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l'école de Notre Dame |
Les quatre effets paradoxaux
que l'on doit s'attendre à trouver dans le style de Saint-Martial
sont "synchronisé / incommensurable",
"continu / coupé", "lié
/ indépendant" et "même / différent"
[voir le tableau qui les regroupe].
La "diagonale
de la musique" nous apprend par ailleurs que l'essence de son fonctionnement
est résumée par le paradoxe "homogène/ hétérogène"
et ce que cela implique pour la façon d'écouter
cette musique.
L'extrait que nous
analysons est un Versus intitulé "O primus homo coruit", interprété
par l'Ensemble Organum sous la direction de Marcel Pérès.
On le date du XIIème siècle
[édité
chez Harmonia Mundi dans un disque intitulé
"Polyphonie Aquitaine du XIIème siècle". Numéro de
catalogue HMC
901134
accès à sa présentation sur le
site d'Harmonia Mundi]
[piste 2 du disque
4 du coffret "Les Très Riches Heures", minutage spécialement
analysé : de 0 à 1,58]
À défaut d'en disposer, vous pouvez écouter l'extrait ici ou là
ou encore ici :
C'est du IXème
siècle qu'on a la première attestation d'un chant polyphonique,
c'est-à-dire à plusieurs voix. On l'appelait à l'époque
"organum". Mais il ne s'agissait que de répéter exactement
dans une voix dite "organale" décalée en hauteur, l'évolution
de la voix dite "principale". On restait dans un système des couches
laminaires collées l'une sur l'autre et qui évoluent en parallèle
: hétérogènes dans leur hauteur de note, mais homogènes
dans leur évolution.
L'École de
Saint-Martial a pratiqué un autre type d'organum, que l'on a appelé
"l'organum libre". Dans cet organum, la voix organale a pris deux libertés
par rapport à la voix principale. D'une part, il lui arrive de faire
des guirlandes ornementales pouvant contenir jusqu'à vingt notes
pendant que la principale tient une seule note très allongée
dans le temps. De là viendra d'ailleurs l'expression "teneur" donnée
à une voix principale, d'où sera dérivé plus
tard le mot "tenor". D'autre part, il lui arrive d'évoluer en sens
exactement inverse (on dit alors en "déchant") de la voix principale
: quand l'une monte l'autre descend, et inversement.
Nous retrouvons ces
deux principes dans l'extrait envisagé.
Le
paradoxe synchronisé / incommensurable dans le style de Saint-Martial
(en musique ce paradoxe
signifie : étonnante coordination)
Cette évolution
de deux voix qui vont en sens contraires et malgré tout restent
synchronisées, où qui vont à des vitesses complètement
différentes et malgré tout savent se coordonner pour se retrouver
régulièrement, relève typiquement de l'effet "synchronisé
/ incommensurable". L'évolution en déchant notamment, rappelle
tout à fait les formes à courbures inverses, concaves
et convexes, qui sont
caractéristiques de cet effet dans l'architecture.
L'expression analytique
de ce paradoxe est proche du second effet que l'on vient d'envisager, mais
se perçoit sur le plus long terme : on se demande comment les deux
voix qui évoluent à des vitesses si différentes et
font des choses tellement différentes l'une de l'autre, malgré
tout parviennent à se coordonner pour se retrouver régulièrement
et faire la même chose au même moment à la fin de chaque
strophe de la musique.
La voix principale
est continue, et elle évolue de paliers en paliers. Ces paliers
divisent sa continuité en étapes successives, et chaque fois
qu'elle change de hauteur ou de syllabe son fil est donc coupé.
Il reste pourtant continu par la nature même de son chant. Comme
cette perception nécessite de garder le souvenir de ce que faisait
la voix auparavant, il s'agit d'une expression analytique.
L'expression synthétique
superpose à chaque instant la confrontation de la voix principale
qui continue sans presque changer, et de la voix ornementale qui elle marque
des circonvolutions qui la font se recouper elle-même sans arrêt,
ou recouper la voix principale.
La voix ornementale
virevolte librement autour de la voix principale. Ce procédé
est appelé un "contrepoint fleuri" et ses virevoltes manifestent
l'indépendance de la voix ornementale. Ces libres virevoltes évoluent
malgré tout en dépendance des mouvements de la voix principale,
puisqu'aux fins des strophes elle revient régulièrement se
coller à elle, s'attacher à elle pour faire un moment l'une
et l'autre la même chose.
L'effet synthétique
du paradoxe tient au fonctionnement même du contrepoint fleuri :
il accomplit souvent des écarts ou des vibrations qui sont rapidement
ramenés sur le fil musical moyen de son évolution. Il fait
ainsi des contorsions indépendantes liées à un parcours
plus régulier qui les rappelle à l'ordre.
Ces deux voix différentes
font ensemble une même musique : on entend bien que l'une accompagne
l'autre, et que chacune contribue à sa manière à l'oeuvre
commune. Il n'y a pas par exemple des effets de "cacophonie" due à
une discordance entre elles, ni des effets de neutralisation mutuelle qui
feraient qu'on ne distinguerait plus rien de net du fait de leur superposition.
C'est bien le paradoxe du "même / différent", celui des différents
tourbillons qui s'associent sans se détruire dans un même
tourbillon de plus grande échelle.
L'ensemble de la musique
se décompose en "différentes" sections qui se suivent sur
le "même" modèle.
Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. |
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