Un roi chérissait sa fille. Un jour, la pluie tomba du ciel et sur l'eau il y eut des bulles.
En voyant ces bulles sur l'eau, la jeune fille les trouva fort à son gré. Elle dit au roi: "Je désire
avoir les bulles qui sont sur l'eau afin qu'on m'en fasse un diadème." Le roi déclara à sa fille: "Les
bulles qui sont maintenant sur l'eau, on ne peut les saisir; comment les prendrait-on pour faire un
diadème?" La jeune fille dit: "Si je n'ai pas cela, je me tuerai."
En entendant ces mots de sa fille, le roi fit venir les maîtres artisans les plus adroits et leur dit:
"Vous êtes d'une habileté à laquelle rien ne résiste. Prenez promptement des bulles d'eau et faites-en
un diadème pour ma fille; si vous n'y parvenez pas, je vous décapiterai." Ils répondirent: "Nous sommes
incapables de prendre des bulles pour en faire un diadème." Cependant, un vieil artisan intervint:
"Je pourrai prendre les bulles."
Le roi tout joyeux, en informa sa fille, disant: "Il y a maintenant un homme qui se charge de vous
faire un diadème. Allez vers lui pour voir vous-même de près comment il s'y prendra." La jeune fille
alla au-dehors pour regarder. Alors le vieil artisan lui dit: "Je n'ai pas l'habitude de distinguer entre les
bulles d'eau celles qui sont belles et celles qui sont laides. Je désire humblement que la fille du roi aille
en personne prendre les bulles et moi j'en ferai un diadème." La jeune fille chercha à prendre les bulles mais celles
ci crevaient dès qu'elle en approchait la main, et elle ne parvenait pas à les saisir. Elle s'y appliqua tout le jour
mais en définitive ne put prendre les bulles. Elle se lassa d'elle même, y renonça et s'en alla.
Elle dit à son père: "Les bulles d'eau sont vides et fallacieuses, elles ne sauraient se maintenir longtemps.
Je désire, ô roi, que vous fassiez faire pour moi un diadème en or pur qui, jour et nuit, ne se desséchera ni ne se flétrira.
Les bulles qui sont sur l'eau déçoivent les yeux des hommes; quoiqu'elles aient une forme corporelle, elles se
détruisent au fur et à mesure de leurs naissances."
Le corps de l'homme a également une apparence trompeuse. Les phénomènes sujets à la destruction ne peuvent
subsister longtemps: ils se transforment et ne restent qu'un instant dans le monde.
Jadis, il y avait une vielle mère. Elle n'avait qu'un seul fils qui tomba malade et mourut; elle
le transporta au cimetière et déposa là le cadavre. Elle était pénétrée d'une tristesse qu'elle ne pouvait
surmonter. Elle se disait: "Je n'avais qu'un seul fils pour veiller sur ma vieillesse et il est mort en
m'abandonnant; à quoi me sert-il de vivre? Puisque je ne puis le faire revenir, il faut que j'unisse ma
destinée à la sienne dans ce lieu." Elle cessa de boire et de manger: quand cela eut duré pendant quatre ou
cinq jours, le Bouddha le sut, et à la tête de cinq cent moines, il alla dans le cimetière.
La vielle mère vit de loin venir le Bouddha avec son imposante majesté lumineuse; elle s'éveilla de son
engourdissement et sa stupeur se dissipa; elle s'avança devant le Bouddha et se tint en sa présence en se
prosternant. Le Bouddha dit à la vieille mère: "Pourquoi êtes-vous dans le cimetière?" Elle expliqua au Bouddha
ce qui s'était passé en disant: "Je n'avais qu'un seul fils; il a terminé ses jours en m'abandonnant; telle est
la force de mes sentiments d'affection que je désire mourir avec lui en ce lieu.
Le Bouddha dit à la vieille mère: "Désireriez-vous faire que votre fils revienne à la vie?" La mère
répondit: "Ce serait excellent, je voudrais l'obtenir." Le Bouddha lui dit: "Cherchez des parfums et du feu;
je prononcerai une invocation pour le faire revivre." Il avertit la vieille mère que, lorsqu'elle demanderait
du feu, elle devrait obtenir le feu d'une famille où il n'y aurait pas eu de mort.
Alors la vieille mère se mit en marche pour trouver du feu. Quand elle voyait un homme, elle lui demandait:
"Dans votre famille y a t il eu à quelque moment des morts?" On lui répondait: "Depuis nos premiers ancêtres
jusqu'à aujourd'hui, les gens de notre famille sont tous morts." Dans tous les endroits qu'elle traversa
en posant sa question, la réponse était la même; elle passa par plusieurs dizaines de familles sans pouvoir
prendre de feu et revint alors à l'endroit où se tenait le Bouddha. Elle lui dit: "J'ai été partout
pour demander du feu, mais il n'y a point de famille où il n'y a pas eu de morts. C'est pourquoi
je reviens les mains vides."
Le Bouddha dit à la vieille mère: "Depuis l'origine de l'univers, il n'est pas de vivant qui ne soit mort.
Puisque les hommes meurent, ceux qui leur succèdent dans la vie, quel plaisir peuvent-ils y trouver?
O mère, pourquoi dans votre aveuglement désirez-vous faire revivre votre fils?" L'intelligence de la
mère s'ouvrit alors et elle connut la réalité de l'impermanence.