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
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Le carillon du beffroi de Bergues - Articles
divers
LE CARILLON DE
BERGUES
Puisque la question du
Carillon de Bergues est revenue à l'ordre du jour, il y a quelque intérêt à
recueillir ici les menus faits qui le concernent, et qui se trouvent éparpillés
comme poussières d'histoire dans les liasses et les cartons des archives.
Dans notre Beffroi
construit à la fin du XIVè
siècle après le terrible incendie de 1383, une seule cloche était primitivement
suspendue: c'était celle du Ban, chargée d'annoncer l'heure, l'ouverture et la
fermeture des portes, l'approche des troupes de guerre, la convocation du
Magistrat, etc... Quand à une époque indéterminée on y monta une horloge,
l'usage s'établit d'y suspendre quelques clochettes destinées au voorslag,
c'est-à-dire à l'annonce de l'heure. Ces clochettes se mettaient en branle pour
jouer quelques mesures, puis le lourd marteau de fer frappait sur la banclocke
le nombre de coups qu'il fallait.
De cet ancêtre de notre
carillon, il est fait mention une première fois dans nos archives en 1544. Dix
clochettes, cette année-là, furent fondues à Bruges, pesant ensemble 1.152
livres, et en même temps, maître Jean Eenwoudt, horloger de la ville de Bruges,
fut chargé de réparer l'horloge et de disposer le mécanisme nécessaire. Or, en
I549, le même maître livra une nouvelle horloge, et la ville de Bergues échangea
ses clochettes contre dix nouvelles pesant 1.470 livres. Ce carillon ne sonna
pas longtemps, puisque en I558, lors du grand incendie de la ville, la partie
supérieure du Beffroi ayant été embrasée, il se brisa dans sa chute avec la
cloche du Ban. On le refit en I559 et l'on y ajouta une onzième clochette.
Au siècle suivant,
Bergues, fit faire des frais énormes pour donner à son Beffroi, distinction,
beauté et grande allure. En I627-I628, on y monta un nouveau campanile en bois -
celui qui existe ) encore de nos jours - avec couverture d'ardoise, Lion doré,
plate-forme en plomb, etc, : le tout coûta 26.792 livres. L'horloge fut
également renouvelée au prix de I3.300 livres, les cloches du carillon passèrent
de onze à vingt-quatre et coûtèrent, 1O.068 livres, le tout versé entre les
mains de maître Jean Blampain, fondeur à St Omer.
Pendant les travaux qui
durèrent à peu près deux ans, la grosse cloche de Saint-Martin sonna pour la
cessation du travail, pour l'ouverture et la fermeture des portes.
Le carillon, que le
populaire appelait le "carlion", répandit sa jolie musique sur Bergues pendant
près de trois siècles. Mais non content de chanter l'envol des heures, il charma
aussi les oreilles de nos aïeux par ses joyeux sautillements des dimanches et
jours de fête. Il n'était point de réjouissances qu'il n'y participât: aux
foires des Rameaux et de Saint-Luc, aux processions et aux kermesses, aux
entrées des souverains, des princes, des abbés de St Winoc et des évêques, en
bien d'autres circonstances, le carillonneur éveillait l’âme du Beffroi, et la
farandole courait avec entrain en rondes harmonieuses autour du campanile tandis
que le Bourdon - placé en 1643 au coeur du monument - donnait de la voix
pour animer l'allégresse.
Le Beffroi faillit perdre
ses chanteuses de bronze en 1658, lors de la prise de la ville par Turenne: le
grand maître de l'artillerie les réclama pour les transformer en canons, et il
fallut les racheter à grands frais. En 1791, sous la Constituante, elles
trouvèrent un ennemi dans la personne du député Bouchette et la suppression du
carillon, dont la "baroque musique", écrivait-il, étourdissait ses oreilles.
Pendant de longues années
celui qui gouverna l'horloge régla aussi le carillon : une somme variable lui
était donnée comme salaire. En 1687 on convint de séparer les fonctions et de
donner 360 livres à l'horloger et 120 au carillonneur. Mais à partir de 1719,
les deux fonctions ayant été de nouveau unies et confiées au seul carillonneur,
le receveur de la ville lui comptait annuellement une somme de 440 livres.
Parmi les
carillonneurs, nous pouvons signaler en 1735 Pierre Devicq, les Duhayon, que
nous trouvons en fonction en 1771 et sous la Révolution; et plus tard, au XIXè
siècle, la dynastie des Roland. De ceux-ci le premier fut Louis Roland qui
carillonna de 1845 à 1862, et nota de sa main sur un recueil daté du 24 octobre
1855 un certain nombre d'airs et de chansonnettes à la mode, qui servirent
jusqu'en 1914. A lui succédèrent ses fils Louis (1862-1881) et Antoine, maître
de chapelle de Saint-Martin; puis ses petits-fils Louis Roland (1881-1914),
décédé le 23 janvier 1925, et Hippolyte Roland, dernier carillonneur de Bergues
décédé le 28 mai 1928.
Notre carillon Berguois,
vieilli par ses longs services, parfois chevrotant, parfois aussi en désaccord
avec les lois de l'harmonie, avait besoin de réparations. On décida de le
remettre à la mesure, et en 1880 neuf cloches nouvelles furent fondues par les
soins de la maison Crouzet-Hildebrand, de Paris. Le nombre de cloches était
porté à 35. Mais il fallut plusieurs années avant que le mécanisme fût adapté et
qu'une bonne mise en pratique fût assurée.
Les dames de bronze sont
toujours-là, grandes et petites, suspendues au rouge campanile de 1627
comme à la parade. Quelques-unes d'entre elles avaient bien espéré célébrer
cette année le trois centième anniversaire de leur naissance, et chanter
pardessus la ville de Bergues un air de leur jeunesse lointaine. Non, les
violons ne sont pas prêts pour donner le ton; mais bientôt, tout Bergues le
sait, s'envolera le Chant du Départ, et les notes s'échapperont triomphantes pour
s'éparpiller, tel un vol claquant de pigeons, aux quatre coins de la ville
tressautant d'allégresse.
C. de C.
22 juin 1928
Mise à jour :
lundi 08 décembre 2014
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