Daemonicus est un bon épisode indépendant à l'ancienne (saisons 1,2,3,4) avec une très nette parenté avec Millenium, l'autre grande série de Chris Carter. Le thème du Mal qui inspire les actes de l'être humain, l'allusion au serpent qui se mord la queue, les flashes de Monica, le désarroi des enquêteurs, la défaite finale, tout y est !
1°) Un travail esthétique réussi :
La mise en scène soignée insiste sur le noir et blanc et le quadrillage à damier (plateau de scrabble, croisées des fenêtres, sol dallé de l'asile, etc.), montrant les enquêteurs comme des pions sur un échiquier. D'ailleurs, l'asile s'appelle le Chessman State Mental Hospital (chessman = joueur d'échec).
Doggett a la rigidité mentale d'une Scully des débuts, Scully combine la rigueur et l'ouverture d'esprit d'une simple consultante (ce qu'elle est devenue puisqu'elle donne des cours de médecine légale à Quantico), et c'est désormais Monica Reyes qui oriente l'investigation vers le surnaturel.
2°) Un grand "méchant" :
Joseph Kobold, mais surtout ses complices/marionnettes, font penser - à cause de leurs masques - au diabolique Donnie Foster de 2X13 Irresistible et 7X07 Orison ; mais sa capacité à provoquer les actions des autres, à "pousser" ses victimes à l'horreur rappelle justement le "pousseur" Robert Patrick (!) Modell de 3X17 Pusher; d'ailleurs, l'un des gardiens de Kobold à l'asile lit le même magazine (Ronin) que Modell.
3°) La relation Doggett/Reyes (= DRR) :
L'interaction entre Doggett et Reyes est excellente, et même si l'inversion des rôles entre rationaliste et "mystique" était prévisible depuis la disparition du personnage de Mulder, il n'en reste pas moins qu'elle est ici très efficace. Doggett fait merveille en cartésien coincé entre deux "foldingues" (Scully et Reyes). A l'asile, il dira d'ailleurs à Reyes qu'une chambre est libre et l'attend...
DOGGETT: Look, Monica, the only reason we were called in on this thing is
you've investigated hundreds of these kinds of cases.
REYES: And not once did I find anything to support evidence of genuine satanic activity. DOGGETT: I'm saying. REYES: I've never felt this before. (SCULLY is silent as she observes the exchange between the two agents. DOGGETT'S cell phone rings ) DOGGETT: Excuse me. (to his cell phone:) John Doggett. REYES: Agent Scully, have you ever sensed what I'm talking about? SCULLY: I've felt things that I couldn't understand. Things I was afraid to admit even to myself. REYES: And what did you do? SCULLY: I learned not to ignore it. To trust my instincts. DOGGETT (on the phone:) Yeah, thanks. (DOGGETT hangs up.) REYES (to DOGGETT): What is it? DOGGETT: Mental hospital, a hundred miles from here. They think one of their patients did this. |
Écoutez, Monica, la seule raison pour laquelle on a fait appel à nous, c'est que vous avez enquêté sur des centaines de cas semblables.
Et pas une fois je n'ai trouvé quoi que ce soit pour attester d'une authentique activité satanique. C'est ce que je dis. Je n'ai jamais rien ressenti de semblable auparavant. (Scully reste silencieuse pendant l'échange entre les deux agents. Le portable de Doggett sonne.) Excusez-moi. (au téléphone:) John Doggett. Agent Scully, avez-vous déjà ressenti ce dont je parle ? J'ai ressenti des choses que je ne comprenais pas. Des choses que j'avais peur de m'avouer à moi-même. Et qu'avez-vous fait ? J'appris à ne pas les ignorer. A me fier à mon instinct. (Au téléphone:) Bien merci. (Doggett raccroche.) Qu'est-ce que c'était ? Un hôpital psychiatrique, à cent miles d'ici. Ils pensent que c'est l'un de leurs patients qui a fait ça. |
Cette première fausse piste n'est destinée qu'à amener les enquêteurs sur le lieu de détention du véritable instigateur - diabolique - de cette manipulation : Joseph Kobold.
DOGGETT: Mr. Kobold, my name is John Doggett. This is Monica Reyes.
We're with the FBI.
REYES: The patient in the cell next to yours escaped last night. Did you see or hear anything? You shared the same guard, Mr. Kobold. Do you know anything about their relationship why he would've helped him to escape? KOBOLD: You mean, did the guard force the patient to escape ? ... or did the patient force the guard ? ... or are they both of one mind ... like a snake ... eating its own tail? DOGGETT: You know something about this, Mr. Kobold? If you do, we need your help to stop them before they hurt more people. KOBOLD: You're too late for that. |
M. Kobold, mon nom est John Doggett. Voici Monica Reyes. Nous sommes du FBI.
Le patient de la cellule à côté de la vôtre s'est échappé la nuit dernière. Avez-vous vu ou entendu quelque chose ? Vous aviez le même gardien, M. Kobold. Savez-vous quelque chose sur leur relation qui explique pourquoi il l'aurait aidé à s'échapper ? Vous voulez dire que le gardien aurait poussé le patient à s'échapper... ou le patient poussé le gardien... ou qu'ils ne feraient qu'un par la pensée... comme un serpent... qui se mordrait la queue ? Vous savez quelque chose, M. Kobold ? Si c'est le cas, nous avons besoin de votre aide pour les arrêter avant qu'ils ne fasse du mal à d'autres personnes. Vous arrivez trop tard pour ça. |
4°) Les références :
Les allusions à Millenium ou au pusher ne sont pas que de simples clins d'œils ; ils inscrivent Kobold dans une lignée spécifique de "méchants" maléfiques : ceux dont le "don" passe par la parole. Ceci le distingue par exemple du diable rencontré dans 2X14 Die Hand die verletzt/La main qui tue ou de Eugene Victor Tooms (1X02 & 1X20) et le rapproche au contraire de Luther Lee Boggs (1X12 Beyond the sea) ou de John Lee Roche (4X08 Paper hearts) . Ces derniers possèdent cependant un "charisme" dont Kobold est dépourvu; d'où son séjour en asile psychiatrique et non en prison à perpétuité comme les autres. C'est qu'en effet Kobold est bel et bien "possédé" par les voix murmurantes qu'il dit entendre et hypnotisé par les nuages qui défilent dans le ciel qu'il regarde par la fenêtre. Est-il coupable ou victime ? Les avis divergents de Reyes et Doggett nous ramènent agréablement 9 ans en arrière, quand Mulder essayait de convaincre Scully du bien fondé d'une théorie "paranormale". La scène a lieu à la morgue en présence de Scully (qui les observe, songeuse) :
DOGGETT: Someone likes to play games.
REYES: Or not. "Prince of the Apostles" -- Kobold kept repeating it in his cell. SCULLY: St. Peter. He was said to have been crucified upside-down. REYES: A symbol later adopted by the Satanists to mark the power of the anti- christ. DOGGETT: Which you take as proof the devil possessed the surgeon and somehow put him in contact with Kobold. REYES: It's part of the literature. He could be a medium, a willing host for Satan communicating with Kobold. DOGGETT: Well, that's convenient. REYES: He brought up the devil and the snakes. No one told him the details of the crime and yet he knew. DOGGETT: That's 'cause he planned it. I pulled his file. This guy's a master manipulator. He was a history professor at the University of Miami committed for grinding up six co-eds that he tricked into his basement. He used their flesh ... as fertilizer in his garden. REYES: If Kobold's part of this, then why is he still behind bars? Why not escape when he had the chance? DOGGETT: I don't know yet. You believe this guy, Agent Scully? SCULLY: I haven't formed an opinion about it yet, actually. (DOGGETT sighs.) DOGGETT: That's great ... just great. (REYES walks past DOGGETT.) Where are you going, Monica? REYES: This man Kobold can help us, John.. I'm going to prove it to you. (MONICA leaves. DOGGETT looks at SCULLY, who hasn't said anything.) |
Quelqu'un s'amuse à nous jouer des tours.
Peut-être pas. "Prince des Apôtres"... Kobold répétait cela sans arrêt dans sa cellule. Saint Pierre. On dit qu'il a été crucifié la tête en bas. Un symbole repris plus tard par les satanistes pour affirmer le pouvoir de l'antéchrist. Ce que vous prenez comme une preuve que le diable a possédé le chirurgien et l'a mis en contact avec Kobold. Ça fait partie de la littérature. Il pourrait être un médium, un hôte consentant pour que Satan communique avec Kobold. Voilà qui est bien pratique. C'est lui qui a parlé du diable et des serpents. Personne ne lui avait donné les détails du crime et pourtant il savait. Parce que c'est lui qui l'a prémédité. J'ai lu son dossier. Ce type est un grand manipulateur. Il était professeur d'histoire à l'Université de Miami avant de tomber pour avoir découpé six de ses étudiantes qu'il avait attirées dans son appartement... Il a utilisé leur peau comme engrais dans son jardin. Si Kobold est lié à tout ça, alors pourquoi est-il toujours derrière des barreaux ? Pourquoi ne pas s'évader quand il en avait la possibilité ? Je n'en sais encore rien. Vous croyez ce type, Agent Scully ? En fait, je ne me suis pas encore fait une opinion sur lui pour l'instant. (Doggett accuse le coup.) Bon... Très bien. (Reyes passe devant lui.) Monica, où allez-vous ? Cet homme, Kobold, peut nous aider, John, et je vais vous le prouver. (Monica sort. Doggett regarde Scully qui n'a pas ouvert la bouche de tout l'incident.) |
5°) La relation Doggett/Scully (= DSR)
Depuis le début de saison (voir 9X01 NIHT) , Scully est plutôt dure et distante avec Doggett. D'abord, elle refuse de le mettre dans la confidence pour le départ de Mulder (si bien qu'il est le seul à ne pas savoir puisque même Skinner et Kersh sont au courant !) et ici elle le lâche face aux "théories" hasardeuses de Monica... Il faut dire qu'elle ne se sent pas très concernée par cette affaire et qu'elle a TOUJOURS réagi ainsi face à l'obstination parfois aveugle de son partenaire (Mulder) ; or ici, Reyes se comporte comme Mulder.
Doggett, lui, a droit a une psychanalyse sauvage de la part de Kobold tout comme Luther Lee Boggs avait "déchiffré" Scully du fond de sa prison (voir 1X12 Beyond the sea) :
KOBOLD: Agent Reyes believes me but you don't, Mr. Doggett.
DOGGETT: Doesn't matter what I believe. (DOGGETT turns to leave with Officer CUSTER but stops when KOBOLD speaks.) KOBOLD: I'm wondering ... why a skeptic such as yourself would accept an assignment to an obscure unit of the FBI devoted exclusively to the investigating of paranormal phenomena. DOGGETT: You been checking up on me, Professor? KOBOLD: Ordinarily men don't pursue occupations against their own inclination unless there's some strong countervailing reason -- seeking the love or approval of a woman, perhaps. Agent Reyes may have affection for you ... but you for her? Of course, it could be someone else or something else some ... dark secret from your past ... DOGGETT: That's enough. KOBOLD: ... An unsolved tragedy for which you feel responsible in some morbid way you haven't even admitted to yourself. Perhaps you feel that chasing ghosts will answer the questions which damn you. |
L'Agent Reyes me croit mais pas vous, M. Doggett.
Ce que je crois n'a pas d'importance. (Doggett se retourne pour partir avec le gardien Custer et il s'arrête quand Kobold se met à parler :) Je me demande... pourquoi un sceptique comme vous accepterait une affectation dans une unité aussi obscure du FBI consacrée exclusivement aux phénomène paranormaux. Vous avez enquêté sur moi, Professeur ? D'habitude, les gens ne poursuivent pas d'activités antagonistes avec leurs inclinations à moins d'une solide raison pour contre-balancer... rechercher l'amour ou l'approbation d'une femme, peut-être. L'Agent Reyes pourrait bien avoir de l'affection pour vous, mais vous pour elle ? Évidemment ça pourrait être quelqu'un d'autre ou quelque chose d'autre... un sombre secret dans votre passé... Ça suffit. ... Une tragédie non résolue pour lequel vous vous sentez responsable d'une façon morbide et que vous n'avez toujours pas dirigez pour vous-même. Peut-être pensez-vous que pourchasser des fantômes répondra aux questions qui vous hantent. |
5°) Du gore à gogo !
Quelques secondes plus tard, Kobold fait des convulsions... On repense au "cinéma" de Boggs sortant en sueur de chaque séance de communication avec les morts... La seconde fois qu'il parlera avec Doggett, Kobold se mettra à lui vomir dessus !
Que de "miracles" le diable ne doit-il pas déployer pour convaincre les incrédules de son existence ! Au moins les "initiés" comme Reyes ou Mulder savent reconnaître un phénomène paranormal avec de maigres indices disséminés sur le lieu du crime; mais les incrédules comme Doggett et Scully ne voient rien et il faut leur mettre les points sur les i ! Car il s'agit bien de VOIR pour croire, or Doggett refuse d'ouvrir les yeux sur l'existence de l'irrationnel (que ce soit la mort de son fils, le diable ou son attirance pour Scully).
Comment, enfin, ne pas faire le rapprochement entre Kobold en convulsion qui reçoit une piqûre et prononce le mot "medicus" tandis que la médecin-chef de l'asile se fait tuer par des seringues hypodermiques qui lui sont plantées directement dans le visage et les yeux ?
5° bis ) Doggett l'incompris :
Ainsi, si Mulder a bel et bien disparu de la série, il n'en reste pas moins très présent. Et cette présence se manifeste à chaque fois pour placer Doggett en porte à faux, que ce soit Kobold qui lui fait comprendre qu'il ne sera jamais Mulder ou que ce soit Scully qui ne manque pas une occasion de lui rappeler ce que Mulder aurait fait ou pensé en pareille situation.
Doggett se voit donc obligé de subir la condescendance de Scully.
Oui, Doggett est frustré, mais pas pour ce que pense Scully. Il est frustré car depuis le début de l'épisode, il avait vu juste et que malgré ses nombreuses tentatives, il
n'est pas parvenu à convaincre Scully et Reyes toutes les deux aveuglées par" les trucs" de Kobold.
(...)
DOGGETT: That's 'cause he planned it. I pulled his file. This guy's a master manipulator.
(...)DOGGETT: This is not about demons. It's not about demonic possession. It's about men.
(...)
DOGGETT: Il a tout préparé. J'ai sorti son dossier, ce type est un manipulateur de première.
(...)
DOGGETT: Il ne s'agit pas de démon, il ne s'agit pas de possession démoniaque, mais d'êtres humains.
Pourtant les ficelles employées par Kobold sont loin d'être fines, on se croirait dans un remake de l'Exorciste de Friedkin (vomissements, convulsions, langue
étrangère, serpent...) on s'attend à voir la tête de Kobold tourner sur elle-même et l'entendre lancer à tout va des " Ta mère est une pute ! ". Mais cela suffit à Reyes qui fait l'erreur de trop vouloir CROIRE ce qu'elle VOIT et ce même si elle dit avoir senti la présence du Mal.
On peut d'ailleurs s'interroger sur cette révélation, car l'on sait que Reyes avait déjà été confrontée au Mal au moins une fois (cf. 8X17 Empedocles), un autre détail
rappelle d'ailleurs cet épisode au moment où Doggett et Reyes arrivent à Happy Landing , l'attroupement de policiers autour du corps de la victime n'est pas sans
rappeler, les flashs de Doggett sur la découverte du corps de son fils.
Kobold est plus proche d'un Kaiser Söze ou d'un Hannibal Lecter (ils sont tous deux professeurs) que d'un être possédé ce qui ne l'empêche pas de posséder les autres. Car même le téléspectateur, tellement habitué à ce genre d'histoire, tombe dans le panneau, niant l'évidence des éléments qui lui sont donnés - les meurtriers portent de faux masques de démons, ils laissent des traces de pas et roulent en voiture - pour abonder dans le sens de Reyes.
SCULLY: Agent Mulder used to refer to it as "psychic plasma" a residual byproduct of telepathic communication. In theory, it would have inorganic properties that couldn't be
explained otherwise.
SCULLY: L'agent Mulder donnait à cette substance le nom de " plasma psychique ", c'est un produit dérivé résiduel issu d'une communication télépathique, il possède certaines
propriétés inorganiques demeurant inexpliquées.
SCULLY: I know what you're feeling. I know your frustration.
SCULLY: Je sais ce que vous ressentez. Toute cette frustration.
DOGGETT: That's why they were posed like this so we'd think that these folks were possessed, right? (...) I believe that the devil's a story made up to scare people.
REYES: You think he's making it up?
DOGGETT: Uh, yeah.
REYES: That was a pretty convincing show back there.
DOGGETT: He's playacting, Monica. Just 'cause he's good at it, doesn't make it true.
DOGGETT: Et c'est pour ça qu'on les a mis dans cette posture pour que l'on s'imagine qu'ils étaient possédés, c'est bien ça ? (...) Je pense que tout cela est une invention destinée à faire peur aux gens simples.
REYES: Vous croyez qu'il nous mène en bateau ?
DOGGETT: Oui.
REYES: J'avoue que je l'ai trouvé très convaincant.
DOGGETT: Il joue un rôle Monica, ce n'est pas parce qu'il joue bien qu'il faut croire ce qu'il dit.
REYES: I've never felt this before.
REYES: Je n'avais jamais ressenti cela auparavant.
DOGGETT: Agent Reyes is thinking just what this guy Kobold wants her to think and now you are, too.
Le jugement de l'agent Reyes est totalement sous l'emprise de Kobold, agent Scully et c'est votre tour maintenant.
6°) Une fin très sombre :
Doggett tire l'amère leçon de cet épisode sinistre. Le Mal - qu'il soit humaine ou satanique - frappe au hasard (les premières victimes furent trouvées dans l'annuaire) et se plait à donner a posteriori une cohérence aux événements. Daemonicus n'est que la combinaison facétieuse des prénoms des trois victimes Darren et Evelyn Mountjoy puis le docteur Monique Sampson. "Démoniaques" est l'adjectif dont nous qualifions les choses horribles qui nous frappent sans que nous en connaissions l'origine ou la raison...