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l'école de St Martial |
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l'Ars Antiqua |
Les quatre effets paradoxaux
que l'on trouve dans ce style de Notre-Dame sont "intérieur
/ extérieur", "un / multiple",
"regroupement réussi / raté"
et "fait / défait" [voir
le tableau qui les regroupe].
La "diagonale
de la musique" nous apprend par ailleurs que l'essence de son fonctionnement
est résumée par le paradoxe "homogène/ hétérogène"
et ce que cela implique pour la façon d'écouter
cette musique.
Le paradoxe intérieur
/ extérieur dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe
signifie : répétition de la même chose, ou fixité)
Comme avec
l'école de Saint-Martial nous retrouvons deux voix différentes,
mais la mélodie de la "teneur" tient ici des notes allongées
à l'extrême, au point que ce n'est plus une voix qui évolue
lentement par paliers comme à Saint-Martial, mais une voix qui reste
toujours la même, qui reste fixe dans le temps. C'est l'expression
de "l'intérieur / extérieur" car ce paradoxe correspond à
une situation où une forme fixe s'est trouvée, une forme
qui est désormais à elle-même son propre extérieur
puisqu'elle s'appuie sur elle-même pour avancer.
Dans la musique du
XXème siècle, et pour exprimer ce même paradoxe, on
trouve des effets équivalents. Ainsi par exemple chez Edgar Varèse,
dans "Intégrales", plusieurs instruments répètent
continuellement la même note. Autre exemple chez Pierre Boulez, dans
"Éclats", des notes restent à vibrer longtemps et sans évoluer
avant de simplement s'éteindre.
Le
paradoxe un / multiple dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe
signifie aussi un / multiple)
Si la voix de teneur
reste fixe, l'autre voix elle, bouge. Elle bouge même énormément
et se contorsionne en "organum fleuri" selon l'expression utilisée
par les musicologues. Il est remarquable cependant que ces circonvolutions
de la hauteur du son, se fassent alors que la voix reste par ailleurs sur
une même voyelle ou sur une même syllabe. Cet effet rappelle
l'effet "fermé / ouvert" que l'on
trouve dans le chant grégorien, mais il a ici une autre utilisation
: il ne s'agit plus d'opposer la liberté d'évolution de la
hauteur du son au blocage de la parole sur une même voyelle, mais
d'opposer la multiplicité des circonvolutions à l'unité
conservée de la voyelle émise pendant ces multiples pirouettes
du fil musical.
Ces instabilités
de l'organum fleuri interviennent également dans l'effet analytique
du paradoxe, mais en considérant cette fois son évolution
sur le plus long terme : cette instabilité de "petite échelle"
s'inscrit en effet à l'intérieur d'un parcours qui, à
plus grande échelle, suit également un mouvement instable.
Cette instabilité de grande échelle s'entend par comparaison
avec la voix de teneur, dont on a déjà dit à l'occasion
de "l'intérieur / extérieur" que la voix ornementale sans
arrêt s'en écarte et y retourne de façon cyclique.
Le
paradoxe regroupement réussi / raté dans le style de l'École
de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe
signifie regroupé / pas regroupé, ou rassemblement en cours)
Malgré leurs
évolutions qui restent clairement tranchées, les deux voix
disent constamment le même texte, ou plus exactement la même
voyelle ou la même syllabe. Ce qui les différencie, c'est
l'usage qu'elles font de cette émission : tandis que la voix de
teneur "tient" la même note sur une voyelle, la voix organale lui
fait faire des circonvolutions variées.
Toujours les deux
voix sont donc parfaitement regroupées sur la même voyelle
ou sur la même syllabe, et toujours se regroupement est raté
puisqu'elles font par ailleurs des choses très différentes
qui les séparent bien dans notre écoute.
En même temps
qu'elle effectue les micro-évolutions de ses guirlandes, la voix
organale monte et descend comme pour ramasser au passage toutes les notes
de la gamme. La voix teneur, elle aussi mais à son rythme beaucoup
plus lent, remonte et redescend progressivement pour refermer la nasse.
À la fin de chaque partie, les deux voix se rejoignent comme pour
refermer leur filet l'une sur l'autre. En se rejoignant elles se rassemblent,
et rassemblent donc toute la mélodie sur une même note commune
pour dire une syllabe commune.
Ce ramassage de toutes les
notes de la gamme pour les coincer entre les deux voix qui se resserrent
l'une sur l'autre, dès qu'il est parvenu à se réaliser,
aussitôt se défait, et les deux voix reprennent leurs parcours
séparés pour à nouveau se regrouper un peu plus loin.
Ainsi alternent périodiquement des moments où le regroupement
des deux voix montre sa réussite, et des moments plus nombreux où
ce regroupement souterrain se cherche avant de s'affirmer à nouveau
momentanément.
Le
paradoxe fait / défait dans le style de l'École de Notre-Dame
(en musique ce paradoxe
signifie qu'une partie de la musique défait ce que l'autre fait)
Il nous reste à envisager l'effet provoqué par le contraste entre une voix qui reste presque fixe et une autre voix qui virevolte tout le temps. Si l'on dit que cette musique fait de la fixité, alors effectivement une voix fait cela, mais l'autre défait simultanément cette notion pour notre écoute. Et si l'on dit que c'est le libre mouvement que fait cette musique, alors oui une voix fait cela, mais l'autre la défait pareillement. L'une défait donc ce que l'autre fait, et inversement.
Cette opposition est
d'ailleurs amplifiée par l'aspect en bourdon de la voix fixe qui
étale sa note en largeur, alors que la voix qui virevolte est au
contraire bien claire et fait des méandres précis et toujours
bien détachés. Pendant que l'une fait le vague et le large,
l'autre fait donc le précis et l'étroit, effets qui par conséquent
se défont réciproquement.
Il est intéressant
de remarquer qu'à ces moments où les deux voix se rejoignent,
l'ensemble des quatre paradoxes sont simultanément exprimés
dans le même effet :
1- en se neutralisant
ainsi, les deux voix se défont donc mutuellement.
2- mais on
a dit aussi que leur rencontre était une façon de refermer
ensemble un filet, et de regrouper toute la mélodie sur une même
note.
3- étant deux
voix sur une même note, elles sont aussi unes / multiples.
4- et pour finir,
elles se maintiennent quelque temps fixement sur cette même note,
et font ainsi la fixité qui est une expression du paradoxe intérieur
/ extérieur.
Cette remarque montre
que dans le fonctionnement en "classement"
de la musique, les paradoxes ne sont pas nécessairement répartis
sur des effets différents. Mais à la différence du
fonctionnement en "organisation" qui s'observe à partir de la
Renaissance, le rassemblement de plusieurs paradoxes sur un même
effet n'engendre aucun effet "mixte" produit par leur combinaison. Toujours
ici on entend chaque paradoxe isolément, à l'état
"pur" peut-on dire, et il faut seulement décider lequel on veut
entendre. En n'entend rien qui soit un mélange de plusieurs paradoxes,
et qui serait par exemple égal à "paradoxe 1 + paradoxe
2". C'est toujours 1, ou 2, ou 3 ou 4.
Mise à jour d'octobre 2001 :
Ces quelques remarques permettent de compléter cette analyse. Elles sont extraites de la partie du site intitulée "une histoire de l'art" qui traite spécialement de la musique. Mises à part ces quelques remarques que je conseille de consulter, le reste de ce texte est très abstrait et il n'est pas conseillé pour une première approche. |
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