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Interview : VOYAGES EN CUISINE
Lorsque l'on rencontre René Alloin, on hésite entre l'intérêt pour le cuisinier ou celui pour le voyageur mais la sympathie et la bonne humeur sont toujours au menu. Il nous emmène pour un instant dans son tour du monde des cuisines.


Le jeune René voulait être cuisinier ou… député. Sa maman était veuve de guerre et la mairie lui avait confié une cantine scolaire, elle aimait aussi beaucoup faire la cuisine pour sa famille. Originaire de l'Ain, il s'est inscrit tout naturellement, après son certificat d'études, à l'école hôtelière de Thonon-les-Bains en 1960. Dans cet internat de moins de trois cents élèves, il y avait un hôtel d'application quatre étoiles : « Nous passions dans tous les services de l'hôtel, plongeur, économe, femme de chambre, en cuisine ou en salle. Malgré une discipline de fer, au bout de la troisième année, nous avions acquis une certaine autonomie, le sens des responsabilités »

Après l'armée, il est envoyé sur la Côte d'Azur, à Cannes. Il était chef de partie. L'après-midi, il faisait des sandwiches sur la plage pour avoir un peu plus d'argent : « On achetait une chemise, un pantalon. Les jours de sortie, nous dînions dans un petit restaurant pour ne pas rester tout le temps avec nos collègues. Un soir ou deux dans le mois, nous allions prendre un pastis au bar du Festival, un verre qui nous durait toute la soirée. » Mais René Alloin voulait connaître du pays, il se retrouve au Portugal dans un palace, avec une brigade de soixante personnes en cuisine : « Mon salaire en France représentait celui d'un ministre au Portugal, je gagnais cinq fois plus que le personnel local ; dans une brigade, chacun travaille pour soi et, au début, j'ai suscité quelques jalousies, on me disait de retourner chez moi ; plus tard, j'ai été bien accepté » Il visite beaucoup, s'amuse énormément, profite de ses moments de liberté et… se marie au Portugal.

Le poids du régime totalitaire portugais aidant, il se rend à Tunis pour les hôtels Méridien. Il fait, plus tard, l'ouverture du Méridien en Martinique : « Je ne me sentais pas chez moi, à la fin de mon contrat, j'étais content de partir, le personnel ne voulait pas travailler et je déployais trop d'énergie. Je suis tombé en cuisine avec cinq de tension » L'anémie et le stress le clouent au lit pendant trois semaines. Après cette période, il avait le choix entre l'Egypte et le Brésil mais ayant déjà travaillé en Afrique du Nord, ses connaissances de portugais ont facilité le choix de Bahia : « Je me suis senti adopté tout de suite au Brésil, je ne souffrais pas du racisme. Je ne gagnais que deux cents francs par mois mais les gens me faisaient des cadeaux » Actuellement, les crevettes au lait de coco et à l'huile de palme de la carte sont inspirés de la cuisine brésilienne.

En 1978, un directeur avec lequel il avait travaillé en Tunisie lui propose de faire l'ouverture du restaurant du Frantel-Marseille : l'Oursinade : « Dans ce métier, lorsque l'on travaille à l'étranger, les opportunités de revenir en France sont très rares. A cette époque, je voyageais beaucoup avec le Conseil Régional, j'ai notamment fait un voyage au Japon où je suis resté trois semaines. Je me sens très proche de la cuisine japonaise. A mon grand regret, je ne sais pas très bien dessiner mais j'ai le goût de l'harmonie des couleurs. Les Asiatiques font des plats qui sont de véritables paysages, une simple assiette anglaise peut se transformer en œuvre d'art » Parti pour deux ans, il s'est installé à Marseille dans son appartement proche de la Gare Saint Charles depuis dix-huit ans : « Nous nous y plaisons beaucoup, le samedi matin, nous faisons une promenade jusqu'au Réformés pour le marché aux fleurs. Nous oublions tous nos soucis quand nous voyons toutes ces variétés de couleurs. Nous nous arrêtons un peu pour déguster un sandwich au jambon Serrano. J'aime profiter de ces moments de liberté où je ne maîtrise pas le temps »

La sobriété, la présentation et la saveur des produits sont des critères auxquels je suis très sensible.

« Nous servons rarement des plats de viande à la maison » : ses amis connaissent bien les origines portugaises de sa charmante épouse et lorsqu'il reçoit ses enfants ou ses amis chez lui, la morue s'impose au menu. « J'ai découvert, à l'occasion d'un voyage dans l'Ain, le vin d'un propriétaire que j'offre plus volontiers qu'une bouteille rare » Lorsqu'il se rend dans sa famille, il s'arrête volontiers chez Trois-Gros, chez Bocuse ou chez Pic à Valence.

Après treize ans, il se décide à faire, enfin, l'ouverture de son propre restaurant à l'enseigne "René Alloin" :
« Il est vrai que nous avons à Marseille quelques difficultés de trouver de bons produits bien que nous allions vers le mieux. Une des raisons de la pauvreté du choix, c'est que la clientèle aisée ne sort pas à Marseille, la demande est donc moindre. Dans les années 70, me trouvant dans l'impossibilité d'acheter la ciboulette et les herbes d'hiver que les Niçois expédiaient directement à Paris, je les commandais à Rungis pour me les faire livrer ici » Aujourd'hui, après avoir remboursé ses banquiers, René Alloin veut faire son métier tranquillement. Dans son restaurant qui peut contenir jusqu'à soixante couverts comme dans toutes les cuisines où il est passé, il a toujours eu l'impératif de s'arrêter à onze heures et quart pour déjeuner pendant une demi-heure avec son personnel. Il se permet même parfois de répondre à des invitations et de fermer son établissement pour profiter d'une soirée : « C'est un métier où l'on pourrait travailler jusqu'à douze ou treize heures dans la journée, et ce ne sont pas seulement des heures de présence ! Je préfère laisser des responsabilités au personnel et fonctionner par roulement de manière que les gens puissent se détendre et donner plus. J'ai toujours eu de bons rapports avec mes apprentis. J'ai beaucoup d'anciens ouvriers dans les bons restaurants à Marseille. J'ai envoyé notamment un garçon chez Alain Ducasse qui est actuellement chef dans son restaurant à Paris mais lorsque l'un d'entre eux vient me voir et m'annonce qu'il travaille pour des collectivités, je suis déçu… J'essaie de leur donner le goût et le respect de la marchandise, des personnes qui travaillent avec vous, du choix des produits »

Mis à part la technicité et le savoir, ce métier requiert des qualités d'exigence et de rigueur, des vertus que son entourage accorde volontiers à René Alloin :
« Beaucoup de cuisiniers sont capables de faire des mets succulents mais un client n'accepterait pas qu'un plat qu'il a déjà apprécié lui soit servi avec des ingrédients différents ou des proportions variables, cela exige de la constance mais c'est une notion que j'ai vraiment du mal à inculquer aux apprentis aujourd'hui »

J'ai pratiquement fait le tour du Monde des cuisines mais j'aimerais connaître aujourd'hui la Chine et le Pérou.

La carte de ce restaurant du bord de mer est parfumée aux couleurs de ses voyages. On y frôle la réglisse, on caresse le lait de coco, on côtoie l'huile de palme et le curry. Pourtant, le plat qu'il choisit pour se définir nous est bien plus familier : c'est un filet de merlan délicat accompagné d'une sauce à la réglisse (aventure oblige) au goût subtil.

Propos recueillis par cveronike ©

www.rene-alloin.com/

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