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Le carillon du beffroi de Bergues - Articles divers

BERGUES, LA VILLE AUX CENT CLOCHES

S'agit-il d'une ville de légende, hérissée de tours et de clochers, posée au creux d'une vallée solitaire qu'elle remplit de toute la musique de ses cent cloches ? Ainsi dans les vieilles histoires peuplées de récits étranges, l'imagination voit surgir une cité de rêve, où du matin au soir la musique tourbillonne sans arrêt sur les ailes de bronze... Non, cette ville de légende est la nôtre, c'est Bergues Saint Winoc, la ville aux cent cloches comme on aurait pu la nommer avant 1789.

C'est une chose bien peu connue que la ville de Bergues possédait jadis trois carillons : celui du Beffroi, celui de l'Abbaye, et le troisième à la tour de Saint-Martin. A toutes les heures, à toutes les demi-heures, les carillons se mettaient en mouvement, et, par-dessus les maisons, les notes capricieuses de toutes les petites reines de l'aire s'envolaient en sarabande, légères et sautillantes, pour une ronde folle et éphémère. Or le carillon de Saint-Winoc jouait ses gammes sur trente cloches, celui du Beffroi sur vingt-neuf, et celui de Saint-Martin sur vingt. C'était donc un concert de 80 exécutants qui, durant quelques minutes passait et repassait sur la ville pour projeter partout sa pluie cristalline.

Mais par la spirale des escaliers montons au sommet des tours pour visiter les grandes dames de bronze dans leurs demeures aériennes. La Tour Blanche de l'Abbaye ou Crayetorre (écroulée en 1812) abritait sous sa flèche de pierre trente cinq cloches dont trente servaient pour le carillon (*). Les trois plus grandes étaient dédiées à Saint-Winoc, à Saint-Benoit et à la Sainte Vierge. La plus grande de toutes, la cloche Winoc, la plus grosse du pays, était monstrueuse ; avec ses deux mètres de diamètre, son épaisseur de quatre pouces neuf lignes, elle pesait près de 17.000 livres. Fondue sous la prélature de Dom Benoît Jansseune en 1700, elle sonna pour la première fois, avec les cloches Benoît et Maria, le 5 Novembre 1700. Dans l'autre tour, appelée Tour Bleue, posée sur le transept de l'église, étaient à demeure cinq autres cloches qui annonçaient les exercices conventuels.

A la Tour de Saint-Martin, à coté des clochettes du carillon, étaient suspendues cinq grandes cloches, parmi lesquelles Winoc, Jacques et Augustin. La cloche Winoc, fondue le 2 avril 1618 par Jacques Blampain (**) aux frais de la ville et de la châtellenie, pesait 6.514 livres poids de Bergues ; et, comme la ville avait obtenu l'autorisation d'établir sur la tour une horloge, c'est elle qui de sa grosse voix sonnait l'heure.

Dans la vieille tour de Saint-Pierre, à coté de l'Abbaye, quatre grandes cloches et deux clochettes remuaient pour les dimanches et fêtes, sonnaient les angélus, les baptêmes, les enterrements et les messes quotidiennes... Le Beffroi portait alors comme de nos jours son Bourdon, ou Tocsin hissé en 1643, et sa cloche du Ban refondue en 1782.

A tous les coins de la ville, d'autres cloches plus modestes, celles des couvents et des communautés, répondaient aux hautes sonneries des églises, de l'Abbaye et du Beffroi. C'étaient celles des Dominicains, des Capucins, et des Jésuites du Collège, celles de l'Abbaye Saint-Victor, des Soeurs d'en haut et d'en bas, des capucines et de l'Hôpital Saint Jean, et aussi la petite cloche de la Pauvre Ecole, laquelle prit son élan pour la première fois le 26 Mai 1718 en face du Mont de Piété.

Aussi, dans les grandes circonstances, quand toutes les cloches se mettaient en branle pour les fêtes et les processions, pour les entrées solennelles, pour les glas funèbres, des princes et des abbés, quel déluge de musique sur la ville et sur le pays ! On l'entendait, cette musique, à Dunkerque, Hondschoote et Bourbourg, et, par temps clair et sous le vent, les vibrations se portaient jusqu'à Ostende, Ypres, Cassel et Saint-Omer. En ville les sonneries bondissaient par-dessus les maisons, s'écoulaient par les rues où l'on marchait littéralement dans le fluide sonore, se croisaient en tous sens, se poursuivaient dans les airs, les grosses masses de l'Abbaye, du Beffroi et de Saint-Martin écrasant sous leur voix puissante les tintements argentins des carillons qui s'échappaient par des rires ou des plaintes.

Hélas ! un jour vint où toutes ces voix, tantôt joyeuses et tantôt tristes, furent étouffées. la Révolution fit taire les cloches en confisquant le bronze. Parmi les cloches de Bergues, les premières condamnées furent celles de l'Abbaye : on les descendit toutes, au nombre de quarante, que l'on transporta à l'Hôtel de Ville, d'où elles partirent pour être fondues en canons ou converties en gros sous. Celles des couvents furent délogées de leurs clochetons à la fin de Juin 1792 par N.W. Dequeker, maître-charpentier, et déposées au port de Bergues sur le bateau qui devait les transporter à Lille. Le même Dequeker, en Novembre 1792, sous la Législative, se chargea, moyennant 940 livres, de descendre les cloches des églises paroissiales et de les voiturer à l'Hôtel de Ville : on laissa seulement dans chacune des deux tours, "au choix du citoyen curé", deux cloches, une grande et une petite, pour le service paroissial. Encore ces survivantes sauvées du naufrage disparurent-elles bientôt, quand l'église constitutionnelle elle-même fut sacrifiée par la Convention.

Clochetons, clochers et tours resteront muets durant toute la Révolution ; leur âme s'était envolée et leur coeur de bronze ne battait plus.

La où les cloches avaient tant de fois chanté en l'honneur de Dieu et de ses Saints, célébré la joie des vivants ou pleuré sur les morts, c'était le silence pesant, la solitude attristée des tours restées debout qui semblaient mener leur propre deuil. Seul le Beffroi continuait à lancer vers le ciel ses appels accoutumés, mais aucune voix fraternelle ne lui répondait plus. La Révolution avait brisé le clavier qui répandait au loin la renommée de la ville aux cent cloches.

Charles DE CROOCQ - 27 Novembre 1925

 

Notes:

* M. l'abbé De Croocq parle d'un carillon de 30 cloches. En fait, il semble que les trente cinq cloches de la tour blanche servaient au carillon. A l'appui de cette thèse, deux faits:

Tout d'abord, historiquement il est prouvé que ce carillon n'est pas le premier. Un instrument de 32 cloches notamment avait été fondu en 1642-43 (Voir Article "Entre les tours de Bruges et Gand"). Or, compte-tenu de l'intérêt de l'abbé pour le carillon il est douteux que l'on soit revenu en arrière et qu'il ait accepté de passer de 32 à 30 cloches, et ce d'autant plus que la tendance est à l'époque, à l'accroissement de l'étendu des carillons. D'ailleurs, quand on en a les moyens, à l'époque, quand on reconstruit, c'est en mieux. D'ailleurs, au niveau de la grosse cloche, base du carillon c'est très net: le bourdon de l'instrument de 1642 pesait déjà le poids respectable de 10.000 Livres. Le bourdon de 1700 en pèsera 17.000...

Par ailleurs, autre argument de taille qui plaide en faveur d'un instrument de 35 cloches et non trente, est l'acte notarié de commande du carillon de l'Abbaye aux frères Pierre et Toussaint Cambron :

12 Avril 1700

"Pardevant Jacques Ackelman, notaire royal résidant en la ville de Bergues St Winnocq et en présence des (illisible) ci-aprés nommés comparaissent personnellement le Révérend Seigneur Benoît Jansseune Abbé de Bergues St Winnocq d'une part et messieurs Cambron, fils de Toussaint, fondeurs de cloches de leur narration demeurant dans la ville de Lille, d'autre. Lesquels ont déclaré et déclarent d'être convenu et accordé en la forme et manière suivante au regard des cloches et carillon que ledit Révérend Seigneur, premier comparant, prétend de faire fondre pour sonner en son monastère, à savoir que les seconds comparants s'obligent l'un pour l'autre et chacun d'eux seul pour le tout, de fondre et façonner un carillon complet composé de trente cinq ou trente six cloches dont la plus grosse cloche sera un ton majeur ou demi-ton plus basse que la plus grosse cloche de l'église St Martin en cette ville et continu jusque à trois octaves, y compris les dièses et bémols, les maintenir et garantir deux années entières bons et valables..."

** Il s'agit de Jean Blanpain et non Jacques. C'est le même Jean Blanpain qui reviendra dix ans plus tard fondre le carillon du Beffroi puis en 1643 le bourdon de ce dernier avec son fils Michel.

Jacques MARTEL - 1999

Mise à jour : lundi 08 décembre 2014
 


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