoiles, comme le Soleil, peuvent émettre
leur énergie
pendant des dizaines de milliards d'années. Au centre
du Soleil, les conditions physiques sont telles que s'y
produisent des réactions
nucléaires au cours desquelles 4 noyaux d'hydrogène
se transforment en un noyau d'hélium en perdant
une partie de leur masse. L’énergie
qui correspond à cette perte de masse est celle émise
par le Soleil. Etant donné l'importance du facteur
de conversion c2 et la masse considérable du Soleil,
le calcul montre que l'énergie
libérée permet à notre étoile
de briller pendant une bonne douzaine de milliards d'années,
dont il lui reste la moitié à « vivre ».
Pour
clore cette troisième partie, voici une métaphore
qui peut nous éclairer sur les propriétés
antinomiques de la lumière. Considérons un
cylindre, dont nous observons les projections sur deux
plans orthogonaux. La projection dans l’axe
du cylindre est un cercle, alors que dans le plan perpendiculaire,
c’est
un rectangle. Pourtant le cylindre n'est ni l'un ni l'autre,
et il apparaît
incongru d’affirmer qu’il possède les
propriétés
de l’un et de l’autre. C’est pourtant
ce que l’on
dit de la lumière, qui possède tour à tour
les propriétés
d’une particule ou d’une onde. Ces propriétés
que nous constatons effectivement seraient l’indice
d'une entité plus
complexe que nous n’arrivons pas à conceptualiser
ni à nous
représenter. Ceci pose un problème philosophique
très
troublant : la réalité objective (si elle
existe indépendamment
de l'esprit humain) est-elle accessible ? Ou sommes-nous
condamnés à n'observer
qu'un monde d'apparences trompeuses?
Introduction - 1/ Le monde plein ou vide - 2/ Les causes du mouvement - 3/ La lumière - 4/ L’âme - 5/ La matière - Conclusion
Exposé de Cathy Constant-Elissagaray devant les membres de l'association Astronomie Côte Basque | Un univers réel ou un monde imaginé ? |
5 mars 2010 |