L’histoire du Couvent d’As

La belle histoire du Couvent d’As...

 

En l’an de grâce 1994, un jour de braderie à  Bordeaux, débarquaient les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence pour une procession inaugurale d’un Couvent qui devait prendre le nom d’Atlantique Sud.

Sœur Pillère en fut la Sœur fondeuse. Rapatriée de la capitale, elle choisit de porter la bonne parole de Saint Latex et Saint Gel A Queue sur l’ensemble du Grand Ouest. Pour l’aider, Sœur Héliotrope, alors Novice au Couvent de Paris et résidant à Poitiers, la rejoint. Très vite, deux postulantes (qui devinrent Sœur Frigida et Sœur Vice) vinrent grossir les rangs des cornettes qui firent rapidement partie du paysage gay de la capitale girondine et des acteurs de prévention contre le VIH. De nombreuses actions portèrent nos talons à Pau, à Poitiers, à Tarbes, à Bordeaux bien sûr….

Né de l’imagination de notre bonne mère Pillère, un outil de communication sur le safer-sex naquit dans notre Couvent : un titre techno du nom de Safe Sex Boy qui, d’outil de prévention voulu par le Couvent, failli nous échapper suivant une logique commerciale. Cet épisode conduisit Sœur Pillère à prendre sa retraite.

Une nouvelle ère s’ouvrit pour le Couvent. De nouvelles Sœurs apparurent : Sœur Aphro Dite Luziope, Sœur Effet Mer, Garde Cuisse Techno Trop Niq, Sœur O’Logis, Sœur Caliope

De Gay Pride en action de prévention, nous avons usé nos talons, tournées vers un public de plus en plus réticent aux messages de prévention. Nous avons aussi organisé les premiers séjours de ressourcements destinés aux personnes concernées par le VIH, au bord de l’Océan à Carcans.

Il s’en suivit une période qu’il faut qualifier de dormance pendant laquelle il a fallu combler le vide laissé par notre bonne Pillère et, il faut bien l’avouer, régler quelques soucis internes de motivation. Durant cette période, de nombreuses Sœurs partirent et seules trois d’entre elles restèrent, arrivant très vite au stade du découragement.

Le hasard fit qu’un jour, Sœur Vice rencontra celui qui allait devenir Sœur Sidarta qui su mobiliser et insuffler un renouveau par de nouvelles actions inter-associatives et la définition d’une nouvelle ligne politique dirigeant notre Couvent historiquement axé sur la prévention vers une plus grande militance homosexuelle. Cette renaissance a eu comme parallèle la disparition des Couvents d’Ouil à Nantes et d’Alor à Nancy. Certaines des Sœurs les composant choisirent alors de venir travailler avec nous. Le Couvent s’agrandissant de plus en plus, nos Sœurs sont de plus en plus dispersées : Sœur Sidarta dans les Landes, Sœur O’Logis et Sœur Wel’l à Niort, Sœur Quéquette à Poitiers, Sœur Sida’Naïde à Toulouse, Sœur Vice à Bordeaux et, depuis peu, Sœur Maya à Saint Etienne et Sœur Berthe à Besançon.

De nombreux liens sont tissés avec le milieu associatif local, qu’il soit tourné vers la militance homosexuelle ou vers la lutte contre le VIH, mais aussi avec les autres Couvents de France. Ainsi, nous sommes sollicitées par les Eclaireurs de France pour ouvrir un dialogue avec les jeunes sur l’homosexualité mais nous pouvons aussi être présentes autour d’un couple qui se pacse pour introduire un esprit de spiritualité dans cet événement.

Nous avons manifesté en faveur du mariage homosexuel de Bègles où nous avons entendu les pires horreurs homophobes, nous nous sommes déplacées au G8 à Evian en faveur d’une société plus juste et égalitaire. Depuis peu, le Couvent d’Atlantique Sud est référent vis à vis du Ministère de la Santé pour les séjours de ressourcements.

Même si sur Bordeaux, nos actions et notre présence sont moins importantes, depuis plus de 12 ans les Sœurs veillent toujours sur vous avec Joie, Amour et Paix…

 

Devenir Sœur

 

Beaucoup de personnes nous sollicitent pour savoir si elles peuvent devenir Sœurs. Nous sommes tentées de répondre pourquoi pas ?! Toutefois, la création d’un personnage de Sœur est une chose à la fois simple dans l’acte et compliquée dans ce que cela peut impliquer. Pour notre Association, nous souhaitons qu’il y ait un acte de postulance écrit où il doit être répondu à deux questions : «Que viens-tu chercher et que viens-tu donner ?» Pourquoi ces deux questions ? Tout d’abord et fondamentalement, nous sommes une association ouverte, tournée vers l’extérieur et donc disponible pour les personnes qui ne sont pas membres de l’association. Il est capital que nous ayons des Sœurs ayant résolu l’essentiel des problèmes auxquels elles sont intimement confrontées. Il est donc important de savoir ce que chacun vient chercher. De la même manière, nous ne sommes pas une association où le pouvoir personnel a sa place mais bien un groupe dans le don de nous-mêmes, avec un esprit d’écoute, d’ouverture et de disponibilité. Il est donc important de savoir ce que chacun vient donner. Nous sommes une association de tradition orale et le fait de vouloir devenir Sœur relève d’un parcours initiatique basé sur trois stades bien établis.

A l’issue de la lecture de la lettre de postulance, les Sœurs prennent une décision quant à l’acceptation de prendre comme postulant l’individu qui en fait la demande. Celui qui est accepté se voit confier à une marraine, Sœur confirmée qui va tout au long de sa présence dans l’association, être là pour lui… voire même après et en dehors… Et c’est bien là une des caractéristiques du couvent d’As, où notre volonté est de vraiment former une communauté amicale, affective et solidaire. Comment donner dehors si nous ne sommes pas capables de nous respecter, apprécier et écouter à l’intérieur ? Le stade de Postulant est le temps de la découverte. Il fait partie intégrante du Couvent dont il devient membre. Il accompagne les Sœurs dans leurs actions, il participe aux discussions et peut donner son point de vue. C’est l’occasion pour nous de l’observer, d’apprécier sa personnalité et de voir s’il est capable de porter une cornette. De la même façon, c’est pour le Postulant l’occasion de voir si les actions des Sœurs sont faites pour lui, s’il partage les même valeurs que l’association. A tout moment, il peut partir et à tout moment les Sœurs, par la voix de sa marraine, peuvent lui demander de partir (dans ce cas la décision est motivée).

Au bout d’un certain temps, variable en fonction des individus, la Marraine propose à ses Sœurs de faire passer le Postulant au stade de Novice. Ce stade est important. C’est celui où est créé véritablement le personnage de la Sœur. Le choix d’un maquillage, d’un style et d’un nom sont analysés avec la Marraine, qui questionne et conseille avec son expérience. Cette période est aussi un moment de silence. La Novice ne peut pas engager la parole des Sœurs. En aucun cas, elle ne peut répondre aux questions qui lui sont posées et qui mettraient en œuvre la politique de l’association. Le début du noviciat est également marqué par la formulation des 6 vœux, ciment des couvents de France : visibilité homosexuelle, rejet de la honte, fête et joie universelles, paix entre les communautés, charité, information et prévention sida auquel vient s’ajouter un 7ème, le devoir de mémoire. Lorsque la marraine considère que sa filleule est apte à devenir Sœur, qu’elle est bien dans son personnage, elle propose l’élévation aux autres Sœurs. Lors d’une cérémonie, la Novice reçoit sa cornette, signe de son rang de Sœur, reçoit son nom définitif et prononce, à nouveau, ses vœux.

A l’issue de ce parcours, il est évident que ne se pose plus la question de savoir si l’on doit être garçon ou fille, homo ou hétéro, séropo ou pas pour devenir Sœur. Il suffit d’être soi même, disponible, dans le non jugement et l’amour des autres… Mais ce n’est pas donné à tout le monde !

 

Le personnage de la Sœur

 

Nous agissons donc contre le Sida et l’homophobie dans la joie et la bonne humeur, ce qui explique nos personnages de nonnes folles maquillées et costumées avec extravagance, des personnages utilisant les procédés du théâtre de rue et qui deviennent des outils de communication essentiels auprès du grand public dans les actions de prévention. C’est aussi un baromètre de tolérance : « Regarde moi : je suis le miroir de ta tolérance ».

Mettre un masque pour faire tomber les masques, ou comment utiliser le déguisement comme outil thérapeutique dans le cadre des séjours de ressourcement, permettant le lâcher prise pour les ressourcés : dire ou faire des choses enfouies en soi qui ne se seraient jamais exprimées sans l’aide du déguisement. Un joyeux mélange de tout et son contraire : Sainte ou Pute, Femme ou Homme, Clown ou Triste ? Ces personnages permettent le questionnement sur les genres et le conditionnement social (pourquoi les hommes ne devraient pas porter de robes ?). Chaque Sœur a son explication sur le pourquoi de son personnage, sur le rapport à la religion que l’on blasphème à l’égal du Vatican dont les positions sont largement homophobes et misogynes, comme un outrage au premier Commandement Chrétien « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »… Le visage peint en blanc exprime également le deuil, le devoir de mémoire de tous ceux qui nous ont quittés à cause du Sida et de l’homophobie meurtrière.

Comme toutes les folles de l’histoire de la communauté homosexuelle (FHAR, Gazoline, Panthères Roses, Fées radicales…), nous avons notre place en tant que militants agissant pour la visibilité gay et lesbienne et par la provocation de cette société figée dans ces interdits et ses tabous. Rappelons que la militance homosexuelle est née grâce aux Folles de Stonewall (USA) descendues dans la rue en juin 1969 pour protester contre les actions homophobes de la Police dans la communauté gay. Des émeutes, des morts, qui sont commémorés chaque année depuis 1969 au mois de juin dans de plus en plus de villes du Monde… Sans le courage et la radicalité de ces folles, vous ne danseriez pas dans les rues de Bordeaux, Lille, Lyon, Paris… à la marche des fiertés gay et lesbiennes. Nous sommes fières d’être vos petites Sœurs.

 

Les lignées

 

De la désignation de la Marraine va dépendre la lignée à laquelle va appartenir le Postulant. Il s’agit plus d’une tradition, d’un rite qu’autre chose. Toutefois nous y tenons beaucoup.

Il existe ou a existé en AS plusieurs lignées. Tout d’abord celles des Sœurs objet dont le nom doit pourvoir être compris comme un nom commun (Sœur Vice = service, Sœur O’Logis = Sérologie…). Il existe la lignée des Sœurs du Calvaire devenue, par la force des choses, Sœurs Sida, dont le nom doit comporter le mot Sida (Sœur Sidarta et Sœur Sida’Naïde). Il y a la lignée des Sœurs dont le nom doit correspondre à celui d’une chanteuse (Sœur Berthe). Il a y eu une lignée, qui pourrait être réactivée, des Sœurs salopes… Celui dont le nom se termine par «ope» : Sœur Caliope, Sœur Héliotrope.

Ces traditions permettent de créer un esprit de famille qui lie la marraine et le postulant, ainsi que toutes les Sœurs à une histoire et à quelque chose que l’on pourrait appeler une «tradition» associative.

 

Et la Mère ?

 

Voilà une bonne question qui reste pour beaucoup de Couvent de France, un sujet tabou… Parfois autoritaire, souvent despote ou, pire, absente, beaucoup de nos consœurs choisirent, en référence à l’histoire, de ne pas inscrire dans leur règlement intérieur la notion de Mère. Nous restons l’un des derniers Couvent où perdure ce personnage … qui n’est finalement qu’une Mère d’As !

En AS, lors du départ de Pillère, ce sont les Sœurs les plus anciennes qui se retrouvèrent l’une Mère, l’autre Président. De cette dualité naquit bien des soucis évoqués plus haut. Statutairement, nous restons en association loi 1901 avec un Président et un bureau ; la notion de Mère n’a administrativement, ni politiquement aucun rôle, ni aucun pouvoir. Le fait d’avoir un tel personnage hégémonique nous a conduites dans une impasse résolue à l’assemblée générale suivante où les membres de l’association ont choisi de maintenir ce personnage, considérant qu’aux yeux du public rencontré il avait une symbolique forte faite de déférence et de respect. Une seconde décision a confié à un seul et même individu le rôle de Président et celui de Mère, espérant ainsi éviter la dispersion des énergies. Cette année fut un test et de l’aveu même de Sœur Vice, qui a assumé ce rôle, un fardeau très lourd à porter. L’année suivante, les Sœurs confirmèrent, à nouveau, la nécessité d’avoir un tel personnage et optèrent pour que le rôle tourne au grès des saisons… Cette situation dura deux ans durant lesquels se dessina, petit à petit, le rôle que confiaient les Sœurs à leur Mère mais aussi la Sœur qui apparaissait naturellement comme celle qui devait le devenir aux yeux des autres. C’est Sœur Vice qui assume cette charge depuis quelques années maintenant. Sa fonction est celle que veulent bien lui donner ses Sœurs, celle de ciment du Couvent fait d’affection, d’écoute, de conseil et de disponibilité. Elle est là pour être une espèce de marraine générale de ses Sœurs dont elle a à cœur le bien-être en toutes circonstances. Elle ne reste qu’une image même si, invariablement, lors de nos sorties, une question ressort sur toutes les lèvres : « Mais qui est la Mère ? »