Le survivalisme est un mode de vie qui nécessite de construire une pensée très solide avant d’agir, sans quoi il peut devenir la source d’incohérences et de désaccords entre les survivalistes eux-mêmes.

Anti-système à bien des égards, la mouvance survivaliste est, par exemple, gangrénée par le consumérisme. Ce qui devrait être un mode de vie basé sur la préparation et la débrouillardise peut dériver rapidement vers l’accumulation de biens de consommation, paradoxalement tous destinés à la survie.



Le survivalisme est devenu la cible de bon nombres d’opportunismes commerciaux, à commencer par les livres et guides de survie qui foisonnent sur les catalogues en ligne. L’existence de ces oeuvres, vendues au prix fort, contrastent avec le partage de connaissances désintéressé qui a fait la force des communautés survivalistes, très présentes sur les réseaux sociaux.

Sur Internet, certains blogueurs et youtubeurs n’hésitent pas à exhiber leurs dernières acquisitions - couteaux dernier cri, armes à feu, matériel de survie en tout genre - en se faisant volontairement l’écho des grandes marques du secteur. Kurt Saxon lui-même, en bon opportuniste plus qu’en précurseur idéologique, avait pris le parti de faire du survivalisme un gagne-pain excessivement lucratif : les deux DVDs (parodiés par l’humoriste Bob Mills) se vendent encore 150 dollars.

L'aventure entrepreneuriale de Denis Tribaudeau



Denis Tribaudeau a pris conscience très tôt de l’émergence d’un marché autour de la survie. Également auteur d’un livre, il a décidé d’y imposer une vision moins matérialiste en proposant des stages de survie… ce qui ne l’a pas empêché de réaliser des affaires très profitables. Passé par les Beaux-Arts, ancien designer, il a tout plaqué il y a quelques années pour enseigner les techniques de survie en pleine nature.

Il a depuis réalisé plus de 550 stages d’une durée moyenne de deux jours et est à la tête d’une petite entreprise. Pour 200 euros minimum, son équipe revient sur les fondamentaux de la survie en milieu naturel : faire du feu, s’abriter, trouver de la nourriture et de l’eau.

Rencontré en marge d’un stage « Grand Froid » dans le Jura, le professionnel reconnaît avoir profité d’un marché en plein essor et d’un phénomène de mode mis en avant par les médias. « Des émissions comme Bear Grylls ou Koh-Lanta ont démocratisé le thème de la survie. Même si ce n’est que de la télé, ça a permis de montrer aux gens qu’on pouvait survivre quarante jours sur une plage avec un peu de riz. »

Grâce à ses quatorze collaborateurs, Denis Tribaudeau sous-traite aujourd’hui dans plusieurs pays pour des agences de voyage à la recherche de séjours atypiques à proposer à leurs clients. Plusieurs collectivités territoriales l’ont même mandaté pour des stages de survie. La majorité sont des vacanciers en quête de sensations, des familles ou des baroudeurs qui veulent élargir leur palette de compétences, loin des préoccupations survivalistes.

Mais son aventure entrepreneuriale illustre l’attrait naissant du grand public pour les activités de « retour aux sources » alors que 14% de la population mondiale pense assister à la fin du monde de son vivant.


Autre point de débat chez les survivalistes, et pas des moindres, les velléités paramilitaires de ceux les plus proches de la mouvance libertarienne. Ces derniers s’inspirent pleinement du modèle américain faisant de l’obtention d’armes à feu un passage obligé dans la défense du domicile. En France, l’acquisition d’une arme est légale (à condition de respecter l’obligation de la conserver dans un coffre-fort au domicile) et le port d’armes pour les catégories les plus dangereuses reste interdit.

Mais les influences américaines, littéralement traduites sur YouTube par Vol West (un leader d’opinion très apprécié des survivalistes francophones), font peur tant elles paraissent éloignées de la culture française et européenne sur le sujet. Sur son blog, Vol West, expatrié français du Montana, transformait par exemple le triptique « Fuir, se cacher, alerter » du gouvernement en cas d’attaque terroriste en « Fuir, se cacher, se battre ». Même si le blogueur précisait dans un discours plutôt modéré que les moyens de défense personnelle n’intervenaient qu’en derniers recours, les libertariens européens y ont vu une porte ouverte pour la remise en cause de la législation actuelle sur les armes et de ce qu’il considère « propagande d’état » sur la sécurité.


Pour autant, tous les survivalistes ne se positionnent pas en faveur de lois plus souples. Si la notion de défense personnelle est considérée comme un important moyen de survie dans certaines situations, pour beaucoup de survivalistes elle passe d’abord par l’apprentissage de techniques non-létales comme le Krav Maga, le Systema (une méthode de self-defense russe) ou l’utilisation de bombes au poivre.



Mais alors que le président américain, Barack Obama, espérait le durcissement de la législation américaine, la volonté de certains de vouloir importer ce modèle décrié a eu un fort impact négatif sur l’imaginaire collectif : le stéréotype du survivaliste surarmé est ainsi toujours aussi tenace.
Les médias de masse, trop souvent en quête d’images fortes et de messages simples, n’ont rien fait pour lutter contre ce cliché. Ils ont même contribué à son enracinement en faisant des courants extrêmes la représentation unique du survivalisme européen. Dans la presse, le survivalisme est forcément associé à l’extrême-droite à cause des connexions qui lient le mouvement à des auteurs controversés comme Piero San Giorgio ou Alain de Benoist. Pourtant, les survivalistes que nous avons rencontrés, s’ils ne désapprouvent pas toutes ces références, rejettent l’idée d’être placés sur un échiquier politique.

«Je peux aussi bien être ami avec un bobo de gauche qu’avec un lepéniste.»

«Homme gris» Survivaliste


Reprochant aux journalistes un manque de discernement, certains survivalistes peuvent alors devenir la caricature qu’ils dénoncent et alimenter une défiance, voire une véritable détestation à l’égard des médias traditionnels. Favorisé par l’émergence des survivalistes sur les réseaux sociaux ou sur YouTube, cette défiance peut rapidement devenir virulente. C’est alors un cercle vicieux qui s’enclenche.

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Notre premier contact sur Facebook avec un groupe survivaliste.


Les survivalistes modérés ne sont pas parvenus à enrayer cette mauvaise image, en partie due à une mauvaise communication autour du mouvement. Certes, les survivalistes sont hyperconnectés et utilisent les réseaux sociaux comme un réservoir de techniques et de savoir-faire. Mais c’est un outil qui fonctionne pour beaucoup en vase clos : il permet aux survivalistes de communiquer entre eux, mais pas vers les autres. Par essence discrets, les survivalistes sont souvent réticents à parler de leur mode de vie. Pour Artem et Sienna, ce manque d’ouverture peut nuire au mouvement.